PS : Le symptôme d’une dérive

Dix-huit députés proches de Manuel Valls ont voté avec la branche la plus dure de l’UMP contre un amendement de Christiane Taubira sur le projet de loi sur le renseignement.

Michel Soudais  • 23 avril 2015 abonné·es
PS : Le symptôme d’une dérive
© Photo : CITIZENSIDE/BERNARD NIGAULT/AFP

Pour les vallsiens, rien n’est jamais trop à droite. Le projet de loi sur le renseignement, dont le vote interviendra le 5 mai, après les vacances parlementaires, porte témoignage de leur dérive sécuritaire et autoritaire. Ce projet de loi qui offre aux services de renseignement de nouveaux outils afin de surveiller Internet, présenté comme le lieu de recrutement et d’organisation des terroristes, et légalise des pratiques déjà existantes en son sein en échange de leur encadrement, a suscité dès sa présentation en Conseil des ministres une importante levée de boucliers des associations de défense des libertés ( Politis n° 1347). Des policiers et des magistrats, les professionnels du Net, le Conseil national du numérique et même le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) ont également pointé les nombreuses menaces que ce texte fait peser sur les libertés individuelles.

En vain, puisque la Commission des lois, présidée par le député du Finistère, Jean-Jacques Urvoas, proche de Manuel Valls, a encore considérablement musclé le texte, élargissant même le champ d’action des services. Un durcissement que les débats en séance plénière n’ont pas infirmé. Au contraire.

La passe d’armes la plus emblématique de la dérive de cette frange du PS acquise au Premier ministre s’est déroulée dans la soirée du 14 avril. Opposés à un amendement de Christiane Taubira, 18 des 48 députés socialistes présents, dont Patrick Mennucci, Pascal Popelin, Sébastien Pietrasanta et Yves Goasdoué, n’ont pas hésité à joindre leur voix aux durs de l’UMP pour mettre en échec la ministre de la Justice. Celle-ci demandait de revenir à la rédaction initiale du texte et donc de supprimer une disposition introduite lors de son examen en Commission des lois, via un amendement de l’écologiste Christophe Cavard, qui autorisait le bureau du renseignement pénitentiaire, dépendant du ministère de la Justice, à recourir aux techniques prévues par le projet de loi – écoutes de téléphones portables interdits, sonorisation des cellules, captation d’images, etc. –, notamment contre le terrorisme, la criminalité et la délinquance organisées.

À l’appui de sa demande, la ministre a fait valoir que cette mesure entraînait « une modification substantielle du métier de surveillant » pour laquelle les personnels pénitentiaires ne sont pas formés. Que cela nécessiterait « une formation totalement différente des agents » mais aussi « un renfort majeur des effectifs ». La garde des Sceaux a également fait valoir que les objectifs recherchés pouvaient déjà être atteints, vu notamment que les moyens humains et les compétences du renseignement pénitentiaire avaient été nettement accrus, ou que les liens avec les services de renseignement pour échanger des informations étaient très étroits.

Auparavant, elle avait rappelé dans la presse que, selon la Constitution, la justice est « la gardienne de la liberté individuelle » et que son ministère ne pouvait donc se retrouver prescripteur d’écoutes téléphoniques et de poses de micros… Un point de vue approuvé par la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, qui dans un entretien au Monde (13 avril) jugeait qu’ « on est en train de confondre la mission des gardiens de prison et des enquêteurs », ajoutant que c’était là « une idée dangereuse » .

Le président de la Commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, ayant néanmoins appelé au rejet de l’amendement de Christiane Taubira, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, est intervenu à son tour pour bien souligner qu’il s’agissait « d’un amendement du gouvernement, et non d’un amendement de la garde des Sceaux ». Sans plus de succès.

Les 18 députés socialistes qui ont mis en minorité le gouvernement avec l’appui de la droite exprimaient-ils « la position de leur groupe », comme le justifia plus tard Bruno Le Roux, le patron du groupe PS ? Le socialiste Pouria Amirshahi, qui, bien que critique sur ce projet de loi, a appuyé l’amendement de Christiane Taubira, le récuse, notant que les 29 autres députés PS présents l’ont voté. Le député des Français de l’étranger dénonce la « faute politique » de ceux qui « en triangulant sans cesse » mènent une « guerre permanente à la gauche » pour lui « infliger des défaites, économique en imposant le libéralisme, républicaine en imposant l’ordre sécuritaire »  : « Ils ont réussi à offrir à la droite la plus dure, la seule victoire qu’elle attend depuis trois ans : se payer Taubira. » On ne pouvait imaginer symptôme plus parlant de leur dérive idéologique.

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