ArcelorMittal : « Une seule solution, la nationalisation »

Suite à l’annonce de la part d’ArcelorMittal d’un plan de licenciement concernant 636 emplois dans toute la France, des militants syndicaux et des salariés se sont largement rassemblés devant le siège social de la multinationale, à Saint-Denis.

Thomas Lefèvre  • 13 mai 2025 abonné·es
ArcelorMittal : « Une seule solution, la nationalisation »
Un rassemblement était organisé devant le siège d'ArcelorMittal, à Saint-Denis, le 13 mai 2025, pour protester contre la vague de suppression d'emplois.
© Thomas Lefèvre

Fumigènes, pétards, slogans : tout y est. Ce mardi 13 mai, les rues habituellement calmes du quartier d’affaires de la ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) se sont emplies d’une foule hétéroclite de syndicalistes, de journalistes et de politiques de gauche. Des centaines de salariés, venus des quatre coins de la France, ont répondu présents à l’appel de la CGT et se sont mobilisés, dès 9 h 30, devant le siège français d’ArcelorMittal pour protester contre le plan de licenciement, annoncé en grande pompe par la multinationale fin avril.

Selon le groupe sidérurgique, ce « projet de réorganisation pour faire face à la crise de l’acier » prévoit de supprimer 636 emplois sur sept sites industriels de l’Hexagone. Pourtant, en 2024, le deuxième producteur mondial d’acier déclarait un résultat net de 1,19 milliard d’euros et, au premier trimestre 2025, il indique réaliser un bénéfice net de plus de 800 millions d’euros. « Une entreprise qui gagne de l’argent ne devrait pas licencier, assène Gaëtan Lecocq, secrétaire général de la CGT d’ArcelorMittal de Dunkerque (Nord). Tout simplement. »

Un large mouvement syndical

Parmi les personnes présentes, certaines ont fait un long trajet pour arriver jusqu’à Saint-Denis. Antoine était assistant qualité sur le site de Reims d’ArcelorMittal, avant de quitter l’entreprise en retraite anticipée cette année, avec près de 42 ans d’ancienneté. Il s’inquiète : « J’ai vu les conditions de travail se dégrader d’année en année, il n’y a plus d’humanité dans l’entreprise depuis le rachat par Mittal. » Sont également présents des salariés de ThyssenKrupp, géant allemand de la sidérurgie, des salariés bourguignons d’Industeel France, filiale de la multinationale, ainsi que des employés d’autres secteurs industriels.

Si on tombe, c’est toute l’industrie française qui tombe

G. Lecocq

À quelques mètres du rassemblement, dans une tour de verre gardée par des dizaines de CRS, la direction de l’entreprise et des représentants syndicaux se réunissent lors d’un conseil économique et social extraordinaire (CSE) pour discuter des contours de ce plan social. Les syndicats réclament une suspension immédiate de ce dernier. « Si on tombe, c’est toute l’industrie française qui tombe », prévient Gaëtan Lecocq. Tandis que le slogan « on peut faire du métal sans Mittal », résonne en fond.

Sébastien Gautheron, délégué syndical CGT à Industeel France, filiale d'ArcelorMittal, à Saint-Denis, le 13 mai 2025.
Sébastien Gautheron, délégué syndical CGT à Industeel France, filiale d’ArcelorMittal, à Saint-Denis, le 13 mai 2025.

