Moldavie : un programme pour reboiser un pays qui a perdu sa forêt

Considéré comme l’un des pays européens les plus vulnérables aux impacts du changement climatique et l’un des moins bien dotés en forêts, l’État moldave s’est embarqué il y a deux ans dans une aventure visant à planter des arbres sur 145 000 hectares.

Mathilde Doiezie  et  Alea Rentmeister  • 10 novembre 2025 abonné·es
Moldavie : un programme pour reboiser un pays qui a perdu sa forêt
Le pays s’est fixé pour objectif d’atteindre 15 % de couverture forestière d’ici à 2032.
© Godong / Robert Harding RF / robertharding / AFP

À une quinzaine de kilomètres au nord de la capitale moldave Chisinau s’étire la ville de Sireți. Leonid Boaghi, le maire trentenaire de cette commune rurale de 6 000 habitants, nous emmène sur une parcelle à l’extrémité du village. Ici, en novembre 2023, plusieurs dizaines de volontaires et d’employés du service forestier moldave ont planté des arbres par un samedi matin pluvieux. L’édile est fier de cette réalisation : son village est l’un des premiers à avoir bénéficié d’une session de plantation dans le cadre du programme national de reboisement annoncé en 2021. Aujourd’hui, les jeunes plants prennent tranquillement de la hauteur.

Leonid Boaghi est membre du Parti action et solidarité, une formation politique pro-européenne et de centre droit, fondée par Maia Sandu. Depuis 2020, la quinquagénaire préside le pays, après avoir brièvement occupé le poste de première ministre et celui de ministre de l’Éducation. Malgré sa sensibilité à la protection de l’environnement, la thématique n’était pas le fer de lance de sa campagne. Mais, quelques mois après le début de son mandat, elle a annoncé ce programme d’ampleur.

Alors que nous ne contribuons aux émissions mondiales qu’à hauteur de 0,03 %, nous sommes le pays le plus vulnérable d’Europe aux impacts climatiques.

M. Sandu

La Moldavie, petit poucet localisé entre la Roumanie et l’Ukraine, souffre d’un déficit de couverture forestière. À l’échelle du continent européen, c’est l’un des pays les moins bien dotés : 11,7 % de son territoire était recouvert de forêts en 2020, contre 38,6 % en moyenne dans l’Union européenne (UE), selon les données du service de statistiques européen Eurostat.

La Moldavie n’a pas toujours été aussi dépourvue. Au milieu du XIXe siècle, alors que le territoire était intégré dans l’Empire russe, un tiers de la surface actuelle du pays était recouvert d’arbres, d’après un inventaire des ressources naturelles de l’époque. Une superficie qui s’est progressivement dégradée sous l’influence humaine : transformation de forêts en terres agricoles, exploitation forestière intensive ou industrialisation ont tronçonné cette étendue verte. Une histoire presque banale des XIXe et XXe siècles.

Aux premières loges du réchauffement climatique

Mais ce déficit menace sérieusement le pays. « La Moldavie illustre l’injustice du changement climatique. Alors que nous ne contribuons aux émissions mondiales qu’à hauteur de 0,03 %, nous sommes le pays le plus vulnérable d’Europe aux impacts climatiques », a déclaré en novembre dernier Maia Sandu, lors de la COP29 en Azerbaïdjan. Le pays est en effet considéré comme l’un des États européens les plus vulnérables aux effets du changement climatique, d’après le Programme des Nations unies dédié pour le développement (Pnud), qui intervient sur place.

Le climat y devient de plus en plus chaud et sec, les sécheresses sont de plus en plus fréquentes et longues, les inondations soudaines et les phénomènes météorologiques extrêmes. Les projections climatiques estiment que les températures moyennes dépasseront de 2 à 3 °C celles du début de l’ère préindustrielle dès 2050. Et ce, alors que l’économie demeure très dépendante du secteur agricole. D’après le Pnud, ces conditions sont déjà responsables de pertes économiques annuelles à hauteur de 2,13 % du PIB.

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Consciente de ces effets délétères, la Moldavie a décidé d’attaquer le mal en plantant des racines. Car les arbres séquestrent non seulement du carbone pour ralentir le réchauffement climatique, mais contribuent aussi à limiter l’érosion des sols, à améliorer leur qualité, à y retenir l’eau, à enrichir la biodiversité…

En Moldavie, nous avons beaucoup de terres abandonnées, de terres improductives, une végétation invasive…

A. Lozan

« En Moldavie, nous avons beaucoup de terres abandonnées, de terres improductives, une végétation invasive… Avoir de nouvelles forêts peut en théorie aider à résoudre de nombreux problèmes climatiques ou hydrologiques, et répondre aux besoins de la population en matière d’accès à du bois ou à la nature », détaille Aurel Lozan, ingénieur forestier moldave.

