Le sens de la peine

Alain Cangina  • 1 décembre 2011 abonné·es

Je suis toujours sidéré quand je découvre les réactions et les commentaires au détour d’un article sur les prisons. Des propos haineux et vengeurs qui me laissent sans voix et instillent en moi une douleur teintée de révolte où je perçois la tentation du face-à-face tout aussi destructeur.

Malgré la récurrence de ces circonstances, je continue à rester pantelant et ulcéré. Je me rassure en pensant que ceux qui osent proférer ou écrire de tels propos ne représentent qu’une minorité qui veut se faire entendre à tout prix. J’évoque l’adage des chiens qui aboient quand passe la caravane. Néanmoins, je reste inquiet puisque personne ne vient faire le contrepoint. J’y trouve presque un goût âcre de solitude dans ce silence général irisé des réfractions de culpabilité sociale.

Je tente d’apaiser en moi cette souffrance en évoquant le mal-être intérieur de ces personnes haranguant le lecteur ou l’auditeur, qui met dans leur bouche des paroles aussi inhumaines au nom de cette vindicte du talion. Mais je ne l’efface pas puisque ce ne sont pas les victimes directes qui sont si virulentes, à quelques exceptions près, et je n’y entends pas la forme instinctive de la résilience à travers une colère.

Plus calmement, passé l’émotion, j’en viens à comprendre que c’est certainement le ­refoulement aveugle d’une part d’ombre intime chez ceux qui vomissent leur bile pleine de sentences sans appel. J’y vois une stratégie de leur part pour mieux enfermer, et surtout conjurer, cette couche si sombre qui les torture. Mais dès lors je trouve encore plus pervers cet aveuglement qui génère la bêtise dangereuse.

Le choix de ma conception de vie, où tout être recèle toujours la possibilité d’aller au meilleur en lui, m’oblige à ne pas juger ni condamner les auteurs de ces mots insupportables. Le meilleur remède est peut-être de réexpliquer qu’il ne sert à rien d’enfermer à tout va les auteurs d’infraction car ce sont les systèmes judiciaire et pénitentiaire, et donc la politique d’un pouvoir, qui sont les très grands responsables de la récidive, pour ne pas dire de la grande majorité de la violence dans ce pays.

On me dit qu’il est trop facile de déresponsabiliser les gens qui commettent des infractions. Cependant, dans une société où, par tous les moyens de communication, il est dit que réussir sa vie c’est posséder et réaliser des profits, que la jouissance est un dû et qu’entre autres on étale des femmes en petite tenue pour vendre des assiettes, on peut affirmer que le dilemme existe quand même.

Lorsqu’on voit la destruction des services publics, le développement des salariés Kleenex, les passe-droits et les copinages des gens de pouvoir, l’impunité de ces derniers, les riches encore plus riches et les pauvres davantage dans la misère, il ne faut pas non plus s’étonner de la transgression des règles.

Lorsqu’on sait que nous sommes dans une politique judiciaire de l’aveu et non de la preuve, que la présomption d’innocence n’existe que dans les textes de loi, qu’au prétoire, dans des procès à la chaîne et réglés comme du papier à musique, l’auteur de délit n’est pas écouté, ou encore que les victimes ne servent qu’une idéologie, il y a de quoi douter de l’égalité et du respect des personnes.

Lorsqu’on constate que les prisons, dégueulant de surpopulation, traitent les personnes moins bien que des animaux, détruisant et déstructurant les prisonniers en piétinant leur identité, leur intégrité, leur spécificité, et les laissent croupir au fond d’une cellule sans aucun accompagnement ni aucune préparation à la sortie, anéantissant ainsi le sens de la peine.

La liste n’est malheureusement pas exhaustive. Mais on peut déjà entendre que la prison, loin d’être un outil de sécurité, est, au contraire, une usine à violence qui met la collectivité en danger. Et cela est toujours le résultat d’une politique d’exclusion et de boucs émissaires.

Si la loi pénitentiaire votée en novembre 2009 – à savoir que les peines inférieures à 24 mois seraient des peines alternatives, qui sont de vraies peines – était appliquée, 80 % des personnes détenues seraient suivies et accompagnées pour une réelle réflexion sur leur propre avenir. Quant aux personnes ayant des troubles psychiques, elles ont certainement beaucoup plus besoin de soins que de croupir dans un cul-de-basse-fosse, d’où elles ressortent encore plus dangereuses qu’avant.

Ces explications, succinctes il est vrai, parviendront-elles à faire réfléchir les acharnés de la répression tous azimuts ? Je veux croire qu’avec le temps, avec la répétition et la logique, nous arriverons à apaiser leur violence.

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