Côté politique, les forces de gauche étaient représentées par de nombreux élus présents. Après le passage de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, les représentants de La France insoumise, des Écologistes et du Parti communiste français ont pris la parole publiquement. Ils ont ainsi exprimé leur accord sur un point : l’acier est un secteur stratégique, et il faut donc nationaliser la branche française d’ArcelorMittal pour sécuriser cette industrie. Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, appelle à « l’union des forces politiques de gauche sur la question de la réindustrialisation française. »

« Nous voulons de l’acier français »

Contrairement à la CFDT, syndicat majoritaire de l’entreprise, la CGT appelle également à la nationalisation. « Nous voulons de l’acier français », résume Gaëtan Lecocq. L’acier est indispensable à de nombreux autres secteurs industriels comme l’automobile, le nucléaire ou encore le bâtiment. Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, annonce que « le chiffrage est en cours » pour connaître précisément le coût de cette nationalisation, mais devrait tourner « autour de quelques milliards ». La CGT, quant à elle, annonce « 1 milliard d’euros nécessaire » pour le rachat des 40 sites français d’ArcelorMittal par l’État et la protection des plus de 15 000 salariés, ainsi que leur savoir-faire.

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Aurélie Trouvé, députée LFI et présidente de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, annonce avoir déposé une proposition de loi ce mardi matin pour nationaliser la filiale française du groupe sidérurgique. Le gouvernement est hostile à cette solution et Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du Commerce, a déclaré cette après-midi à l’Assemblée : « On ne peut interdire à Arcelor d’améliorer sa compétitivité en réduisant des postes. » Le ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, assure, dans un entretien pour Challenges, que « la nationalisation d’ArcelorMittal n’est pas la bonne réponse ». Pourtant, même l’ancien ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, en appelle à la nationalisation « comme outil temporaire et de dernier recours ».

C’est une course contre la montre pour la décarbonation.

M. Tondelier

Les syndicats et les élus mettent aussi l’accent sur la nécessité de décarboner cette industrie avec des fours électriques, une promesse non respectée par la multinationale depuis plusieurs années. « C’est une course contre la montre pour la décarbonation », déclare Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, en s’adressant à une foule plus clairsemée qu’en début de matinée. Une certaine crispation traverse une partie du public lorsque cette dernière évoque les subventions à ArcelorMittal, qu’elle a elle-même votées en tant que conseillère régionale des Hauts-de-France.

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« Le symbole de la trahison »

En effet, comme l’écrit Bastien Bonnefous dans un article du Monde, « avant l’annonce de ce plan social, ArcelorMittal avait déjà fait savoir, en novembre 2024, qu’il suspendait son projet de décarbonation de l’aciérie de Dunkerque – pourtant indispensable pour se conformer aux objectifs environnementaux européens à horizon 2050 – d’un montant de 1,8 milliard d’euros dont 850 millions d’aides publiques, non versés pour le moment. »

Devant la tour d'ArcelorMittal, gardée par des CRS, mardi 13 mai 2025, direction et syndicats étaient réunis pour échanger autour du plan de licenciements visant à supprimer 636 emplois.
Devant la tour d’ArcelorMittal, gardée par des CRS, mardi 13 mai 2025, direction et syndicats étaient réunis pour échanger autour du plan de licenciements visant à supprimer 636 emplois.

L’histoire de ce mastodonte industriel est parsemée de luttes sociales et d’échecs politiques. Nicolas Sarkozy et François Hollande ont tous les deux échoué dans des négociations avec les dirigeants indiens, à la tête de l’entreprise depuis le rachat d’Arcelor par Mittal en 2006. En effet, le groupe n’en est pas à son premier plan de licenciements massifs. « À chaque fois, le géant de l’acier est accusé de profiter du savoir-faire français, mais de négliger ses infrastructures dans l’Hexagone jugées moins rentables que celles aux États-Unis, au Brésil ou en Inde, et d’en appeler aux pouvoirs publics pour l’aider à investir », peut-on lire dans ce même article du Monde.

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« ArcelorMittal est le symbole de la trahison », récapitule froidement Sophie Binet, acclamée par les militants. Alors que les prises de parole s’enchaînent, il y a un grand absent : le Parti socialiste. On apprend en fin de matinée qu’un élu socialiste devait prendre la parole après ses collègues communistes, écolos et de LFI, avant d’être finalement déprogrammé au dernier moment. Coïncidence ou rancune du fiasco de Hollande ? À cette question, plusieurs ouvriers préfèrent sourire, amers.

Société
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