Comment le RN a monté en épingle l’enfarinement de Bardella pour s’attaquer aux syndicats
Après avoir qualifié son enfarinement de « non-événement », Jordan Bardella et des députés du Rassemblement national ont été jusqu’à interpeller le ministre de l’Éducation nationale pour infamer les « syndicats d’extrême gauche » qui encourageraient « la violence politique ».

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De son côté, l’enfarineur, un jeune de 17 ans, lycéen à Vesoul, est placé en garde à vue près de 24 heures pour « violence sur personne chargée d’une mission de service public ». Jordan Bardella, ainsi que les députés RN de Haute-Saône Émeric Salmon et Antoine Villedieu, dépose plainte. Mais « l’affaire » ne fait que commencer.
Le lendemain de l’enfarinement, dans un courrier daté du 26 novembre, Antoine Villedieu et Émeric Salmon écrivent à la directrice académique pour « attirer son attention » sur un témoignage de parent d’élèves, relayé dans « Les Grandes Gueules » sur RMC. « Ce qui m’interpelle », disait le témoignage anonyme, « c’est que les profs disaient aux enfants de ne pas faire de selfie avec Bardella. Ils orientent le discours et dirigent les gamins ».
Dans leur courrier à la directrice académique, les députés évoquent une « atteinte au principe de neutralité » et demandent d’indiquer si « des éléments internes confirmaient, infirmaient ou contextualisaient le témoignage », de préciser « le cas échéant » quelles « mesures d’encadrement » étaient envisagées et de les « tenir informés des suites administratives éventuelles ».
Que des jeunes expriment leur désaccord à l’égard d’un responsable politique visiblement en campagne est une réalité démocratique.
Syndicats
Deux jours plus tard, les organisations syndicales FSU 70 et CGT 70 publient un communiqué. « Transformer un geste symbolique, certes inapproprié mais sans aucune conséquence matérielle ni physique, en deux plaintes successives relève du spectaculaire plus que du raisonnable », écrivaient-ils. « L’élève mis en cause est connu de toute la communauté éducative pour son sérieux et son comportement irréprochable. »
Ils poursuivaient : « Que des jeunes expriment leur désaccord à l’égard d’un responsable politique visiblement en campagne est une réalité démocratique. Non, la jeunesse n’est pas uniformément ralliée à Jordan Bardella ni au RN. »
« Le sentiment qu’ils réclament au gouvernement de nous fliquer »
Il n’en fallait pas plus pour que le Rassemblement national fustige « les syndicats d’extrême gauche » dans un communiqué du 29 novembre. Les élus corsent leur interprétation du témoignage du parent d’élève. Pour eux, il « fait état, d’une possible incitation, au sein du lycée Belin, à adopter un comportement politique hostile lors de cette visite ». Pour eux, le communiqué des professeurs « revient à justifier symboliquement l’usage de la violence politique ».
Ce « non-événement » que Jordan Bardella avait attribué à « probablement un manque d’éducation des parents » devient, dans ce communiqué, « un acte d’intimidation politique ». « Ça nous a fait rire qu’ils s’effarouchent de la sorte alors que notre communiqué ne légitimait aucune violence, si tant est que ce geste soit de la violence », réagit un enseignant du lycée, contacté par Politis. « Mais la réaction du RN a généré aussi un peu de colère. On a le sentiment qu’ils réclament au gouvernement et à ses représentants départementaux de nous fliquer. »
Il confirme que les professeurs du lycée ont reçu un mail de leur hiérarchie sur leur devoir de réserve. « Qu’on le veuille ou non, ça peut inciter à faire attention à ce qu’on dit », poursuit le professeur. « Je pense que dans certaines disciplines où on peut faire des parallèles avec l’actualité, par exemple sur l’histoire des années trente, ça peut mener à de l’autocensure. »
Notre rôle n’est pas de dire aux élèves ce qu’ils doivent penser mais qu’ils doivent penser. Et c’est peut-être ce qui gêne le RN.
« Je ne suis pas sûr que beaucoup de gens changent leur façon d’enseigner, même si le RN tente de mettre la pression », estime un autre professeur du lycée qui se dit « surpris de l’ampleur médiatique de cet événement ». Il tient à rappeler qu’en tant qu’enseignants, « notre rôle n’est pas de dire aux élèves ce qu’ils doivent penser mais qu’ils doivent penser. Et c’est peut-être ce qui gêne le RN qui ne veut pas toucher à la raison mais à l’émotion ».
De la farine à « l’irréparable »
Mercredi dernier lors des questions au gouvernement, la lecture des faits par le Rassemblement national est encore plus amplifiée. « Des enseignants politisés auraient encouragé des adolescents à contribuer à un climat de violence envers des élus de la nation », clame Émeric Salmon en interpellant le ministre de l’Éducation nationale, Édouard Geffray. Il évoque une « violation gravissime du devoir de neutralité » et présente le communiqué des syndicats comme un soutien « public à l’auteur de cette violence politique ».
Parlant toujours de l’enfarinement, le député questionne le ministre, le ton plein d’emphase : « Demain que direz-vous quand ceux que l’on a encouragés ou légitimés feront un pas de plus vers l’irréparable ? » ; « Allez-vous enfin condamner clairement les syndicats d’extrême gauche qui justifient la violence politique notamment au sein de l’Éducation nationale ? »
Sur une éventuelle incitation à la violence, à ma connaissance il n’y en a pas eu.
É. Geffray
« Sur une éventuelle incitation à la violence, à ma connaissance il n’y en a pas eu », répond le ministre de l’Éducation nationale après avoir appelé la Dasen et la rectrice d’académie. Lui aussi avait reçu un courrier des deux députés du RN, évoquant le témoignage relayé sur RMC. Il note au passage la déformation des faits opérée par les députés du RN : « Vous faisiez état de faits selon lesquels les élèves auraient été incités non pas à commettre des actes de violences mais à ne pas se faire photographier ».
Une lecture des faits qui contraste avec la réaction qu’avait eue Jordan Bardella lorsqu’en 2017, Emmanuel Macron avait été visé par un œuf, au salon de l’agriculture. « Quoi de n’œuf Emmanuel Macron ? », ironisait Jordan Bardella dans un tweet. Une analyse de ce qu’est la violence politique qui contraste aussi avec des faits révélés récemment par Streetpress sur le collaborateur parlementaire d’Antoine Villedieu, Jean-Eude Le Moulec. Comme l’a révélé cette enquête, ce dernier publie sur un compte Instagram, suivi par 15 000 personnes des visuels néofascistes prônant la violence politique « voire l’appel au meurtre ».
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