Courrier des lecteurs Politis 951

Politis  • 10 mai 2007 abonné·es

Travail, famille, patrie, pognon !

Durant les derniers jours de la campagne électorale qui vient de s’achever, il a été souvent dit que nous risquions l’arrivée au pouvoir de la droite la plus dure depuis Vichy. Nous y sommes. Elle est là, et les élections législatives qui s’annoncent ne sont pas destinées, d’emblée, à diminuer son pouvoir. Il va falloir, très vite, aujourd’hui, sans attendre, nous mobiliser au plus fort de nos énergies pour que ceux qui ont été séduits par ce discours de l’ordre, de l’autorité, du respect, du mérite, ce discours qui veut en finir avec la repentance, qui liquide l’héritage de Mai 68, comprennent l’avenir qui les attend. L’avenir qui nous attend. Allons-nous renoncer à nos libertés, si chèrement acquises, si difficilement maintenues, si fragiles ?

Notre chance est faible de renverser la tendance qui vient de s’exprimer, mais, si nous voulons regarder nos enfants dans les yeux, nous ne pouvons pas renoncer. Si nous voulons qu’ils nous croient quand nous leur dirons que nous avons tout fait pour éviter « ça », nous devons agir.

Comment continuer, comme si de rien n’était, dans la République d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ? Comment continuer, comme si de rien n’était, dans la République des peines accrues pour les mineurs délinquants ? Comment continuer, comme si de rien n’était, dans la République qui s’oppose au regroupement familial ? Comment continuer, comme si de rien n’était, dans la République du travail obligatoire ? Comment continuer, comme si de rien n’était, dans la République du droit génétique, de la chance aux plus forts, aux plus riches, aux plus méritants ? Comme si on choisissait d’être fort, riche, méritant ! Comme si tout n’était qu’une question de volonté individuelle !

Comment continuer, comme si de rien n’était, dans la République des services publics démantelés ? Prenons-le donc au mot, ce programme qui promet une vie meilleure avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux ! Un fonctionnaire sur deux en moins… Parce que ça ne travaillerait pas, un fonctionnaire ? Parce que ça serait inutile, un fonctionnaire ? Parce que ça ne ferait que prendre l’argent du « bon peuple » pour se construire une retraite dorée, un fonctionnaire ? Mettons-nous en arrêt ! De travail, de service public, de bénévolat pour toutes ces tâches que nous accomplissons bien au-delà de ce qu’exigent nos missions. Allons-nous, sans broncher, appliquer les décisions, les politiques, les décrets de cette République-là ? Aurions-nous, sous Vichy, continué comme si de rien n’était ? Allons-nous le faire aujourd’hui ?

Le pouvoir qui s’installe est le résultat des dérives idéologiques qui ont conduit la droite vers l’extrême droite : le pouvoir à tout prix, même au prix du renoncement aux valeurs humanistes qui étaient le socle commun de notre culture collective depuis plus de cinquante ans. C’est la démagogie qui vient de gagner, le populisme le plus odieux, celui qui fait croire aux petits que les gros vont les protéger. Avant de les détruire. Après les avoir cruellement exploités. Allons-nous laisser faire ça ?

Maryse Souchard (maître de conférences à l’université de Nantes)

Un honnête Français chrétien…

Je suis un honnête Français chrétien qui travaille et se lève tôt, je suis américanophile, libéral et républicain, j'[ai voté] Ségolène Royal…

Parce qu’être honnête ne m’empêche pas de rejeter tout discours politique qui stigmatise un ennemi impalpable nommé « voyou ».

Parce qu’être français ne m’empêche pas de penser que, lorsque la France reconnaît ses crimes passés, tels le colonialisme ou la collaboration, elle ne fait pas repentance mais preuve de raison.

Parce qu’être chrétien, ce n’est pas accepter un discours disant que c’est la pensée chrétienne qui a le monopole de ce que certains nomment « l’identité nationale ».

Parce que travailler et me lever tôt ne m’empêche pas de vouloir que l’État tende la main gauche plutôt que la main droite à ceux qui n’ont pas de travail.

Parce qu’être américanophile, ce n’est pas accepter l’atlantisme et le pro-américanisme primaire.

Parce qu’être libéral, ce n’est pas souhaiter l’anarchie économique et la préséance des vainqueurs du système.

Parce qu’être républicain, c’est savoir que si la gauche n’a pas le monopole du coeur, la droite n’a pas le monopole des valeurs républicaines.

Julien Bartoletti (courrier électronique)

Des veaux !

«Ce sont des veaux. Ils sont bons pour le massacre. Ils n’ont que ce qu’ils méritent. » Charles de Gaulle à propos des Français, début juin 1940…

Voilà, on y est arrivé. Un dernier petit sursaut en 2002, une ultime révolte en 2005. On le voyait venir comme le nez au milieu de la figure, la majorité a fini par se laisser emporter par ses vieux démons. Retour vers les saintes valeurs. Quelques boucs émissaires pour les petits défoulements aigres. Et, sinistre cerise sur le gâteau, un « guide suprême » depuis dimanche 6 au soir. En route pour le vilain plongeon.

