La gauche française s’illusionne en croyant être le reflet de Zohran Mamdani
Du Parti socialiste à la France insoumise, les composantes de la gauche française se servent de la victoire du maire de New York pour justifier leur propre stratégie. Un doux rêve, tant une figure comme Zohran Mamdani ne pourrait advenir en France. Voici pourquoi.

© ANGELA WEISS / AFP
La fascination/répulsion qu’exercent les États-Unis en France, dans les discours politiques, médiatiques et culturels, est à son apogée depuis l’élection de Donald Trump. Comme je l’expliquais dans une précédente chronique, cette fascination sert souvent de terrain à une justice sociale de convenance pour une partie du spectre politique. Elle se manifeste aussi lors d’élections comme celle de Zohran Mamdani à la mairie de New York, qui fait écho à celle de Barack Obama, ou encore à l’émergence de figures comme Alexandria Ocasio-Cortez ou Ilhan Omar, élue au Congrès en 2019.
Une fascination qui, en miroir, souligne un non-dit : l’horizon d’impossibilité d’une telle épopée dans le paysage électoral français. Et cette impossibilité est d’autant plus criante que, face à l’élection de Zohran Mamdani, les partis de droite et apparentés en ont fait un épouvantail (le « communautarisme »), tandis que les partis libéraux et de gauche n’en ont tiré que de mauvaises leçons. La première consiste à penser que le passage de 1 % à 50,4 % serait le seul résultat d’une campagne de communication qui aurait ringardisé les autres candidats.
Ce fétichisme de la communication politique, se substituant et remplaçant un véritable programme, est un mirage rassurant pour des partis comme le Parti socialiste (PS) ou les aficionados des publications LinkedIn. Ils oublient un peu vite qu’il y a un an à peine, Kamala Harris aussi menait une campagne brillante sur le plan médiatique.
La victoire de Mamdani, si elle a connu une forte viralité grâce à ses méthodes de communication, tient surtout au fait qu’il n’a jamais soustrait ses propositions politiques à ses moyens de communication. Aussi drôles et percutantes que soient ses vidéos, elles ont toujours accompagné le fil de sa campagne : « New York you can afford » (le New York abordable), dans un contexte où même les populations qui ont gentrifié les quartiers populaires sont à leur tour exclues par les prix.
Mamdani n’a jamais soustrait ses propositions politiques à ses moyens de communication.
Un message soutenu par des mesures claires et simples à comprendre : gratuité des transports, contrôle des loyers pour les particuliers comme pour les petits commerces, financement des crèches, et surtout une ligne ferme affirmant qu’il menait sa campagne pour les New Yorkais et non pour les grands donateurs de l’appareil démocrate. Lors des débats municipaux, Zohran Mamdani fut d’ailleurs le seul candidat à ne pas citer Israël quand on lui demanda quel pays il visiterait en premier : il répondit qu’il serait maire de New York et servirait les New Yorkais.
Pour de multiples raisons sociodémographiques et historiques, Mamdani – comme Obama, AOC ou Kamala Harris – n’est possible qu’aux États-Unis. Mamdani est possible à New York, la ville-monde, mais aussi grâce à une conception de la citoyenneté et de la politique américaine profondément façonnée par le storytelling. Il n’existe pas d’équivalent en France. On se souvient d’ailleurs de la tentative de Macron de se poser en « Barack Obama français », uniquement en raison de sa jeunesse.
Une France hostile aux communautés
Les partis politiques y jouent un rôle beaucoup plus encadrant qu’aux États-Unis, mais surtout, la France reste profondément réfractaire à tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à un attachement communautaire de la part d’un candidat. Ceux que l’on appelle, même après huit générations, des « issus de l’immigration », doivent pour être investis par leur parti – sans parler du parachutage et du découpage électoral – enfiler le costume, l’hexis (l’habitus) et les manières d’être du « politique ». Et ce n’est pas seulement une imposition des partis : c’est aussi le produit de la réception médiatique et publique, de ce qui est perçu comme « électoralement acceptable ».
Il n’y aura donc pas de Mamdani français, capable de parler du prix du petit-déjeuner en bodega, ces échoppes historiques de la ville (parce que New Yorkais), de prier à la mosquée (parce que musulman), de participer à des soirées sud asiatiques (parce qu’indien) ou ouest-africaines (parce qu’ougandais), de fréquenter des clubs, de citer des téléréalités et de parler de relations safe* (parce que millennial**). La politique française reste définie par sa capacité à aplanir toute identité au profit du statut de « politique », et se joue dans le miroir des plateaux télévisés – là où Mamdani, lui, a gagné précisément parce qu’il n’a pas joué son élection avec eux.
* Safe : sécurisante.
** Millennial : génération née entre 1985 et 1995.
Alors que, de ce côté-ci de l’Atlantique, des mois de mobilisation, de porte-à-porte, d’organisation et de campagne de terrain ont mené à cette victoire, vu de France tout se passe comme s’il était possible de répliquer cet engouement en partant d’en haut. Benoît Hamon, sur les plateaux télé, parle de jeunesse (alors que la victoire de Mamdani a mobilisé un large spectre démographique) ; la France insoumise se concentre sur le fait qu’il soit attaqué de toutes parts (même au sein de son propre parti, où les apparatchiks ont refusé de le soutenir tant il représente un changement de ton).
Alors que, bien qu’il ait reconnu ces attaques, Mamdani a bâti sa campagne principalement non pas en répondant tac au tac, mais en poursuivant une campagne de terrain avec les milliers de volontaires qui portaient son programme. En face, Cuomo, soutenu par toute une machine, n’avait pour programme principal que de « faire barrage à Mamdani ».
Au lieu de se perdre dans cette fascination teintée de complexe de supériorité concernant la démocratie, la gauche française devrait s’intéresser à la manière dont un candidat issu d’un parti qui, en France, serait situé à la droite du PS, peut porter un discours et des propositions moins timides qu’une partie de la gauche.
La gauche française devrait s’interroger sur sa capacité, lors des élections municipales, à comprendre le fossé abyssal qui sépare ce qu’elle dit de la ville et la manière dont on y vit.
Comment un candidat peut-il développer une tonalité propre à sa ville, adaptée à ses réalités locales, et non pas une simple réplique d’une politique décidée au niveau nationale ? Comment il a pu mobiliser des milliers de volontaires non affilié·es au Parti démocrate sans les obliger à rejoindre le Parti démocrate ? Le plus grand tour de force de Mamdani, c’est d’avoir compris les aspirations d’une large partie des habitant·es de New York, pouvoir vivre dans leur ville.
Si le peuple imaginé est cher à la droite, il semble que la ville (cosmopolite) imaginée le soit tout autant à la gauche. Au lieu de chercher à répliquer cette dynamique, la gauche française devrait s’interroger sur sa propre capacité lors des élections municipales à comprendre le fossé abyssal qui sépare ce qu’elle dit de la ville et la manière dont on y vit.
À Paris, par exemple, où des classes populaires jusqu’aux classes moyennes supérieures, on voit le quotidien se transformer, la ville devient peu à peu un centre commercial à ciel ouvert pour touristes fortunés : se loger, trouver un médecin, circuler ou simplement avoir accès à des loisirs y devient de plus en plus difficile. Et peut-être, au lieu de regarder vers New York, c’est vers Montréal qu’il faudrait se tourner, où la droite vient de remporter les élections municipales, portée par de nombreux votes de personnes racisées et de classes populaires, après près d’une décennie de gestion de gauche n’ayant répondu à aucune de ses promesses.
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