De la contestation à la pensée politique

Si l’écologie n’est pas née avec les barricades,
le bouillonnement d’idées de Mai 68 l’a fait entrer
en politique. Retour sur les grandes figures de ce combat.

Patrick Piro  • 26 juillet 2007 abonné·es

« Sous les pavés la plage »~: dans ce slogan, l’un des plus célèbres de Mai68, on a facilement discerné la revendication libertaire et hédoniste. Et même méthodologique ­le jusqu’au-boutisme de rue pour changer la société. La dimension écologique, pour sa part, est restée subliminale~: ce sont d’abord les révoltes estudiantines et ouvrières qui marquent le bouleversement social et sociétal de Mai68.

De même, on datera fréquemment de l’après-68 l’émergence publique de la conscience écologique en France, avec l’invention du ministère de l’Environnement en 1971, la publication du fameux rapport Halte à la croissance~? du Club de Rome, voire la première campagne présidentielle d’un écologiste, l’agronome René Dumont, en 1974.

Certes, c’est sur le terreau de Mai68 qu’éclosent les grandes contestations (manifestations antinucléaires, lutte pour la défense de la Vanoise ou du Larzac) et associations (Amis de la terre, Greenpeace, FUT, devenue Fnaut, Frapna, etc.), les périodiques spécialisés ( Combat nature , laGueule ouverte …) ainsi que les groupes de réflexion et les partis écologistes (Survivre et Vivre, Diogène, Écologie et Survie…). Mais on ignore généralement que la pensée écologique, en gestation, travaillait déjà fortement la société française avant 1968, même si c’était de manière marginale, et qu’elle a traversé les événements de Mai, participant à la fois au démantèlement de l’autoritarisme et à la construction d’alternatives, y compris aux traditionnelles idéologies de gauche, des groupuscules léninistes à la social-démocratie en essor.

La popularisation du terme « écologie » date d’ailleurs de la fin des années 1960, alors que l’on bâtit, bétonne, défriche, consomme religieusement. Mais l’insouciance et le triomphalisme des Trente Glorieuses sont déjà radicalement contestés, par les milieux scientifiques principalement. Des naturalistes comme Roger Heim
[^2] ou Jean Dorst [^3] dénoncent le saccage en gestation ; le biologiste Paul Ehrlich saisit les esprits en prédisant la catastrophe de la surpopulation [^4]. Le mouvement antinucléaire français démarre à la fin des années1950 autour d’un noyau de physiciens. Et puis les premières grandes catastrophes écologiques ouvrent les yeux du public. En 1967, le naufrage du pétrolier Torrey Canyon inaugure une longue série de marées noires, et, deux ans plus tard, le Rhin essuie une mémorable pollution chimique.

L’alternative écologiste fermente aussi dans le bouillonnement d’une contre-culture, du très créatif mouvement néerlandais Provo à une certaine veine de la science-fiction ( Dune de Frank Herbert, 1965) ; de l’avènement du « Flower Power » hippie à la publication aux États-Unis du Printemps silencieux , livre culte de Rachel Carson paru en 1962, dépeignant une nature stérilisée par les pesticides, en particulier par le terrible DDT. La guerre du Vietnam, première guerre chimique massive, fait la toile de fond contestataire de la décennie.

_Nature menacée, aspirations libertaires, non-violence et pacifisme, égalité des droits, critique de l’autorité, de l’étatisme et de la contrainte du travail, communautarisme, décentralisation, etc.~: une large part du fond idéologique des écologistes, et plus tard du parti Vert, s’élabore à cette époque. Les références idéologiques de Mai68 viendront y greffer la critique du productivisme, de la consommation reine et même de la mondialisation. L’écrivain et journaliste écologiste Yves Frémion
[^5] souligne combien la pensée d’Herbert Marcuse est une charge contre le totalitarisme de la technologie et de la propagande commerciale, et baptise Guy Debord *« premier penseur altermondialiste »* pour sa critique visionnaire de la marchandisation du monde.

Il est révélateur de repérer la trajectoire des futurs inspirateurs et dirigeants de l’écologie mouvementiste ou politique~: tous ou presque baignent dans le chaudron soixante-huitard, forgeant leurs convictions au contact d’une foison de luttes apparemment sans lien, faisant leurs premières armes sur les barricades ou dans les amphis. Ainsi, un bon nombre transite par des groupes marxistes-léninistes (Archimbaud, Billard…), le groupe Socialisme ou Barbarie (Anger, les frères Cohn-Bendit), l’Internationale situationniste (Riesel), les mouvements anarchistes, étudiants (Cochet, Deléage…), féministes, tiers-mondistes (Fernex), etc., et surtout au PSU (Bennahmias, Desjardin, Guattari, Lalonde, Lemaire, Lipietz, Mousel…), l’un des premiers partis politiques à réfléchir au « cadre de vie », qui deviendra l’environnement.

[^2]: Destruction et protection de la nature, 1953.

[^3]: Avant que nature meure, 1964.

[^4]: LaBombeP, 1968.

[^5]: Lire Histoire de la révolution écologiste, Hoëbeke, 344 p., 19 euros. Très documentée, largement vécue de l’intérieur, tout en gardant une certaine distance.

Société
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