Victoire de Mamdani : « Seul un élan populaire peut l’emporter face aux réactionnaires »
De retour des États-Unis, où elle participait à une mission du Parlement européen sur la justice fiscale internationale, Manon Aubry revient sur la victoire de Zohran Mamdani aux élections municipales de New York.

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« Un espoir s’est levé avec la victoire de Mamdani à New York » À New York : « J’ai voté pour la première fois aux élections municipales et c’était pour Mamdani » Mamdani, la gauche qui réconcilie radicalité et réel La gauche française s’illusionne en croyant être le reflet de Zohran MamdaniDans les États-Unis de Donald Trump, l’élection de Zohran Mamdani à la mairie de New York est une énorme bouffée d’espoir. Mais c’est aussi une leçon politique pour la gauche occidentale. Si évidemment chaque situation politique a ses réalités nationales propres, quelques enseignements peuvent être néanmoins tirés de cette élection municipale.
Mamdani maire de New York, c’est le signal qu’une autre gauche, et avec elle un autre monde, est possible. L’establishment démocrate a choisi ces dernières années de se ranger derrière les intérêts des grandes entreprises, de se vautrer dans la complicité du génocide à Gaza et de donner le point aux Républicains sur le renforcement de la lutte contre l’immigration ainsi que sur « la question trans » qui agite les identitaires en pleine panique morale.
Les consultants du Parti démocrate conseillent en privé aux candidats démocrates d’éviter d’utiliser des termes tels que « LGBTQIA+ », « cisgenre » ou même « allié », arguant qu’un tel langage peut aliéner les électeurs modérés. Des membres de la Chambre des représentants démocrates, comme Seth Moulton, vont même jusqu’à tenir des propos ouvertement transphobes sur la participation de personnes trans dans des compétitions sportives.
Rupture
Pourtant, l’opposition absurde qui est créée entre les questions sociales et sociétales amène toujours aux mêmes résultats : on justifie d’abandonner soit les « causes sociales », soit les « causes sociétales » avant d’ensuite les abandonner elles aussi et de se réveiller un bon matin tout aussi réactionnaire que peut l’être un Républicain.
La victoire de Donald Trump, comme celle récente de Javier Milei, est d’abord la défaite de son opposition et son incapacité à créer un élan populaire.
L’effritement des différences idéologiques entre Démocrates et Républicains, entre gauche et droite, conduit les électeurs en quête d’alternance véritable à se tourner vers ceux qui recréent parfois artificiellement du clivage politique à travers une rhétorique populiste ultraconservatrice. Et face à cela, les candidatures d’Hillary Clinton puis de Kamala Harris ont été incapables de mobiliser l’électorat populaire, jeune, et ouvrier démocrate contre Donald Trump. En cela, la victoire de Donald Trump, comme celle récente de Javier Milei en Argentine, est d’abord la défaite de son opposition et son incapacité à créer un élan populaire.
Les coups de boutoir de Donald Trump ne visent qu’à provoquer la sidération et la diversion face à ses propres incuries. La léthargie et l’effet de désorientation qu’ils provoquent chez les Démocrates ne sont possibles que parce que ces derniers ont abandonné les classes populaires au sort de l’ultralibéralisme économique. Si une partie de la gauche préfère se laisser dicter l’agenda politique par l’extrême droite, alors elle périra. Face à cette capitulation idéologique de l’establishment démocrate, les Democratic Socialists of America (DSA) portent une réelle rupture avec le monde politique, économique et médiatique actuel.
Cette aile gauche des Démocrates replace la gauche à l’offensive.
En portant les deux candidatures à l’élection présidentielle de Bernie Sanders et l’élection d’Alexandria Ocasio-Cortez au Congrès, puis celle de Zohran Mamdani à New York, cette aile gauche des Démocrates replace la gauche à l’offensive. C’est avec lui que nous nourrissons des liens de solidarité internationale, et c’est à lui que la France insoumise s’identifie outre Atlantique.
La gauche qu’incarne Zohran Mamdani est celle qui assume la radicalité de ses propositions et qui préfère contre-attaquer frontalement aux attaques subies, souvent racistes, quand elle ne les tourne pas en dérision, plutôt que de s’en excuser. À New York, Mamdani a levé tous les tabous de la gauche américaine :
- Il n’a pas peur de dire qu’il est un immigré de confession musulmane qui fait de la lutte contre le racisme une de ses priorités ;
- Dans le pays de Joseph McCarthy [architecte de la chasse aux sorcières à partir de 1950, N.D.L.R.], il assume une identité politique socialiste ;
- Il ne détourne pas le regard sur la Palestine. Au contraire, il a promis d’appliquer le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale et d’arrêter Benjamin Netanyahou s’il revenait à New York (qui, on le rappelle, est le siège des Nations unies). La récente convention des DSA [un règlement sur les plateformes numériques, N.D.L.R.] à Chicago a ainsi placé résolument son action dans la lutte contre le génocide en Palestine.
Avant même qu’il soit élu, Zohran Mamdani a créé un rapport de force avec le capital pour rendre New York moins chère, y compris quand les intérêts des riches sont défendus par les élus démocrates. Si la campagne de Zohran Mamdani a pu créer un tel élan populaire, c’est qu’elle s’appuie sur des propositions radicalement concrètes : gel des loyers, service public de la petite enfance, bus gratuits, et taxation des plus riches. C’est la démonstration matérielle qu’un projet d’amélioration concrète de la vie avec des politiques de rupture peut mobiliser les classes populaires.
Zohran Mamdani rappelle que la politique se fait d’abord sur le terrain, au plus près de celles et ceux que nous devons défendre.
Mais si les classes populaires ont porté Mamdani jusqu’à la victoire, les oligarques ne s’y sont pas trompés non plus dans la défense de leurs propres intérêts. Vingt-six milliardaires ou familles milliardaires ont injecté au total plus de 22 millions de dollars dans la campagne électorale, notamment pour le principal concurrent de Mamdani : le harceleur sexuel et renégat de la primaire démocrate Andrew Cuomo.
Reconquérir un électorat
Face à cette débauche de moyens financiers, Mamdani y a opposé le nombre et la force des gens : il a bénéficié de 40 000 contributeurs, pour un don moyen de 98 dollars (le plus faible parmi toutes les campagnes). Et surtout, plus de 50 000 personnes se sont engagées dans sa campagne et ont fait du porte-à-porte. En tout, 1 % de la population a déjà participé à des actions de campagne, pour beaucoup d’entre eux, c’était la première fois qu’ils participaient à une action politique.
La victoire de Mamdani montre que ce n’est pas en diluant le libéralisme économique que l’on gagne.
Résultat : une participation record à une primaire depuis 1989. Signe que pour gagner, rien ne sert de rassurer l’establishment, mais il est bien plus efficace d’aller reconquérir un électorat éloigné de la politique. Quand certains élus font de la politique à coups de planches à billets dans le cénacle des institutions, Zohran Mamdani rappelle que la politique se fait d’abord sur le terrain, au plus près de celles et ceux que nous devons défendre. Il démontre que ce ne sont pas les sondages qui font les élections – ils le créditaient alors d’1 % des suffrages il y a peine un an, mais bien la force et la cohérence de la ligne politique défendue.
À l’heure où les sociaux-démocrates du continent européen et de France espèrent gagner quelques bons points pour leur esprit de respectabilité et leur capacité de négociation, la victoire de Mamdani montre que ce n’est pas en diluant le libéralisme économique que l’on gagne mais en le combattant pied à pied. Et qu’enfin le pouvoir des gens peut l’emporter sur celui de l’argent.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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