D’abord, le « Travail, Famille, Patrie ». Notez bien qu’à chaque fois que, dans l’histoire, ces trois valeurs furent braillées, ça s’est terminé en eau de boudin (1914, 1940…).

Ensuite, les boucs émissaires, interchangeables selon les époques, hier les juifs, les homos et les gens du voyage ; aujourd’hui, les immigrés, les colorés, les sans-papiers, que sais-je encore ? De la chair à bonnes petites rafles et expulsions bien de chez nous (c’est déjà commencé).

Enfin, le « guide suprême ». Généralement, c’est, au choix, un petit roquet teigneux ­ Napoléon, Hitler ­ ou un gros bravache gueulard ­ Mussolini… Pour nous, ça sera le petit teigneux (Sarkozy), vu que le gros gueulard (Le Pen) est déjà passé trop vieux. […]

Je tiens la situation de notre pays aujourd’hui comme infiniment grave. Nous avons basculé de l’autre côté du rationnel, sous la menace sourde des instincts grégaires, des réflexes de peur, des pulsions autodestructrices. Je vous fiche mon billet que la dégringolade va s’accélérer et que les veaux feront mine de regarder ailleurs. Tout est en place pour le mauvais barnum.

Bizarrement, ça n’est pas à la petite frappe qui va désormais faire le Président que je pense au soir de ce lamentable scrutin. C’est à tous ceux que j’ai rencontrés ces dernières semaines : contacts professionnels, collègues de travail, voisins, familiers, proches… Ainsi donc, plus de 53 % d’entre eux ont voté pour un détraqué !

Ils avaient pourtant l’air si gentils, si aimables, si pleins d’humilité. Remarquez, non, pas tout à fait. Quand ils venaient à parler de la chose politique, ils avaient comme une crispation inquiétante au niveau des maxillaires, une dureté au niveau du regard. Le ton montait très vite ou se faisait fuyant.

J’évitais de participer aux discussions. Ils ne voulaient plus rien voir, rien entendre, c’était clair. […] Ils niaient les évidences les plus flagrantes. Comme après la libération des camps de concentration. Comme après la guerre d’Algérie…

C’était trop tard, ça ne servait plus à rien. Chacun était fixé sur son champion et n’en démordrait pas.

La situation détestable dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, c’est à votre vote que nous la devons, cher voisin, cher cousin, cher collègue, et même peut-être toi, papa ou maman, qui sait ? Je vous en tiens pour responsables. On me l’a assez répété : « Quand tu seras grand, tu seras responsable. » Vous êtes grands. Fasse que vous ne soyez pas un jour des coupables.

Je ne suis même pas en colère contre vous. Je vous plains, c’est tout.

Du mépris ? Oui c’est vrai, un peu. Mais aussi une profonde indifférence à votre égard. Ce qui va vous arriver maintenant, cher voisin, cousin, papa, maman qui vous êtes laissés aller à cette dérive, m’est indifférent. C’est votre problème. Ne nous dites pas que vous ne saviez pas, que vous ne pouviez pas prévoir. C’est faux. Vous aviez toutes les cartes à votre disposition pour juger, l’histoire du Kärcher, les rafles dans les établissements scolaires, aux restaurants du coeur, les plans sociaux massifs, les entreprises et les services publics pillés par la mafia libérale, l’homosexualité et les dépressions déclarées « génétiques »… Pas la moindre excuse.

Ne venez surtout pas pleurer après, invoquer une quelconque familiarité passée pour recoller, la catastrophe venue, les pots que vous aurez vous-mêmes pulvérisés. Je me contrefous de votre sort. Je me contenterai de vous côtoyer sans vous parler.

Vous avez pris vos responsabilités, je vais prendre les miennes, rejoindre ceux de ma meute, le plus au chaud si possible, sur ce qui nous reste de territoire, à notre rythme. Chacun chez soi comme on dit. Ou alors, si vous nous y contraignez, chacun contre l’autre.

Essayez seulement de venir piétiner notre petit territoire à nous. Vous me trouverez en face de vous. Je vous assure qu’il vous en cuira !

Je me déclare en état de sécession permanente. Ce que vous allez décider maintenant ne me concerne pas. Vos valeurs frelatées, je m’en tape. Je ne respecterai que les lois acceptables à ma conscience. Le fait majoritaire ? Un pis-aller qui ne vaut rien en regard de la conscience individuelle. Et ma conscience aujourd’hui ne va pas du tout dans le sens que votre majorité a imprimé à ce pays.

*Billet du « Yeti », posté sur le site de *Politis**

P.-S : Les propos qui précèdent, j’espère que vous les avez bien pris pour une lettre de rupture. C’en est une.

