Manhattan, la conquête des toits

Une exceptionnelle étude photographique de la « cinquième façade » de New York : un monde parallèle au sommet des gratte-ciel.

Patrick Piro  • 26 juillet 2012 abonné·es

Vous connaissiez New York (peut-être) ? Vous n’avez pas idée de la ville que nous fait découvrir Alex MacLean. Une Big Apple que vous ne visiterez jamais qu’en feuilletant son dernier ouvrage : Sur les toits de New York. Espaces cachés à ciel ouvert. Des jardins pour mariages, des hectares de panneaux solaires, des piscines, des espaces de gym et de jeu, des bosquets, des coursives herbues, d’immenses potagers, des œuvres d’art visibles du ciel uniquement, des promenades ombragées, des enclos privatifs, des oasis suspendues, des expositions de sculptures… Une mosaïque d’espaces à dominante verte, qui disputent leur place au soleil à tout un bric-à-brac technique qui n’en fait rien – bouches d’aération, cheminées, réservoirs d’eau. Et ça palpite : ces enclaves sont sillonnées de marcheurs, pavées de corps bronzants, parfois bondées de convives, ouvertes sur le ciel et une ligne d’horizon dont les « rampants » sont privés, engoncés entre les tours au ras du bitume. En forêt, la canopée concentre l’essentiel de la vie. New York, nous montre MacLean, semble en voie de comprendre aussi cette loi : sur les toits, un maximum de soleil et d’eau. Artiste-photographe, il shoote le plancher états-unien depuis plus de vingt ans de l’avion qu’il pilote, et il atteint là un sommet de son art : une révélation visuelle, esthétique, urbaine et sociale.

MacLean domine magistralement une difficulté technique propre à cette ville : la foison des lignes et des volumes, propres à brouiller la lecture des images. MacLean en joue, choisissant avec soin ses lumières, les ombres qui débouchent les plans, réalisant des cadrages géométriques au millimètre. Quand les focales écrasent les perspectives, les New-Yorkais apparaissent perchés sur les étages innombrables d’une ville à la Mœbius. L’artiste ne se contente jamais d’esthétique. Il effectue également une collecte scientifique qui l’autorise à proposer une typologie de l’urbanisation anarchique de la « cinquième façade » de la ville : lieux de repos, d’usages collectifs, d’usages multiples, production d’énergie, espaces verts… La preuve que New York s’est dotée d’un véritable programme « toits », pour ces surfaces en jachère représentant un tiers de l’emprise du béton au sol. La végétalisation climatise naturellement les bâtiments et absorbe une partie des précipitations, qui n’iront pas engorger les égouts. Puis on se trouve peu à peu saisi par une autre trame de la peinture, sociale celle-ci. L’œil, d’avion, est souvent voyeur : les hôtes des toits n’ont pas l’habitude d’être soumis à un regard plongeant. On y distingue souvent une élite. L’espace coûte cher, sur les toits comme au sol. Certains plans parfaitement verticaux superposent, saisissants, la volupté frivole d’une piscine de luxe aux décors trash de la rue surplombée. Deux mondes étanches, chacun sur son isocline. Parfois, c’est juste un microjardin, qui force le passage à travers la laideur industrielle comme le cri vital de l’urbain refusant d’étouffer plus longtemps.

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