Qui a peur de CNews ?

Face à un média clairement d’extrême droite, la frilosité de l’Arcom, le « gendarme de l’audiovisuel », intrigue et inquiète.

Denis Sieffert  • 2 décembre 2025
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Qui a peur de CNews ?
© Maxime Sirvins

Il faut toujours revenir à Gramsci (1891-1937). Le penseur communiste italien, mort dans les geôles de Mussolini, a théorisé l’importance de la bataille culturelle dans la conquête du pouvoir. Au début du siècle dernier, il s’agissait de combattre l’hégémonie idéologique de la bourgeoisie. Mais il y a bien un demi-siècle que la droite a détourné à son profit les enseignements de Gramsci. On se souvient du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece) d’Alain de Benoist, pionnier de cette récupération. Par la suite, Marion Maréchal et même Nicolas Sarkozy, convaincus que les idées « de gauche » étaient devenues hégémoniques, ont inventé le concept dit métapolitique de « gramscisme de droite ». Ils ont trouvé en Vincent Bolloré un praticien d’une redoutable efficacité.

La propagande d’extrême droite ne procède pas seulement de la couleur politique des chroniqueurs mais des thèmes traités.

C’est dans ce cadre qu’il faut resituer l’affaire CNews. On en connaît l’historique. L’ONG Reporters sans frontières (RSF) a démonté, chiffres à l’appui, l’imposture de la chaîne phare de la galaxie Bolloré qui arguait de son pluralisme, contre toute évidence. RSF a démontré que pour rééquilibrer la statistique CNews diffusait en pleine nuit des discours « de gauche » aussi interminables qu’inaudibles. On cite l’exemple d’une logorrhée d’une heure vingt de François Hollande diffusée sans interruption, et plusieurs fois, quand les Français dorment du sommeil du juste.

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Cette grossière manip sauterait aux yeux d’un enfant de 10 ans, mais elle a échappé, semble-t-il, à l’Autorité de régulation (Arcom), qui ne voit pas non plus ce que l’enquête de RSF a mis au jour, à savoir que la propagande d’extrême droite ne procède pas seulement de la couleur politique des chroniqueurs mais des thèmes traités. Une islamophobie obsessionnelle et compulsive qui alimente le fonds de commerce de Bardella et de Zemmour. Ce qui intrigue et inquiète dans cette affaire, c’est le rôle de l’Arcom. L’organisme que l’on qualifie de « gendarme de l’audiovisuel », qui avait connaissance du document de RSF, a cru urgent de lui apporter un « démenti » quelques heures avant la diffusion de l’émission de France 2, « Complément d’enquête », sur le sujet.

On ne parlera pas encore d’hégémonie culturelle, mais déjà d’un poison qui se diffuse bien au-delà de la chaîne Bolloré. Soit par la peur qu’elle inspire jusque dans nos institutions, soit par la contagion qui atteint d’autres médias. Ici, c’est un transfuge de CNews qui débarque tout à la fois sur France Info, France 5 et France Culture, et là, une journaliste, Alix Bouilhaguet, qui affirme lors de l’émission « Questions politiques » de Franceinfo et France Inter du 23 novembre, parmi d’autres monstrueuses contrevérités de sa part, que le maire de New York, Zohran Mamdani, appelle à « faire la guerre aux juifs » (2). CNews n’aurait pas fait pire.

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Dans une lettre ouverte adressée à la journaliste, le site Blast fait l’inventaire des dérapages dont elle est coutumière.

Pas besoin de voyager dans l’histoire, il suffit de regarder ce qui se passe actuellement aux États-Unis, en Russie ou en Israël pour observer les ravages de la propagande. Il est difficile de savoir où en est l’opinion russe entre la terreur qu’inspire le régime de Poutine et la crédulité d’un public soumis à un discours exclusif qui martèle l’idée qu’il faut « dénazifier » l’Ukraine, mais on sait qu’une partie au moins de la société est captive. En Israël, des années de propagande ont contribué à déshumaniser les Arabes.

Le peuple n’a pas toujours raison. Il peut se tromper lourdement quand il est travaillé longtemps par le mensonge.

Les images de l’exécution sommaire par des soldats de deux Palestiniens, le 27 novembre à Jénine, n’ont guère suscité d’indignation. Pas plus que les meurtres auxquels se livrent des colons en Cisjordanie. S’il fallait dater cette indifférence approbatrice, il faudrait sans doute remonter au début de la seconde intifada, en 2001. Souvenons-nous qu’en 1982 le massacre commis dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila avait donné lieu en Israël à d’énormes manifestations. Nous en sommes loin aujourd’hui.

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Chez nous, on en est à affaiblir les pôles de résistance. La commission d’enquête sénatoriale initiée par Éric Ciotti contre l’audiovisuel public, sans parler du projet de holding de Rachida Dati, montre que la guerre culturelle de l’extrême droite remporte des batailles plus que symboliques. Que CNews triche avec le devoir légal de pluralisme n’est guère étonnant. Mais que les membres de l’Arcom soient dupes, ou fassent mine de l’être, témoigne de la vulnérabilité de notre démocratie. Il faut redire ici, contre toutes les naïvetés, que le peuple n’a pas toujours raison. Il peut se tromper lourdement quand il est travaillé longtemps par le mensonge. Car la démocratie ne commence pas dans les urnes.

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