Le paradoxe du vote antilibéral

C’est un peu comme le paradoxe de « Bison futé » : lorsque la prévention routière nous dit « samedi classé noir, partez plutôt dimanche » , elle espère implicitement qu’elle sera peu écoutée, car si tout le monde en était convaincu, il n’y aurait personne sur les routes le samedi et le dimanche deviendrait noir. […]

Les appels au vote pour les différents candidats de la gauche antilibérale et écologiste ont fonctionné de la même façon. Implicitement, ils supposaient n’être qu’en partie écoutés, car s’ils l’avaient été efficacement, aucun candidat de gauche n’aurait pu être présent au second tour. C’est un paradoxe propre au mode de scrutin, qui contribue à construire le « vote utile ». D’autant que, dans le même temps, les gauches antilibérales ont réutilisé l’expression « vote utile » à leurs fins : « Le vrai vote utile, c’est le vote pour… » Ces tentatives de réappropriation ou de retournement de l’expression ont, là encore de façon paradoxale, joué l’effet inverse de celui escompté. Par l’usage même de cette expression, on mettait le doigt sur la question du vote utile et on pointait implicitement la menace d’une situation pareille à celle de 2002, contribuant ainsi, contre notre gré, au vote pour la candidate socialiste.

J.-P. Achard (courrier électronique)

La compassion

Dans un précédent numéro de Politis , une lectrice de Nancy conteste que « les faibles aient besoin de compassion » pas plus que les prolétaires du XIXe siècle n’avaient besoin de charité, ajoute-t-elle.

Pourtant, la compassion (étymologiquement : souffrir avec, partager les maux d’autrui) est, il me semble, le fondement même de l’engagement pour la « justice et l’équité » […] que revendique, par ailleurs, cette personne. La charité étant, bien entendu, autre chose.

Précarité, pauvreté, misère, angoisses, souffrances de toutes sortes, voilà qui est le lot quotidien de beaucoup d’hommes, de femmes, d’enfants, ici et plus loin.

Beaucoup d’entre nous voient, entendent et connaissent, et pourtant n’éprouvent aucune émotion particulière (l’Autre est considéré comme une « chose ») ou s’empressent de fermer les yeux, de se boucher les oreilles et s’efforcent de ne pas « penser ».

D’autres voient, entendent et connaissent la souffrance des faibles et apprennent à y être attentifs, à la reconnaître […] et se laissent toucher au plus profond d’eux-mêmes. Cet appel à la conscience est sans aucun doute la part d’humanité que chacun possède en lui-même.

Pourquoi les uns arrivent-ils à éveiller cette part d’humanité et pas les autres ? Sans doute faudrait-il faire la part de l’éducation reçue et de l’environnement social et culturel.

Si on laisse résonner en soi ce que signifie cette souffrance, on peut ressentir alors le désir de se retrousser les manches et de mettre la main à la pâte. Si on se sent réellement concerné par ce qui arrive aux autres, alors il faut se risquer à s’engager pour contribuer à faire cesser l’injustice. Peut-être cette étape de l’engagement est-elle la plus difficile à franchir ?

A. Joly (Vosges)

Debout tout le monde !

Le réveil est difficile ce lundi 7 mai : une engueulade au téléphone, ce matin, qui ne m’est pas destinée mais qui trouve en moi une écoute attentive : « Les Français sont des veaux, si c’est ce qu’ils veulent, ils vont l’avoir ! Et qu’aviez-vous à proposer, à gauche, pour éviter ça ? » Fatigue de la militante qui voit la France voter majoritairement pour tout ce contre quoi nous luttons depuis des années et des années ! Et qui, depuis quelques semaines, la menace se faisant plus forte, s’est souvent fait engueuler sur le thème : « Cette gauche qui n’a pas su, qui n’a pas voulu, ceux qui pensent à leurs intérêts partisans ! Vous n’avez pas fait, vous n’avez pas su… » En plus de la fatigue, de la déception, du temps qui passe, il faudrait servir d’exutoire à cette colère ?

Échec ? De qui ? Comment ? Pourquoi ? Et que faire ? Que faire pour que les petits, les ouvriers, les salariés, ceux qui vont s’en prendre plein les dents dans les mois qui arrivent, se lèvent, refusent ? Pour de vrai ! Ceux qui voient les riches gavés, gorgés et arrogants ! Qu’ils refusent cette « fatalité », cette « main invisible », pour de vrai ! Ceux qui voient le Sud qui meurt, qu’ils s’en indignent pour de vrai ! Ceux qui voient la planète prête à exploser, qu’ils se mobilisent pour de vrai ! Ceux qui refusent une gauche qui glisse vers la droite, qu’ils pèsent dans la balance ! Pour de vrai ! Qu’ils n’attendent de personne d’autre ce qui ne peut venir que d’eux ! Pour de vrai !

Car où sont, au quotidien de notre militantisme, ceux qui aujourd’hui paniquent, sont en colère, demandent des comptes à la gauche ! Combien sont syndiqués, combien sont dans un parti de gauche, combien militent dans l’une des associations du mouvement social !

Alors mes ami-e-s, pas de culpabilité, juste prendre ses responsabilités ! C’est l’heure de se lever et de nous y mettre ! Tous !

Bénédicte Veilhan, Arudy (Béarn)

Courrier des lecteurs
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