Poubelles pleines, océans vides

Politis  • 19 janvier 2012 abonné·es

Depuis que la radio existe, la pub radio existe, et la pub radio a toujours été l’enfant maltraité des fils de pub. Ici, point de voitures atterrissant sur la muraille de Chine arrimées sous un parachute, point de contre-jour esthétisant sur un top-model qui nous donne à sentir je ne sais quel parfum pour porteuses de Rolex. Non, ici on fait dans le basique ; le lieu commun et le cliché règnent en maîtres.
Samedi 17 décembre, suspense insoutenable. Cela fait maintenant près de deux jours que nos ministres des Pêches sont en conclave à Bruxelles pour nous concocter les quotas pour la saison 2012. Au saut du lit, j’allume la radio sur France Inter, la radio qui ne fait pas de pub, sauf messages humanitaires, sauf grandes causes génériques (la retraite complémentaire), sauf entreprises publiques, sauf…

Juste avant les infos de 8 heures, un de ces sketches inénarrables : un tombé-de-la-lune est confronté à un débat cornélien digne d’une réunion de bureau d’Europe Écologie. « Ma boîte de choucroute entamée va-t-elle dans la poubelle à déchets alimentaires ou dans le conteneur à emballages ? » Fort heureusement, passe par là le concierge, monsieur Henri (c’est bien connu, tous les concierges s’appellent Henri), qui dépanne notre ahuri en lui donnant l’information qui lui permet non seulement de se comporter en bon écocitoyen mais aussi de sortir des affres dans lesquels son doute l’avait plongé. Et monsieur Henri de conclure sur un dernier conseil : « Et surtout mangez du poisson, ça fortifie la mémoire. »

Ouch ! Qu’on diffuse encore une pub pour des écogestes de base (ce qui ferait bien rire nos amis des pays du Nord), passe encore. Mais faire passer en trente secondes deux messages aussi contradictoires tient de la prouesse intellectuelle : participer au tri sélectif, c’est bien, et participer au vidage des océans – alors que les trois quarts des stocks européens sont déjà surexploités –, c’est bien aussi ! La mémoire et le poisson, c’est comme les épinards de Popeye : une grosse ânerie. Si on a honte pour le malheureux ­concepteur-rédacteur qui a pondu une telle ineptie, on est en revanche beaucoup moins enclin à l’empathie vis-à-vis du cadre sup de l’organisme public qui, en signant le « bon à enregistrer », a également signé le chèque qui allait avec.

Avec tout cela, j’allais en oublier les quotas de pêche. Le 14 décembre 2011, le Parlement européen a refusé la reconduction de l’accord avec le Maroc. Entre autres bizarreries, cet accord était un habillage juridique par lequel des dizaines de bateaux estampillés « Europe » (espagnols pour la moitié d’entre eux) allaient pêcher dans les eaux du Sahara occidental, sur lesquelles le Maroc n’a aucune légitimité. Sur le plan économique, l’étrangeté était également au rendez-vous. Depuis 2006, l’Europe « donnait » 36 millions d’euros par an au gouvernement marocain pour payer à des opérateurs privés leur accès aux eaux marocaines et sahraouies. Pour un euro investi, le retour n’était que de 0,65 euro. La saine gestion et les subtilités diplomatiques faisant rarement bon ménage, les députés européens ont fait prévaloir la rigueur budgétaire autant que morale.

Pour se venger de la rébellion des députés, et surtout donner du boulot aux dizaines de chalutiers dont les eaux marocaines étaient jusqu’alors le terrain de jeu, nos ministres se sont lâchés. Lire le catalogue qu’ils ont validé le 17 décembre revient à égrener le chapelet des effondrements de stocks annoncés. Dans le golfe de Gascogne, on double sur le cabillaud et la baudroie (lotte chez le poissonnier). « Qui dit mieux ? Deux fois le quota de l’an dernier… Personne ? » « Monsieur au fond de la salle ? Pardon ? + 500 % sur le merlan de mer du Nord ? » « J’adjuge à + 500 ? Adjugé ! »

Et tout cela après trente années de faillite de la politique commune des pêches, alors que, du fait de la surexploitation, les captures dans les eaux européennes ont baissé de plus d’un quart sur les vingt dernières années. Notre ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, s’est déclaré « très satisfait » de l’accord. Franchement, en tant que porte-parole patenté du lobby de la pêche, il avait toutes les raisons de l’être…

Michel Audiard savait-il à quel point il avait raison quand il a mis dans la bouche de Lino Ventura son fameux « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » dans les Tontons flingueurs  ?
Enfin, tant que monsieur Henri est là pour rediriger les boîtes de conserve vers le bon bac…

Digression
Temps de lecture : 4 minutes