En Allemagne, une mobilisation massive contre l’extrême droite
Près de 50 000 personnes venue de tout le pays se sont rassemblées ce week-end à Gießen pour empêcher le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) de reformer sa faction jeune, auto-dissoute huit mois plus tôt.

© Jens Volle
Vendredi 28 novembre, dans le froid et la nuit de Dresde, capitale du Land de Saxe en Allemagne, 450 jeunes militants antifascistes grimpent dans neuf bus direction Gießen, en Hesse. Ils arriveront à six heures le lendemain pour bloquer et manifester devant le parc des expositions, où se tient un congrès de l’Alternative für Deutschland (AfD).
Le parti d’extrême droite allemande vise à refonder son mouvement de jeunesse Junge Alternative (JA), auto-dissout en mars dernier par précaution, après avoir été désigné par l’Office fédéral de prévention de la Constitution (BfV) comme étant « d’extrême droite avérée ». En cause, sa proximité avec des mouvances identitaires, des scandales concernant des entraînements paramilitaires et des propos racistes qui inquiétaient jusqu’au sein du parti-mère. Ce samedi 29 novembre, l’ancienne organisation a revu le jour sous un autre nom.
Un ravalement de façade qui ne passe pas. L’alliance antifasciste nationale widersetzen (qui signifie résister), créée en 2024 et qui regroupe plus de 80 groupes locaux, syndicats, initiatives et diverses organisations antiracistes, antifascistes, et pro-climat, a décidé d’organiser des actions de désobéissance civile pour empêcher la tenue de ce congrès. Plus de 200 bus au départ de 70 villes d’Allemagne ainsi que des trains réservés pour les manifestants ont convergé vers Gießen, ville de 90 000 habitants, située au nord de Francfort.
Venus de toute l’Allemagne
« Je suis plein d’espoir de voir que 15 000 militants venus de toute l’Allemagne bloquent aujourd’hui les routes avec widersetzen pour défendre notre démocratie, se réjouit Anton Festag, porte-parole de l’alliance locale de Dresde. Pourtant, il est triste de constater que nous devions en arriver là pour prévenir le fascisme, alors même que l’organisation devait être interdite par l’Office fédéral pour la protection de la Constitution », ajoute le militant de 16 ans.
À l’approche de Gießen, au petit matin, chacun enfile des couches de vêtements supplémentaires, une lampe frontale et un gilet jaune. Alors qu’une dizaine de fourgons de police dépassent les bus, la tension monte parmi les jeunes activistes surpris, qui n’avaient pas anticipé l’arrivée des autorités. Les cars s’arrêtent après une sortie d’autoroute. Les militants descendent dans la hâte, s’organisent en un long cortège et rejoignent une voie rapide en traversant les lotissements et les champs, scandant des chants antifascistes (« Hourra, les antifas sont là ! »).
Stoppées par une première rangée de policiers, les centaines de militants la contournent au milieu des arbres et poursuivent leur avancée vers l’autoroute où ils établissent un point de blocage, qu’ils tenteront de maintenir toute la journée. Parallèlement à ces blocages à l’ouest, des manifestations ont débuté dès six heures du matin à la gare de Gießen. Accompagnés de fanfares, jeunes, étudiants, et syndicats, Omas gegen Rechts (les grands-mères contre l’extrême droite, NDLR), tous ont convergé vers les abords de la salle des congrès.
Il est inenvisageable que l’AfD acquiert encore plus de pouvoir et de puissance.
Julia
« Il est inenvisageable que l’AfD acquiert encore plus de pouvoir et de puissance. Je travaille avec des enfants. Si la droite conservatrice et l’extrême droite se renforcent encore, je suis inquiète pour eux, mais aussi pour toutes les personnes qui ne sont pas privilégiées, qui sont racisées ou queers », commente Julia, venue de Wurtzbourg, en Bavière. Amassés face à des policiers nombreux et des camions à eau menaçants derrière lesquels se devinent des membres de l’AfD, les manifestants restent sur place jusqu’en début de soirée.
Violences policières
En début de matinée, 20 blocages d’autoroutes, de nationales et départementales menant au parc des expositions retardent le rassemblement de l’AfD. Moins d’une cinquantaine de soutiens au parti d’extrême droite ont réussi à atteindre le congrès. Selon les autorités, 15 000 personnes ont bloqué les accès à la ville. Non sans une répression policière dénoncée par widersetzen, qui avait pourtant déclaré dans son « consensus d’action » ne souhaiter aucune escalade. Mais, face à l’ampleur du mouvement constitué sur les réseaux sociaux, 6 000 policiers du Länder et fédéraux ont été déployés, entraînant plusieurs confrontations, et des violences à l’égard de militants selon l’alliance antifasciste.
Dans un blocage au sud de la ville, deux groupes de militants se sont formés « quand la police a d’abord utilisé les canons à eau sur la foule malgré les températures glaciales. Ils ont diffusé du spray au poivre à quelques centimètres de nos visages et ont porté des coups de matraque. Une trentaine de militants ont été pris en charge par les secours », raconte par exemple Jule, membre de widersetzen.
Malgré les coups portés par la police et l’intrusion de partisans de l’AfD, cette journée d’action demeure un véritable succès. Selon widersetzen, 50 000 personnes y ont participé, faisant de cette manifestation une des plus grandes mobilisations antifascistes de l’histoire de la République fédérale d’Allemagne. À la mi-journée, quelque 500 soutiens à l’Afd patientaient dans un parc des expositions silencieux et attendaient l’arrivée retardée des responsables du parti, Alice Weidel, Björn Höcke et Tino Chrupalla, escortés par la police.
Radicalisation
Le rassemblement auquel ont finalement assisté 800 personnes s’est tout de même tenu. L’organisation de jeunesse de l’Afd s’est reformée, sous le nom de Generation Deutschland. Alice Weidel, présidente de l’Afd, espère exercer un plus grand contrôle sur la faction jeune de son parti, considérée comme étant la relève mais n’en demeure pas moins radicale.
Désigné ce week-end, son nouveau représentant Jean-Pascal Hohm, un député Afd du Brandebourg, entretient des liens étroits avec le parti Mouvement identitaire, malgré l’interdiction officielle des membres de l’Afd de coopérer avec ce parti classé comme menace potentielle à la démocratie par le BfV. Jean-Pascal Hohm adhère par exemple, au concept de remigration ethnique. Par sa promotion d’idées völkische (raciales nationalistes, N.D.L.R.) au sein du parti, il pourrait ainsi radicaliser davantage les membres de Generation Deutschland.
De quoi faire redoubler les inquiétudes, mais aussi la volonté de se mobiliser pour la jeunesse antifasciste. Lors d’une conférence de presse ce dimanche, widersetzen a d’ores et déjà annoncé une grande journée de blocages et de manifestations le 4 juillet prochain, en marge du jour du parti de l’AfD, qui se tiendra à Erfurt, en Thuringe. Pour continuer d’affirmer haut et fort que l’Afd et Generation Deutschland ne représentent pas la jeunesse allemande.
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