Une vague peut en cacher une autre

C’est en ordre dispersé que la gauche tente de résister au raz de marée annoncé de l’UMP. Derrière cet enjeu immédiat, le PS et la LCR entendent se positionner pour les échéances futures.

Michel Soudais  • 7 juin 2007 abonné·es
Une vague peut en cacher une autre

S’opposer à la vague bleue. Le mot d’ordre de la gauche est des plus simples, à la veille du premier tour des élections législatives. Mais le défi est de taille, face une droite en pleine euphorie à qui les instituts de sondages prédisent entre 41 et 43 % des voix et plus de 420 députés, plus qu’en 2002 [^2].

Illustration - Une vague peut en cacher une autre


Devant les panneaux électoraux des 27 candidats de la 1re circonscription de Paris. FEFERBERG/AFP

L’abstention, traditionnellement plus élevée aux législatives qu’à la présidentielle, est la principale hypothèque qui pèse sur le score de la gauche. En 2002, elle avait atteint les taux records de 35,58 % au premier tour et de 39,32 % au second. La proximité de la présidentielle et des législatives, renforcée par le quinquennat, joue contre la mobilisation électorale, soit que les législatives apparaissent comme une ratification du scrutin précédent, soit par effet de lassitude. Or, par tradition, l’abstentionnisme est surtout répandu dans les milieux populaires et chez les jeunes, plutôt favorables à la gauche. De nombreuses associations, inquiètes des projets du gouvernement, s’emploient à motiver les électeurs, sans se prononcer pour des candidats ou des partis politiques précis. Mais c’est principalement aux partis politiques qu’il revient d’expliquer aux électeurs que l’élection présidentielle ne donne pas tous les pouvoirs. Que la composition de l’Assemblée nationale peut influer sur la politique prônée par le président de la République, voire en imposer une autre si le scrutin envoyait siéger une majorité de députés de gauche à l’Assemblée nationale. Ce que personne à gauche ne fait même mine de croire.

Les socialistes se sont engagés dans la bataille des législatives sans espoir de la gagner. « Personne ne s’attend vraiment à un raz de marée de gauche, c’est le moins que l’on puisse dire » , admet Dominique Strauss-Kahn, mais le nombre des députés à l’Assemblée « déterminera le fait que nous ayons une démocratie vivante, ou au contraire une démocratie éteinte » . Faute de pouvoir raisonnablement l’emporter, une frange importante des dirigeants socialistes mettent dans ce scrutin d’autres enjeux que l’équilibre des pouvoirs entre la présidence de la République et le Parlement, la droite et la gauche. Au Zénith, où le PS tenait un meeting le 29 mai, Ségolène Royal, qui n’est pas candidate à ce scrutin, a ainsi appelé sans détour les électeurs à « voter pour une opposition nouvelle » . « J’ai besoin d’un groupe parlementaire fort » , a encore déclaré à Nantes, lundi, l’ex-candidate à la présidentielle, qui cache de moins en moins son intention de prendre en main le PS.
« Un mauvais résultat, une faible participation donneraient raison à ceux qui veulent revenir en arrière, conserver les vieux schémas de pensée et d’appareils » , a précisé Jean-Marc Ayrault, l’un de ses proches, au cours du même meeting nantais. « Nous perdrions des mois, des années. Nous nous exposerions à de nouveaux échecs. Notre rénovation a au contraire besoin d’un élan populaire, d’une envie collective des citoyens de bousculer nos habitudes, de combler nos retards » , a-t-il ajouté.

Le PCF risque d’être le premier à faire les frais de cette volonté de « rénovation » du PS. Faute d’un accord entre les deux partis, la concurrence est vive dans les circonscriptions encore communistes. En Île-de-France et en Paca, c’est essentiellement sur le dos de son partenaire que le PS peut espérer gagner de nouveaux élus. En Seine-Saint-Denis, il entend ainsi ravir les circonscriptions d’Aubervilliers-La Courneuve, Tremblay et Montreuil. Dans les Bouches-du-Rhône, il lorgne sur la 4e circonscription, les quartiers Nord de Marseille. Dans ce fief communiste depuis 1936, Frédéric Dutoit, qui a le soutien de la LCR et des comités Bové, risque de perdre son siège au profit du conseiller général socialiste Henri Jibrayel, qui ne fait pas mystère de pratiquer un clientélisme électoral.