Lordanca-Rodica Iordanov a fait appel à lui et à d’autres spécialistes de l’environnement, lorsqu’elle était secrétaire d’État puis ministre de l’Environnement entre 2021 et 2024. Leurs échanges ont permis d’établir un cahier des charges concret pour le programme fin 2022. Le pays s’est fixé pour objectif d’atteindre 15 % de couverture forestière d’ici à 2032, même si 25 % étaient en réalité nécessaires pour s’adapter et lutter vraiment contre les effets du changement climatique.

15 000 hectares (re)plantés

Pour parvenir à ce premier pallier, le gouvernement prévoit de planter des arbres sur 110 000 hectares et de réhabiliter 35 000 hectares de forêts dégradées, soit 145 000 hectares au total. Deux ans après l’implémentation du programme, 15 000 hectares ont été (re)plantés, soit un dixième de ce qui est attendu pour 2032. « La Moldavie n’a jamais eu un programme aussi ambitieux pour les forêts, estime Aurel Lozan. Inévitablement, cela signifie aussi qu’il y a des challenges auxquels faire face. »

Il est compliqué de planter dans les zones très arides, de préparer les sols, d’avoir accès à des jeunes plants.

L-R. Iordanov

Celui du financement, d’abord. Car l’État moldave n’a pas les moyens d’assumer lui-même son intégralité, estimée à l’équivalent de 780 millions d’euros. Alors il s’est tourné vers l’extérieur. Parmi les soutiens trouvés : la Banque d’investissement européenne et l’Agence française pour le développement. Cette dernière a accordé un prêt de 40 millions d’euros et une assistance technique assurée par des membres de la Société forestière de la Caisse des dépôts, qui épaulent les autorités moldaves pour moderniser le cadre juridique, institutionnel et technique du secteur forestier, en suivant les objectifs d’adhésion à l’UE, à laquelle la Moldavie a candidaté en 2022.

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Le programme de reforestation et d’afforestation moldave s’inscrit ainsi dans une réforme plus large du secteur, avec l’adoption d’un nouveau code forestier – créant de nouvelles mesures contre le braconnage, l’exploitation forestière illégale ou les incendies – et la restructuration de l’agence forestière afin de séparer les fonctions de gestion et de contrôle.

Création d’un centre de semences et des pépinières

Lordanca-Rodica Iordanov confesse aussi les obstacles auquel l’État a fait face au lancement du programme : « Il est compliqué de planter dans les zones très arides, de préparer les sols, d’avoir accès à des jeunes plants, d’éviter que les jeunes cerfs mangent les pousses d’arbres… Sans compter la nécessité de matériel et de ressources humaines. » L’agence forestière Moldsiva ne compte pas assez de personnes pour assurer toutes les plantations.

L’État compte donc sur des sessions participatives, auxquelles sont conviés les citoyens intéressés, ainsi que sur la libéralisation du secteur pour contribuer à la surveillance et à l’entretien des parcelles. L’acquisition de nouveaux équipements l’an dernier va néanmoins faciliter et accélérer ces sessions. La création d’un Centre national de génétique et de semences forestières, et de nouvelles pépinières sont également prévues.

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Car, pour le moment, le pays est sous-doté en la matière. Ce qui a conduit, lors des deux premières années, à la plantation de nombreux robiniers faux-acacias, une espèce exotique pour le pays et invasive. Aurel Lozan concède cependant qu’elle en comprend certains avantages. Cette espèce peut pousser sur des sols dégradés, contrairement au chêne – arbre traditionnel du pays –, qui nécessite des sols de qualité. Elle est également réputée pour sa pousse rapide.

Nous avions vingt plants de chêne au départ. Aujourd’hui, nous en avons fait grandir plus de 30 000.

D. Dohotaru

Le pays manque de toute façon de plants de chêne disponibles. À l’exception de ceux poussant sous les deux serres de Daniela Dohotaru et de son mari, situées dans une zone industrielle au nord de Chisinau. « Nous avions vingt plants au départ. Aujourd’hui, nous en avons fait grandir plus de 30 000 », s’enthousiasme-t-elle, plongeant ses ongles colorés dans la terre. Elle et son mari ne sont pourtant pas des professionnels du secteur. Les deux ont un autre métier à côté. Daniela est la fondatrice d’une crèche pour enfants, avec lesquels elle a déjà participé à plusieurs sessions de plantation.

Mais leur implication les soirs et les week-ends est telle qu’elle leur a permis de donner à l’État plus de 60 % de leur semis, les 40 % restant étant vendus pour compenser les investissements. Le programme de reboisement, bien sûr que Daniela y croit. Elle y met tout son cœur pour le futur de ses enfants et de ceux de sa crèche. Ce dont elle rêve ? « Plus de moyens, pour pouvoir planter plus d’un million de chênes sur un terrain. » Un pari à relever d’ici à 2032 ?

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