ArcelorMittal France : l’évidence de la nationalisation
La proposition de loi LFI visant à la nationalisation du groupe sidérurgique sera discuté le 27 novembre à l’Assemblée. Mais l’idée ne pourrait aller sans celle d’une protection, nationale elle aussi.
dans l’hebdo N° 1890 Acheter ce numéro

© Třinecké železárny / Wikipédia
Le 19 novembre 2025, la commission des Finances de l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi visant à la nationalisation d’ArcelorMittal France déposée par Aurélie Trouvé, députée LFI de Seine-Saint-Denis. Le texte a été soutenu par l’ensemble de la gauche, le centre et la droite s’opposant, le RN s’abstenant. Il sera discuté le 27 novembre en séance publique, lors de la journée réservée au groupe LFI-NFP.
Le but de cette propositions est économique – « sauver la sidérurgie » française – et écologique : procéder à sa « décarbonation ». En effet, l’entreprise a annoncé avoir reporté les efforts de réduction de son empreinte écologique auxquels elle s’était pourtant engagée. Il est alors logique que la puissance publique, qui subventionne cette transition à hauteur de centaines de millions d’euros, reprenne la main. Coût ? Environ 3 milliards d’euros, l’équivalent de la redevance télé avant sa suppression par Emmanuel Macron.
Pour Alain Le Grix de la Salle, PDG de l’entité française du groupe indien, « changer l’actionnaire d’ArcelorMittal France ne changerait en rien les problèmes structurels auxquels nous faisons face ». En effet, l’acier européen souffre de deux maux. D’abord, une chute de la demande pour le précieux alliage, qui s’explique par la panade de l’industrie automobile européenne, dont les voitures électriques sont trop chères. Ensuite, les exportations chinoises, conséquences de la folle production de ce pays, qui sort de ses hauts fourneaux plus de la moitié de l’acier mondial. Les deux problèmes sont liés.
Imaginons qu’un plan européen de développement de la voiture électrique ait été mis en place, disons en 2000. Tout le monde savait alors que les constructeurs allemands, français et espagnols ne seraient jamais compétitifs vis-à-vis de la fabuleuse machine chinoise. Il aurait fallu que ce plan repose sur une logique de développement autonome de l’UE.
En 1957, la Communauté économique européenne avait mis en place une politique protectionniste : la politique agricole commune (PAC).
Trois piliers : un prix de vente garanti pour les constructeurs ; des aides aux consommateurs pour les acheter ; le tout étant protégé de la concurrence hors-UE par d’importants droits de douane. Cette politique soviétique n’avait évidemment aucune chance d’être adoptée par les pays libre-échangistes membres de l’UE.
Pourtant, à ses débuts, en 1957, la Communauté économique européenne avait mis en place une politique protectionniste : la politique agricole commune (PAC), qui, grâce à cette protection vis-à-vis de l’étranger, garantissait des prix de vente plancher aux agriculteurs des Six. La PAC a réussi au-delà de toute espérance : en quelques années, l’ouest du continent a retrouvé son autonomie alimentaire, puis est rapidement devenu exportateur net.
Certes, au passage, quelques céréaliers sont devenus millionnaires, et il y eut des surproductions de lait et de beurre, à l’origine de la création des Restos du cœur. Mais cette politique agricole aurait dû être la matrice des politiques industrielles européennes : protectionnisme + subventions.
C’est ce que font avec un invraisemblable succès les Chinois. C’est aussi ce que font les États-Unis depuis l’adoption, en 2022, d’une loi de soutien aux consommateurs du pays (« Inflation Reduction Act »). Mais voilà. La Chine et les États-Unis sont des États. Alain Le Grix de la Salle a raison : nationaliser sans protéger, c’est échouer. Il faut les deux. Tout comme la nationalisation est nationale, la protection doit l’être aussi.
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