Monsieur le Président, graciez Philippe El Shennawy

Paul Pavlowitch  • 17 janvier 2013 abonné·es

En compagnie de quelques-uns, j’ai signé il y a deux semaines un appel en vue de soutenir la demande de grâce de Philippe El Shennawy, présentée au président de la République. Je n’avais jamais signé ni imaginé signer une pétition. Cela me semblait une façon indigne de faire parler de soi, une parade sur le malheur des autres. Voilà ce que je croyais. Et puis avec El Shennawy, là, non. Pour lui, nous avons signé une supplique. Une prière, quoi. Une prière pour sauver un ancien bandit.

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Parce que notre mobilisation ne se fait pas dans la violence mais contre la violence d’un système épouvantable, nous adressons une supplique au chef de l’État et à lui seul. Les magistrats qui ont requis contre El Shennawy, auteur de braquages de banques, la hiérarchie du parquet et tout ce que l’on appelait dans le temps l’accusation publique ont tranché : ils ont veillé à verrouiller son destin. Il n’y a plus de voie d’appel devant la justice pour arrêter l’appareil devenu fou. Autant dire que l’on a décidé de l’enterrer vivant. Silence. Circulez, il n’y a rien à voir. L’exécution est dissimulée, la peine est d’élimination.

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Seulement voilà. Depuis des années, des gens vigilants avaient remarqué le traitement indigne que ce détenu subissait ; depuis des années, les articles se sont succédé dans la presse de tous bords signalant les étapes d’un chemin de croix imposé à cet homme, un bandit, qui avait eu le mauvais goût de déplaire par son esprit à quelques gros bras de la police d’alors. Depuis des années, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour les traitements terribles qu’El Shennawy a subis dans les quarante prisons où il a survécu depuis plus de trente-sept ans. Et, depuis quelques semaines, des milliers de personnes inconnues et connues, femmes et hommes, signent un appel à la clémence. Il faut lire leurs commentaires. Ce n’est pas rien. C’est même un fameux signal. Les gens de notre pays ne pensent pas comme l’accusation publique. Pas du tout. Ils sont de tous bords, mais tous sont renversés devant une telle cruauté que l’on a osé grimer en justice. Ils déclarent que la compassion manque dans notre société. Ils ont eu le temps de voir ces dernières années que l’amour, décidément, c’est fait seulement pour rigoler, que ça ne compte pas, qu’on a mieux à faire, gagner de l’argent par exemple. Et ils ne sont pas d’accord. Ils aiment la France, ils la veulent meilleure.

Vous parlez d’un choc. Alors, El Shennawy, un qui n’a rien pour lui, un « droit commun », un braqueur, voici que cet homme persécuté par une machine à broyer digne du Père Ubu, voici qu’El Shennawy est en passe de devenir un symbole de tout ce qui nous manque et que nous ne savons plus exiger. Mes amis et moi, on prie. Oui. El Shennawy et son copain (qui s’est suicidé en prison) ont été les victimes propitiatoires d’une accusation publique qui a placé au-dessus de tout la défense du veau d’or. S’en prendre à l’argent des banques demeure le crime majeur. Le reste, on peut discuter. On peut libérer les assassins, et d’ailleurs on le fait, et c’est tant mieux pour eux car nos prisons sont dignes des temps barbares.

Pendant une année, j’ai travaillé dans une prison : ça sent la merde et la fumée des clopes, et devant le psy de service la file est interminable des détenus qui attendent leur drogue, les calmants. Des hommes et des femmes y survivent comme des âmes en peine. Mais on ne pardonne pas aux voleurs. Jamais. L’argent, c’est sacré. Le reste, on peut discuter. Notre temps nous répète ça sur tous les écrans. Pas question de parler d’amour, pas question de générosité, je vous le dis : vous faites marrer. On n’a plus le droit d’exiger que la justice prononcée au nom du peuple français fasse preuve d’humanité et ainsi nous représente dans ce que nous avons de plus respectable ? Il y va pourtant de notre destin commun.

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Des personnes vindicatives se sont mobilisées contre cette grâce, sur Internet et partout. La mort lente des vieux bandits, j’imagine que cela les rassure. J’arrive à comprendre qu’ils aient peur, mais pas plus. Je crois qu’ils ont obscurément compris que la prison n’est pas une solution qui puisse les rassurer. Ils ont peur de l’état du monde. Ils en perdent la boule. D’autres pardonnent. Bon, passons. Ces oubliés de la Justice sont nombreux. Je pense à cette femme de 73 ans qui vient de s’immoler par le feu dans sa cellule, désespérée d’être maintenue en prison jusqu’à ses 80 ans pour tentative d’assassinat. J’ignore le nombre de prisonniers et de prisonnières ainsi brisés par l’appareil judiciaire. En revanche, je sais, comme tout le monde, que nos prisons exhibent clairement l’état de notre moralité, notre degré de civilisation. Alors, j’implore le chef de l’État. Je lui adresse une prière. Monsieur le président, Monsieur François Hollande, je vous supplie de faire libérer Philippe El Shennawy.

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