« Du public de la Philharmonie, j’ai reçu des coups de pied et de poing, des crachats, des insultes »
Après le concert philharmonique d’Israël à Paris, le 6 novembre, et la pluie de coups dont il a été la cible, Rayan*, militant pro-palestinien, s’exprime pour la première fois. Il revient sur le lynchage dont il a été victime et la répression qui s’en est suivi.

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« À la Philharmonie de Paris, le public nous a littéralement lynchés » Philharmonie de Paris : le contenu des deux plaintes pour violence volontaireSur une vidéo, en plein concert de l’orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris le 6 novembre, on voit un jeune homme brandir une torche et commencer à scander des slogans contre le génocide à Gaza. Rapidement, des spectateurs le passent à tabac. Pour la première fois, Rayan*, militant pro-palestinien, revient sur ces événements.
Je ne vais pas rappeler l’ampleur du génocide contre lequel nous luttons. En deux ans, j’ai compris que ceux qui n’ont pas agi contre l’extermination méthodique d’une population civile ne le feront jamais. À l’heure où j’écris, au moins 242 Palestiniens ont été assassinés depuis le « cessez-le-feu » à Gaza. Personne n’est capable de dire combien sont morts depuis deux ans. C’est ce qui m’a convaincu de participer à l’action collective à la Philharmonie de Paris du jeudi 6 novembre 2025.
Je participais à des manifestations pour les droits des Palestiniens avant le 7-Octobre. Déjà, elles étaient réprimées, lorsqu’elles n’étaient pas taxées d’antisémitisme. Le 10 octobre 2023, avec la circulaire Dupond-Moretti, l’État français criminalisait la solidarité internationale et interdisait les manifestations. Je me souviens, place de la République, à Paris, des visages des manifestants. Des jeunes nassés et gazés qui ne comprenaient pas pourquoi on les empêchait de s’élever contre un génocide annoncé : « Nous combattons des animaux humains », déclarait le 9 octobre 2023 le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant. Par humanité, j’ai décidé de m’impliquer davantage, par des campagnes de phoning, de tractage, de signature de pétitions.
La collaboration entre la vieille puissance coloniale française et Israël connaît peu de limites : invisibilisation des Palestinien·nes, silenciation de tous les discours critiques, ventes d’armes, survol de notre espace aérien par un criminel de guerre recherché par la Cour pénale internationale. Le concert organisé par la Philharmonie de Paris, établissement public, illustre cette complicité. L’orchestre, en partie financé par l’État d’Israël, revendique son statut de « premier ambassadeur culturel » du pays. Sa programmation participe à la normalisation d’un État d’apartheid. Les musiciens de cet orchestre sont d’anciens soldats ou d’actuels réservistes.
Sur leurs réseaux sociaux, on lit par exemple : « Nous nous préparons activement pour le prochain combat sur scène de ce soir. » Ces mots sont d’Eleonora Lutsky, violoniste, avant de jouer au Luxembourg quatre jours après notre action. Cette même musicienne partage un post qui nous compare aux talibans : « Savez-vous ce que les talibans, qui ont fait sauter des statues de Bouddha, ont en commun avec le socialiste d’extrême gauche berlinois ou parisien lambda ? Tous deux sont obsédés par la censure culturelle. »
Il y a eu plusieurs mobilisations relatives à l’annulation de ce concert. Une demande d’autorisation de manifestation avait été déposée, mais celle-ci a aussitôt été interdite. Il était nécessaire, pour moi, d’exprimer pacifiquement mon indignation, j’ai donc rejoint cette action collective. Vers 20 h 15, en concertation avec mes camarades à l’intérieur et à l’extérieur de la salle, j’ai allumé une torche et scandé des slogans. Je savais que cet événement rassemblerait un public d’extrême droite, mais je ne m’attendais pas à une « ratonnade ». La sauvagerie du public m’a choqué. J’ai reçu des coups de pied et de poing, des crachats, des insultes, ma tête a cogné contre une barrière.
Ce lynchage démontre que l’idéologie coloniale et raciste qu’est le sionisme ne peut que produire haine et violence partout où elle sera légitimée. Il est révoltant que les spectateurs qui revendiquent avoir commis ces violences n’aient toujours pas été inquiétés. J’ai déposé plusieurs plaintes. Après les coups, la répression policière : plus de 60 heures de garde à vue, le refus par la police de procéder à mon hospitalisation, malgré mon crâne ouvert. « Tant que vous ne répondez pas aux questions de l’officier de police judiciaire, vous n’avez aucun droit », m’a-t-on dit. « En même temps, tu t’attendais à quoi ? » et « C’est bien fait », ai-je entendu dans le commissariat.
Après l’acharnement judiciaire, le lynchage médiatique, la divulgation de mon identité et de mon lieu de vie par un influenceur d’extrême droite. Je suis menacé de mort, on appelle à ma « déportation ». Les comparaisons de pseudo-journalistes entre notre action non-violente et le drame du Bataclan me laissent sans voix. C’est salir la mémoire des victimes que de comparer une protestation pacifique à un meurtre de masse, a fortiori quand la protestation pacifique a pour but de lutter contre un génocide
Je reste convaincu de la légitimité du boycott culturel actif. Nous devons activement boycotter toutes les institutions israéliennes et pousser l’État français à cesser son soutien au génocide.
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