Expulsion illégale : une famille porte plainte contre le préfet des Hautes-Alpes

Une plainte pour « abus d’autorité » a été déposée contre le préfet des Hautes-Alpes par une famille expulsée illégalement en septembre. La famille était revenue en  France traumatisée et la mère avait fait une fausse couche, attribuée au stress causé par l’expulsion.

Pauline Migevant  • 5 novembre 2025 abonné·es
Expulsion illégale : une famille porte plainte contre le préfet des Hautes-Alpes
© Thomas COEX / AFP

Le 11 septembre, la vie de Mathieu, Laetitia. M. et de leur deux garçons a basculé. Après le réveil par la police sur les coups de six heures du matin dans leur hébergement d’urgence, après avoir été emmenés en Italie et avoir, désorientés, passé une nuit dans un refuge italien, après être revenus en France grâce à la mobilisation des associations et de leur avocate, que reste-t-il ?

Les traumatismes, déjà, que Laetitia et Mathieu M. confiaient à Politis quelques jours après avoir été expulsés illégalement. « Je voyais ça à la télévision mais je savais pas que ça allait nous arriver », témoignait Laetitia M., encore estomaquée. Le couple évoquait les cauchemars du plus grand, la crainte du petit dès que retentissait une sirène lui évoquant la police, leurs peurs à eux, ravivées lorsque les autorités étaient revenues quelques jours plus tard, arrêter à la même heure, une mère de famille du Haut Karabakh pour la mettre de force dans un avion et l’expulser en Arménie. Mathieu et Laetitia M. évoquaient aussi leur volonté de déposer plainte.

Suite au rejet de leur demande d’asile, le couple avait reçu une OQTF contre laquelle ils avaient formé un recours censé être suspensif, comme le prévoit le Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Mathieu l’avait signalé aux six policiers. Mais rien n’y avait fait. Les questions de leurs enfants, de deux et quatre ans, étaient restées sans réponse.

Sidérée, la famille, arrivée en France il y a plus de deux ans, s’était retrouvée en Italie, pays où ils n’avaient jamais mis les pieds. Apprenant leur expulsion, l’avocate avait contesté la légalité de la situation de la famille auprès de la préfecture en apportant la preuve qu’un recours avait été formé contre l’OQTF. Le mail était resté sans réponse. A Politis, la préfecture expliquait que « le 11 septembre […] aucun recours n’avait été enregistré par le greffe du tribunal […]. Dans ces conditions, […] l’éloignement pouvait être mis en œuvre à tout moment. »

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 « Plusieurs événements sont intervenus en violation totale de la procédure en cours suivant les ordres du préfet des Hautes-Alpes, lit-on dans la plainte pour « abus d’autorité » déposée contre le préfet le 23 octobre et consultée par Politis. « Le préfet des Hautes-Alpes, en qualité de dépositaire de l’autorité publique, a ordonné arbitrairement une expulsion de la famille attentatoire à leur liberté individuelle et contraire à la procédure juridique en cours. ».

D’après l’article 432-4 du code pénal, « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, […] d’ordonner ou d’accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende. »

Expulsion illégale

La police aux frontières a donné à la famille un document attestant de la décision de remise aux autorités italiennes, qu’elle aurait ensuite déchiré, ainsi qu’une convocation à la préfecture de police de Turin. Des papiers habituellement donnés quand les personnes tentent de traverser la montagne et qu’elles sont ramenées en Italie par la police française. « Ces documents, fournis habituellement lors de refoulements, attestent du fait que la police française a présenté la famille à la police italienne, comme venant de franchir illégalement la frontière », lit-on dans la plainte, qui rappelle que la famille était en France depuis plus de deux ans.

Déposer plainte, « c’est extrêmement courageux », estimait leur avocate, Flora Gilbert à Politis. « Souvent, pour les personnes sous OQTF, la peur du système étatique et l’injonction à l’invisibilité sont plus fortes que la volonté de défendre leurs droits. »

En plus de la plainte, un recours indemnitaire a également été formé. Dans ce dernier, l’avocate invoque les raisons de l’illégalité de l’expulsion subie par Mathieu et Laetitia M., à commencer par le droit au recours effectif protégé notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Souvent, pour les personnes sous OQTF, la peur du système étatique et l’injonction à l’invisibilité sont plus fortes que la volonté de défendre leurs droits.

F. Gilbert, avocate

Par ailleurs, « l’intervention de la police au sein de l’hôtel Formule 1 dans lequel la famille était hébergée et le déracinement de cette dernière pendant près de 48h sans aucun motif légitime a, de facto, entraîné la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et de la vie familiale ainsi qu’une violation du domicile de Madame Laetitia M. et de Monsieur Mathieu M. et de leurs enfants », détaille le recours.

Enfin, l’avocate invoque l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies et signée par la France. Sollicitée, la préfecture indique « avoir bien reçu une demande indemnitaire au titre du préjudice subi par la famille »  mais ne pas pouvoir « communiquer sur des actions contentieuses ou pré-contentieuses en cours »

Traumatismes et fausse couche

« L’expulsion illégale que la famille a subie a provoqué des séquelles à la fois physiques et psychologiques à toute la famille », lit-on dans la demande indemnitaire. Dans un courrier joint à la demande, daté du 12 septembre alors que la famille était encore de l’autre côté de la frontière, la pédiatre de la PMI qui suivait les deux petits, se disait« très inquiète pour la santé physique et mentale, la sécurité de ces 2 enfants en bas âge depuis que j’ai appris dans les médias l’expulsion en Italie de la famille où elle n’a aucune ressource, aucune attache.»

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Le plus grand venait de faire sa rentrée en moyenne section. Lorsqu’il était en Italie, il réclamait ses camarades à sa mère. À Politis, Laetitia expliquait que depuis leur retour en France, leur enfant de deux ans s’était mis à pleurer chaque nuit. Le grand, quant à lui, ne voulait plus rester tout seul, même quelques minutes. « Quand il voit les pompiers ou la police dans la rue, il s’accroche à moi », détaillait Laëtitia M.

Dix jours plus tard, après avoir reçu Laetitia en consultation, le médecin évoquait dans un autre courrier au sujet des enfants « un trouble anxieux qui se surajoute au stress lié à la précarité de leur situation, facteur de risque pour leur développement. »

Avoir subi plusieurs épisodes de stress psychologiques pendant la grossesse augmente le risque de fausse couche de 42 %.

Quelques jours après leur retour, d’importants maux de ventre avaient saisi Laetitia. Aux urgences, le médecin lui avait annoncé une fausse couche. Un événement traumatisant lié à « une situation extrêmement stressante dès lors qu’elle a été contrainte de quitter le territoire français sans raison à 6 heures du matin le jeudi 11 septembre 2025 en présence de 6 policiers dans sa chambre d’hôtel », détaille la demande indemnitaire.

Cette dernière cite une étude publiée par la revue Nature selon laquelle « avoir subi plusieurs épisodes de stress psychologiques pendant la grossesse augmente le risque de fausse couche de 42 %. » Combien d’autres femmes ont-elles vécu le même traumatisme à cause de la préfecture ?

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