Taxe Zucman : le périlleux calcul des socialistes

Jouant la carte de la responsabilité, le PS rêve de faire adopter une mesure alternative à la taxe Zucman. Au risque de s’isoler du reste de la gauche et de perdre le rapport de force face au gouvernement.

Lucas Sarafian  • 30 octobre 2025 abonné·es
Taxe Zucman : le périlleux calcul des socialistes
Meeting de Raphaël Glucksmann pour les élections européennes, à Paris, au Zénith, le 30 mai 2024.
© Maxime Sirvins

Instant de vérité. En plein milieu des négociations et des débats budgétaires, une députée socialiste confesse : « C’est un pari technique et politique très risqué. » En acceptant le débat parlementaire suite au renoncement de Sébastien Lecornu sur le 49.3, les socialistes rêvent. Ils rêvent de tordre le bras du gouvernement en obtenant la suspension de la réforme des retraites. Ils rêvent de faire voter une mesure forte pour plus de justice fiscale. Ils rêvent de s’installer durablement au centre du débat.

Ils rêvent mais les doutes refont parfois surface. Car négocier avec un gouvernement est une mission périlleuse. Peut-être impossible. Critiqué par le reste de la gauche, ciblé par l’extrême droite, le Parti socialiste (PS) est sur une ligne très difficile à tenir. Pour les roses, la demande est claire : le gouvernement doit trouver 15 milliards d’euros de nouvelles recettes sur les ultra-riches. La simple suspension de la réforme des retraites ne suffira pas. Si Sébastien Lecornu ne plie pas encore, ce sera la censure. Depuis des jours, les chefs à plume socialistes répètent à l’envi cette menace.

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Dans Le Parisien le 23 octobre, le patron des députés Boris Vallaud alerte le premier ministre : « S’il n’est pas capable de justice fiscale, je ne suis pas sûr qu’il sera possible de discuter de la suite. » Le lendemain sur BFMTV, le chef du PS, Olivier Faure, martèle l’avertissement : « Si nous ne sommes pas entendus, l’histoire s’arrête. » Le 16 octobre sur LCI, il recommence : « À la fin de cette semaine, nous saurons si nous allons à la dissolution ou pas. » À les écouter, les socialistes pourraient déposer une motion pour faire tomber le gouvernement au beau milieu des débats.

On a choisi de ne pas censurer pour aller dans le débat budgétaire. Donc on y croit. La menace de censure est tout sauf écartée.

Officieusement, ces coups de menton servent surtout à mettre sous pression le gouvernement. « C’est normal de menacer. On est en période de négociations. Donc on doit menacer car les macronistes ne s’arrêtent jamais : la loi immigration, la baisse des APL…, explique un député PS très impliqué sur les questions budgétaires. On a choisi de ne pas censurer pour aller dans le débat budgétaire. Donc on y croit. La menace de censure est tout sauf écartée. Si on voit qu’au retour du Sénat, le nombre de lignes rouges est bien supérieur au nombre de signaux verts, on censurera. » Une motion qui pourrait être déposée aux alentours de début décembre. Rien d’imminent.

Compromis

Au cœur des débats, la taxe Zucman, du nom de Gabriel Zucman, l’économiste médiatique à l’origine de l’idée. La mesure, défendue par toute la gauche, vise à instaurer un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des personnes qui détiennent au moins 100 millions d’euros. Une taxe qui rapporterait entre 15 et 25 milliards d’euros par an. La mesure, qui a déjà été votée deux fois à l’Assemblée l’année dernière, sera débattue le 31 octobre dans l’hémicycle. Au sein du bloc présidentiel, il n’est pas question d’avaler cet impôt qui remettrait en cause le dogme de la politique de l’offre auquel ils s’agrippent comme une moule à son rocher.

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Les socialistes en sont conscients. Lors d’une réunion secrète le 24 octobre, Boris Vallaud émet l’idée d’une mesure alternative à cette taxe Zucman face à Gabriel Attal, Cyrielle Chatelain et des représentants des groupes communiste, Modem, Liot et Horizons. Le principe ? Un impôt plancher pour taxer les patrimoines financiers supérieurs à 10 millions d’euros d’actifs.

Concrètement, cette taxe fixe le taux d’imposition à 3 % pour les patrimoines excédant 10 millions d’euros. Sans toucher aux biens professionnels et en exonérant les entreprises où une même famille possède à la fois 51 % des titres et 51 % des droits de vote du conseil d’administration ainsi que les actions d’entreprises dites « innovantes ». Le reste de la gauche voit dans cette mesure une taxe Zucman « light ».

Le PS fait un deal avec la Macronie parce qu’ils ont peur de revenir aux urnes.

M. Panot

Les socialistes partent à la recherche désespérée du compromis. « La taxe Zucman est déjà une proposition modérée parce qu’elle ne permet pas de rattraper les cadeaux fiscaux de huit années de macronisme », pointe Benjamin Lucas, porte-parole du groupe écolo. Les insoumis sont en colère : « Le PS fait un deal avec la Macronie parce qu’ils ont peur de revenir aux urnes », selon Mathilde Panot, la cheffe de file des députés insoumis.

Anaconda

Mais pour les socialistes, cet amendement de repli n’est pas une taxe Zucman diluée. « On cherche à ouvrir le champ de la taxe Zucman », contredit Béatrice Bellay, porte-parole du groupe PS. Selon leurs calculs, cet impôt alternatif aurait un rendement entre 5 et 7 milliards par an et pourrait financer quatre fois le coût de la suspension de la réforme des retraites. « Et si jamais le gouvernement est fermé à tout compromis, ce sera la censure », prévient Romain Eskenazi, porte-parole du groupe PS.

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Les roses espèrent que toute la gauche votera cet amendement, ce qui est loin d’être certain. Le pari est donc très risqué : en négociant coûte que coûte avec le gouvernement, le PS prend le risque de s’isoler encore un peu plus du reste de la gauche à quelques mois des municipales. Toutefois, les socialistes s’en remettent à l’arithmétique parlementaire : il y a très peu de chances que leur amendement de repli soit adopté à l’Assemblée nationale tant le bloc central semble peu enclin à voter pour cette taxe les yeux fermés. « Chaque jour, on accepte d’avaler un anaconda supplémentaire », raille un cadre du groupe Ensemble pour la République (EPR).

Si cela rapporte autant que la taxe Zucman, nous regarderons.

B. Vallaud

En privé, les socialistes attendent que le gouvernement dépose un amendement de compromis. « S’il y a une troisième voie, on est ouvert, affirme une cadre du groupe PS. On n’est pas au gouvernement, c’est donc à eux de trouver les recettes pour financer les dépenses indispensables. » Au sein du camp présidentiel, on préférerait proposer une taxe sur les holdings, une surtaxe de l’impôt sur les sociétés ou le retour d’un mécanisme ressemblant à un impôt sur la fortune. Une idée qui pourrait convaincre les socialistes ? « Si cela rapporte autant que la taxe Zucman, nous le regarderons », lâche Boris Vallaud sur France 2. Ce 31 octobre, jour d’Halloween, il pourrait ne rester qu’un fantôme de la taxe sur les ultrariches.

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