Jours de vote au PCF

Michel Soudais  • 17 juin 2011
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Jean-Luc Mélenchon, André Chassaigne, Emmanuel Dang Tran


Les militants communistes sont appelés aux urnes depuis hier et jusqu’à samedi pour un scrutin inédit et incertain. Inédit parce que c’est la première fois que les adhérents du PCF désignent leur candidat à l’élection présidentielle en ayant le choix entre plusieurs candidatures: Jean-Luc Mélenchon, André Chassaigne ou Emmanuel Dang-Tran. Inédit aussi parce que le premier de ses candidats, qui a déjà reçu le soutien de 63,6% des délégués à la conférence nationale que le PCF organisait les 3-5 juin, n’est pas issu de leurs rangs et que sa désignation constituerait «un geste fort que donneraient les communistes de leur volonté unitaire» (dixit Marie-George Buffet).
Mais le résultat de ce scrutin, qui sera rendu public dimanche en fin de matinée, n’est pas joué. D’abord parce que les délégués à la conférence nationale ont opté pour des «primaires» qui ne disent pas leur nom, les militants conservant le choix entre les trois candidats encore déclarés, après le retrait d’André Gérin. Ensuite parce que la préférence exprimée par les 672 délégués à la conférence nationale ayant participé au vote ne reflète pas forcément celle des quelques 130.000 adhérents communistes du fait de l’écrémage inévitable auquel donne lieu la composition des délégations dans n’importe quel congrès.

Certes les communistes ont montré à plusieurs reprises leur attachement au Front de gauche ; on se souvient notamment que, fin 2009, consultés sur les régionales, 17 régions sur 22 avaient fait ce choix. Or deux des trois formations constitutives de cette alliance, le Parti de gauche et la Gauche unitaire, ainsi que la FASE, qui le week-end dernier a décidé de le rejoindre, ont déjà fait le choix de Mélenchon. Cela devrait peser en faveur du député européen comme l’engagement de la direction du PCF en faveur de sa candidature, rappelé encore mercredi par Pierre Laurent dans un entretien à {: class= »spip-document text-center »}l’Humanité , et le choix de la conférence nationale rappelé sur le bulletin de vote (ci-dessous).
Bulletin de vote
Mais alors que toute logique de «primaire» était exclue depuis des mois par les partis composant le Front de gauche, M. Mélenchon se voit finalement opposé au député PCF auvergnat André Chassaigne, qui se dit lui aussi favorable au Front de gauche. A priori il n’y a pas de raison de mettre en cause cet engagement sauf que… André Chassaigne en a une conception qui, toute caricature bannie, conçoit le Front de gauche comme un rassemblement autour du PCF, qui en serait dès lors le guide principal sinon unique. Sauf que, surtout, le député du Puy-de-Dôme est désormais soutenu, comme on pouvait l’imaginer, par une coalition hétéroclite composé de partisans du Front de gauche qui préfèrent «le style Chassaigne» au «style Mélenchon», ou souhaitent que ce soit un communiste qui représente ce Front à la présidentielle, ou encore réclament que le « programme partagé » comporte plus de propositions communistes[^2]; à quoi s’ajoutent les opposants au Front de gauche qu’ils soient partisans d’accords (locaux voire nationaux) privilégiés avec le PS ou qu’ils croient, comme André Gérin, qu’un Parti communiste qui reproduirait les vieux discours de son histoire renouerait seul avec le succès.


André Gérin à l'annonce de son retrait pour André Chassaigne, le 5 juin.


Ce dernier, en annonçant son retrait , puis en appelant au rassemblement derrière André Chassaigne, n’a pas caché son objectif, en espérant que le vote des communistes «permettra d’ouvrir une nouvelle page pour l’avenir du PCF» : « Il est possible que Jean-Luc Mélenchon soit mal ou pas élu du tout. Il peut être placé en deuxième position derrière André Chassaigne. (…) Si Jean-Luc Mélenchon n’est pas désigné, il n’y aura plus de Front de gauche. Le scénario construit depuis des mois sera complètement remis en question. Nous allons assister à un petit séisme politique place du Colonel Fabien. »

Le troisième candidat, l’«identitaire» Emmanuel Dang Tran , responsable d’une section PCF parisienne opposé au Front de gauche craint de son côté ne pas faire le plein de ses voix, bon nombre de ses soutiens étant tentés eux aussi de voter Chassaigne pour en finir avec le Front de gauche et désavouer la direction du PCF.

«L’instrument de tout ce qui tire le PCF en arrière.»

André Chassaigne a beau clamer sur son blog que son «offre de candidature ne souffre d’aucune sorte d’instrumentalisation» , «elle est dépassionnée, sincère» et «dénuée de considérations boutiquières» , les faits sont têtus. Sa candidature est devenue comme l’écrit Jean-Paul Duparc, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire communiste Le Patriote Côte d’Azur , «l’instrument de tout ce qui tire le PCF en arrière» . Et le bulletin de vote dont se saisissent la plupart des opposants à la direction du PCF.

André Chassaigne

Les risques d’une telle fronde n’ont pas échappé à l’entourage de Pierre Laurent. Bob Injey, le premier, est monté au créneau sur son blog pour dénoncer la «petite manœuvre politicienne» d’André Gérin et avertir: «Si les communistes choisissaient André Chassaigne, l’accord actuel du Front de Gauche serait remis en cause et notre entrée en campagne serait retardée.» Marie-George Buffet elle-même est intervenu plusieurs fois pour justifier le choix de Jean-Luc Mélenchon. Avec deux autres députés, Roland Muzeau et Jean-Claude Sandrier, elle a, la semaine dernière, estimé que la candidature Mélenchon associée à «l’objectif d’obtenir de nombreux députés communistes» pour un «groupe parlementaire fort» , devaient être «largement soutenus» . «Choisir l’accord avec le Front de gauche, c’est repousser le spectre de nouvelles divisions, aussi dévastatrices pour les luttes que suicidaires politiquement» , écrivaient-ils.

Derrière le vote Mélenchon ou Chassaigne c’est bien aussi et surtout une bataille politique qui se joue au sein du PCF , comme l’indique un intéressant commentaire posté sous un précédent article de ce blog. D’où l’incertitude de ce scrutin.


[^2]: C’est le cas des nostalgiques de Georges Marchais regroupés autour de Nicolas Marchand. Voir leur tribune sur le Post.

Temps de lecture : 6 minutes
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