Le plan Trump pour Gaza : la Bible et le dollar
Le « plan de paix » du président états-unien, confié à des affairistes de l’immobilier, ne laisse aucune place aux Palestiniens.
dans l’hebdo N° 1888 Acheter ce numéro

© ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP
Pour effacer les Gazaouis de Gaza, Trump et Netanyahou avaient trois solutions. Les exterminer, c’est ce que le gouvernement israélien d’extrême droite a entrepris après le 7-Octobre. Les pousser hors de leur territoire, mais pour les conduire où ? Ou leur rendre la vie impossible. Et c’est le plan Trump. Ajoutons que ces trois stratégies peuvent se conjuguer. Pour éliminer tout de suite les fausses pistes, il faut se reporter au point 19 du document mis en œuvre avec le cessez-le-feu du 10 octobre. Il y est question d’une voie « crédible vers l’autodétermination palestinienne et la création d’un État, que nous reconnaissons comme l’aspiration du peuple palestinien ».
Toute l’hypocrisie du projet tient ici en quelques mots. Le plan Trump « reconnaît » que la création d’un État « est l’aspiration du peuple palestinien ». Oui, mais d’État palestinien Israël ne veut pas, et le plan va tout mettre en œuvre pour le rendre impossible. Plus sérieusement, il est donc question de « reconstruire et dynamiser Gaza », ce dont aura la charge « un groupe d’experts qui ont aidé à donner naissance à certaines des villes miracles modernes florissantes du Moyen-Orient ». Voilà le plan ! Un nouveau Dubaï avec une forêt de tours futuristes tutoyant le ciel. C’est ce que les plumitifs de Donald Trump appellent (point 2) « réaménager » Gaza « dans l’intérêt » de sa population.
Toutes ces imprécisions sont autant de failles dans lesquelles Israël pourra se précipiter pour relancer sa guerre à ce jour inachevée.
Toute honte bue, on peut dire après ça que « personne ne sera contraint de quitter Gaza ». Mais que vont bien pouvoir faire les malheureux que l’on voit aujourd’hui privés de tout, dans cet univers de milliardaires qui est celui de Trump, de Musk et des émirs du Golfe ? Quand on a compris l’objectif, on peut comprendre les moyens. Les forces israéliennes, nous dit-on, se retireront sur « la ligne convenue jusqu’à ce que les conditions soient réunies ». Peut-on être plus vague ? Toutes ces imprécisions sont autant de failles dans lesquelles Israël pourra se précipiter pour relancer sa guerre à ce jour inachevée.
Ce jeu de dupes a déjà commencé. Il a suffi que deux soldats israéliens sautent sur une mine pour que Netanyahou crie vengeance et rompe le cessez-le-feu. Sous un prétexte ou un autre, Israël a tué plus de deux cents Gazaouis en trois semaines. Quant à l’aide humanitaire, confiée à des évangélistes amis de Trump, elle continue d’être livrée au ralenti. L’armée israélienne est libre à tout moment de fondre sur les survivants du génocide. Enfin, pour mieux mesurer l’imposture, il faut regarder les maîtres d’œuvre.
Tout l’environnement économique et financier qui est imaginé suppose que les Palestiniens doivent disparaître de l’histoire.
Ce n’est pas tant le « comité palestinien technocratique et apolitique » chargé de la gouvernance provisoire qui nous interpelle que le fameux « conseil de la paix » présidé par Trump, qui s’est adjoint Tony Blair, lequel apporte dans ses bagages un projet appelé « Gaza Reconstitution Economic Acceleration and Transformation » qui sent à plein nez l’affairisme immobilier. En attendant, le représentant des États-Unis à l’ONU tente de faire valider le plan par une organisation pour laquelle Trump n’a pourtant que mépris. L’ONU est digne d’intérêt quand il s’agit d’impliquer un maximum de pays, surtout arabes et musulmans, invités à prendre part à une force d’interposition et à participer au financement du projet.
Mais il y a sans doute loin de la coupe aux lèvres. Car on voit bien que les Gazaouis n’ont aucune place là-dedans. Tout l’environnement économique et financier qui est imaginé suppose qu’ils doivent disparaître de l’histoire. Au mieux, ils feront eux-mêmes le constat que la « Riviera » de Donald Trump n’est pour eux ni culturellement ni économiquement. C’est une constante dans le projet sioniste depuis ses origines : les Palestiniens sont le peuple « absent ». Mais le déni de réalité n’efface pas la réalité. Ils sont là et ils résisteront d’une façon ou d’une autre.
Paradoxalement, il n’est pas sûr non plus que les colons fanatiques trouvent leur compte dans cette affaire. Leur colonisation n’est pas celle dont rêve Donald Trump. Par ses silences, le plan leur offre donc un énorme lot de consolation : la Cisjordanie, qu’ils pourront continuer de coloniser à leur guise. On peut évidemment aujourd’hui se féliciter du cessez-le-feu, même précaire, que les premiers points du plan ont permis, ainsi que de la libération des otages et des prisonniers palestiniens. Mais c’est « l’arrière-plan » qui effraie. Il s’inscrit dans la pire tradition coloniale, avec la touche Trump. La Bible et le dollar n’ont jamais été inconciliables.
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