Après sa lourde défaite à la présidentielle, le PCF s’attend à perdre son groupe parlementaire. Si cette perte d’influence vient de loin, le parti de Marie-George Buffet paie aussi la division de la gauche antilibérale que la candidature de sa secrétaire nationale a précipitée. Une division que ne compensent pas les quelques candidatures unitaires acceptées dans cette campagne, et dont les résultats seront à regarder avec intérêt. C’est le cas du tandem constitué par Hayat Dhalfa (Mars-Gauche républicaine) et Jacqueline Rouillon (maire PCF de Saint-Ouen) dans la 1re circonscription de Seine-Saint-Denis. Ou celui formé par Jean-Paul Israël (leader cégétiste de la SNCM) et Magali Escot (PRS) dans la circonscription du Vieux-Port de Marseille.

Les Verts, qui présentent ou soutiennent près de 560 candidats, sont à la peine, après une présidentielle décevante, où leur candidate, Dominique Voynet, n’a obtenu que 1,57 % des voix. Depuis, à la suite de l’ancien secrétaire national Jean-Luc Bennahmias, député européen et élu régional en Paca, une bonne dizaine d’élus Verts ont quitté le bateau pour rejoindre le MoDem de François Bayrou, notamment des élus municipaux qui n’avaient pas eu l’investiture du parti pour 2008. Les Verts aimeraient bien mettre un terme à ces déboires. S’ils escomptent bien faire réélire leurs trois députés sortants (Martine Billard et Yves Cochet à Paris, Noël Mamère en Gironde), face auxquels le PS ne présente pas de candidat, ils espèrent « engranger le plus de voix possible pour faire entendre la voix de l’écologie » . « Nous avons obtenu 576 000 suffrages au premier tour de la présidentielle, notre objectif est de doubler la mise » , a déclaré Cécile Duflot, la secrétaire nationale du parti écolo.

La LCR est bien la seule à afficher un peu d’optimisme. « Rien ne dit qu’on se prendra une gamelle à ces élections parce que je crois que les gens comprennent aussi qu’il faut un contrepoids au projet politique du parti socialiste » , a déclaré Olivier Besancenot, dimanche, sur Canal +. Fort de son score à la présidentielle (4,08 %), qui l’a placé nettement en tête des autres candidats de la gauche antilibérale et d’extrême gauche, le porte-parole de la Ligue, qui, comme Ségolène Royal, n’est pas candidat à cette élection, veut faire du vote LCR aux législatives « un message clair de résistance » face à la « politique revancharde de Nicolas Sarkozy » . Il veut aussi que cette élection soit l’occasion d’une « clarification politique à gauche » . Vis-à-vis du PS, qui, selon lui, s’est montré « inefficace pour s’opposer pendant cinq ans au gouvernement de droite » et a été « inutile pour battre Nicolas Sarkozy » . Clarification aussi au sein de la gauche antilibérale, où la LCR entend désormais jouer le premier rôle.

Lors d’une conférence de presse, le 29 mai, le jeune postier a jugé nécessaire la constitution d’un « nouveau parti » de la gauche radicale « sur une base politique claire » qui doit être « l’anticapitalisme et l’indépendance politique » vis-à-vis du PS. Mais ce parti, dont le projet ne peut être conduit « dans l’urgence » , « ne sera pas un cartel d’organisations » , a-t-il précisé. Ni le fruit d’accords avec des « partenaires nationaux » c’est-à-dire les directions d’autres formations, dont le PCF. « Une page a été définitivement tournée » après l’échec des antilibéraux à se doter d’un candidat commun à la présidentielle, affirme le porte-parole de la LCR, qui présente son parti comme l’élément fédérateur de la gauche radicale et « tend une main fraternelle » à tous les militants de la gauche radicale et aux « déçus » du PS.

[^2]: Dans l’Assemblée nationale sortante, le groupe UMP comptait 359 députés, l’UDF 29, le PS 149, le PCF 21. 14 députés n’appartenaient à aucun groupe.

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