La CEDH coupable «d’angélisme» ?

Lena Bjurström  • 24 novembre 2015 abonné·es
La CEDH coupable «d’angélisme» ?
© Photo : PATRICK HERTZOG / AFP

C’est une histoire d’opportunité. Au lendemain des attentats, la «sécurité» est sur toutes les lèvres. Maître-mot des discours politiques, elle est une priorité. Un climat propice au retour de propositions et discours jusque-là poliment dédaignés. C’est en tout cas ce que semble penser le député LR Pierre Lellouche qui, dans un grand entretien publié par le site Atlantico le 22 novembre, a ressorti des cartons sa virulente diatribe à l’encontre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Coupable «d’angélisme» , de «dérives idéologiques» , la CEDH se serait transformée en «gouvernement des juges» dont la «jurisprudence baroque» viendrait contrecarrer les efforts nationaux de lutte contre le terrorisme.

En avril déjà, Pierre Lellouche avait proposé une résolution incitant le gouvernement français à renégocier les conditions de saisine et les compétences de la CEDH sur les questions touchant à la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme. Le député n’a donc qu’à remettre au goût du jour ses arguments.

Selon lui, la Cour, imposant ses décisions et sa jurisprudence, serait devenue «un tribunal transnational qui décide de faire la loi dans un tas de domaine» .

La CEDH aurait en effet étendu son domaine d’intervention. «Au départ, il [cet organisme juridictionnel] était limité aux violations des droits de l’Homme, aujourd’hui, par extension nous y trouvons toutes sortes d’interventions sur une longue liste de sujets» , explique-t-il. Entre autres, le terrorisme. Il cite ainsi plusieurs cas de décisions de la CEDH «toutes aussi incroyables les unes que les autres» , comme la condamnation de la France à verser des dommages et intérêts à des pirates somaliens placés illégalement en garde à vue.

«M. Lellouche a une drôle de conception des Droits de l’Homme** ,* note Jacques Montacié, vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Les décisions qu’il cite, comme ne relevant pas du domaine de la CEDH, portent sur les droits de la défense, le droit à un procès équitable, qui sont présents dans la convention des Droits de l’Homme. Ces cas sont concernés par la convention des Droits de l’Homme.» D’autres affaires d’interdictions d’extradition ou d’expulsion d’étrangers condamnés pour des faits de terrorisme, relèvent de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, sur le «droit à ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant» , la Cour estimant qu’il y avait des risques de mauvais traitements dans les pays de destination.

«La CEDH crée des garde-fous supranationaux pour empêcher que les citoyens ne soient victimes de politiques contraignant leurs droits. Que ses décisions ne plaisent pas à M. Lellouche, c’est son droit le plus strict. Mais les juges de la Cour ne font ni plus ni moins qu’intervenir sur des questions de Droits de l’Homme, définies par une convention signée par la France il y a plus de cinquante ans» , rappelle Jacques Montacié. On est loin d’un «gouvernement des juges» qui se permettrait de faire la loi sur tout et n’importe quoi.

Mais la possibilité pour les citoyens de saisir directement la Cour est, pour Pierre Lellouche, une source de dérives, dont profitent notamment des terroristes reconnus. D’où sa proposition, en avril, d’interdire les requêtes individuelles de personnes condamnées pour des faits de terrorisme par les juridictions nationales.

«Remettre en question cette possibilité de saisine individuelle reviendrait à contester le droit de tout un chacun à faire respecter ses droits» , avertit Jacques Montacié. Un droit qui concerne également les étrangers, autant que les terroristes soupçonnés ou condamnés. «Les Droits de l’Homme sont universels et s’appliquent à tous, rappelle l’avocat. À partir du moment où on veut diviser la population par couches, possédant plus ou moins de droits, on entre dans un système discriminant.»

Un principe d’universalité difficilement audible par les temps qui courent, mais qui doit impérativement être rappelé.

Quant aux supposées «dérives» de la CEDH, Jacques Montacié s’en amuse:
«D’un interlocuteur à l’autre, la responsabilité de la menace terroriste et des attentats change. Pour certains, c’est la faute de l’immigration. Pour M. Lellouche, c’est la CEDH. Il faut garder un peu de sérieux. Ce n’est pas en pointant du doigt tout et n’importe quoi qu’on se sortira de la situation actuelle.»

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