À Nanterre, « les grands nous protègent plus que la police »
À l’espace jeunesse Picasso, au cœur de la cité du même nom, un atelier a donné la parole à des enfants sur leur rapport aux forces de l’ordre. Entre récits personnels et aspirations, leurs témoignages mettent en lumière une relation complexe.
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© Maxime Sirvins.
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Depuis Zyed et Bouna, la police tue toujours plus Famille de Nahel : « On nous regarde de loin, à travers des clichés » Zyed et Bouna, 20 ans aprèsAu pied des tours Nuages de la cité Pablo-Picasso, à l’espace jeunesse du quartier, un petit groupe d’enfants de 9 à 11 ans s’installe. Ils s’assoient sur des canapés disposés en cercle autour d’une table où sont proposés des gâteaux et des boissons pour le goûter. Les enfants se lèvent, se servent, échangent quelques mots dans la bonne humeur, puis reprennent place, toujours aussi attentifs. Ici, les enfants n’ont pas toujours droit à l’insouciance.
Tous s’accordent à donner un rôle officiel à la police. Pour Farid, 9 ans, « la police sert à nous protéger » ; à côté de lui, Aymen, 11 ans, complète : « Ils doivent protéger la ville. » Mais cette représentation se heurte à la réalité quotidienne à laquelle ils se confrontent. Yanis, 11 ans, nuance : « Il y en a qui sont gentils, mais il y en a beaucoup de méchants. Ils insultent. Ils cassent les portes. »
C’est pas normal de se faire contrôler, on est trop petits .
Aymen
Certains enfants ont déjà été témoins ou victimes de contrôles de police, parfois brutaux, souvent injustifiés. « Je me suis déjà fait contrôler, je passais juste à côté d’un groupe de grands, [les policiers] ont cru que j’étais avec eux », raconte Yanis. « Un jour, des policiers nous ont arrêtés et fouillés », ajoute Farid, son petit frère. Pour Aymen, ces scènes sont devenues presque banales. « J’ai vu un monsieur qui mangeait un sandwich et qui s’est fait contrôler. »
Une logique incomprise, qui alimente le malaise. « C’est pas normal de se faire contrôler, on est trop petits », s’indigne-t-il. Yanis nuance : selon lui, les contrôles répétés finissent par paraître normaux. « Il y en a toujours, donc c’est normal. » Le reste du groupe réagit vivement : « Non, non, non. »
Un refus collectif, instinctif, face à ce qui ne devrait jamais être banalisé. La méfiance s’ancre tôt. « Je connais beaucoup de garçons de mon âge qui se font contrôler », lance Yanis. Farid acquiesce, allant jusqu’à dire qu’il évite certains coins de la cité, « là où la police fait du mal ».
L’affaire Nahel, ce jeune homme de 17 ans tué par un policier, a agi comme un déclencheur dans leurs représentations. L’épisode tragique de sa mort, survenue le 27 juin 2023 à Nanterre, revient dans plusieurs discussions, sans qu’il soit nécessaire de trop en dire. Farid remarque : « Ils auraient juste dû contrôler Nahel ; comme ça, il serait pas mort », dit-il tristement.
Yanis, lui, avoue que cet événement a tout changé : « J’avais pas peur de la police, mais ils l’ont tué, et maintenant j’ai peur de me faire tuer. » Une crainte brutale et pourtant bien réelle chez cet enfant de 11 ans. « C’est pas normal, il était mineur, déclare Aymen. Ils n’avaient pas le droit de lui tirer dessus. » Et il ajoute, à voix basse : « Il y a eu des émeutes parce que les grands, ils connaissaient Nahel. »
J’avais pas peur de la police, mais ils ont tué Nahel, et maintenant j’ai peur de me faire tuer.
Yanis
« La police n’a pas le droit d’être violente »
Ces jeunes Nanterriens témoignent de leur enfance passée entre les hautes tours de la cité, dans un rapport ambivalent, parfois conflictuel, avec la police. Ils semblent avoir déjà construit une conscience sociale et politique profondément influencée par leur quotidien. « Quand je vois un policier, j’aimerais lui demander pourquoi il est raciste », dit Farid. Yanis raconte : « Ils nous ont déjà dit : “Toi, t’es arabe, tu vas jamais rien faire.” » Assis sur le bord du canapé, Aymen acquiesce avant de glisser : « Ils pensent qu’on est des gens qui ont arrêté l’école. »
« La police, elle n’a pas le droit d’être violente », insiste le jeune garçon. Une vérité que leur rappellent leurs parents, tout en leur recommandant d’être prudents. « Les parents, ils nous disent de faire attention », confient les deux frères.
Mais la colère bouillonne aussi contre ces violences commises par les forces de l’ordre qu’ils perçoivent comme impunies : « Ils ont le droit de faire ce qu’ils veulent », s’indigne Aymen. Un sentiment revient : celui d’être davantage protégés par les figures locales que par les institutions. Tous confirment. « C’est les grands de la cité qui nous protègent plus que la police », confie Yanis.
Ces enfants posent un regard lucide, presque trop conscient pour leur âge, sur leur environnement. Leur parole, souvent ignorée, révèle une compréhension fine des rapports de force qui les entourent. L’atelier s’achève sans solennité. Le téléphone d’Aymen vibre : sa mère l’attend, il doit rentrer lui donner un coup de main.
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