Jean-Christophe Attias : Une roborative « mauvaise foi »

Jean-Christophe Attias nous raconte comment on devient un juif orthodoxe et surtout comment on cesse de l’être.

Denis Sieffert  • 20 septembre 2017 abonné·es
Jean-Christophe Attias : Une roborative « mauvaise foi »
© PHOTO : THOMAS COEX /AFP

Il existe deux sortes d’autobiographies : celles qui ne s’élèvent guère au-dessus de l’anecdote et celles qui nous parlent de nous et de notre temps. On ne doute pas, dès les premières pages, que le livre de Jean-Christophe Attias appartiendra à la seconde catégorie. Le général jaillit pourtant d’un parcours on ne peut plus singulier.

Ce Charentais, fils d’un père juif qui tenait la religion à bonne distance et d’une mère catholique qui l’avait fait baptiser, n’était en rien prédestiné à devenir, vers sa vingtième année, un juif orthodoxe. La soudaine ardeur religieuse dont il fut saisi pourrait évoquer d’autres tourments d’adolescence d’une cruelle actualité. Sans moralisme, Attias nous invite à réfléchir à cette piégeuse quête identitaire. Mais toute comparaison s’arrête là, car le jeune homme ne s’est jamais connu de maître à penser. Et il n’a jamais cessé de laisser vivre en lui une discrète contradiction : il priait chaque shabbat « avec plus d’expertise et de conviction », mais « se délectait », en semaine, de la lecture de Spinoza. « J’avais, dit-il, la kippa sur le crâne, oui, mais toujours ma petite pensée de derrière la tête. »

De cette pieuse période, le jeune Attias saura tirer profit. La section d’études hébraïques de Langues O’ sera sa « deuxième synagogue ». Lui, « le doux dingue qui voulait juste devenir juif », brosse quelques portraits baroques de ses condisciples et de certains de leurs amis trotskistes « à la rhétorique éblouissante », au point « qu’ils eussent fait d’excellents loubavitch ». Prolongement logique de sa passion pour l’hébreu, Attias part pour Israël. « Moi, en Israël, je n’étais personne, je n’avais personne, je n’avais nulle part où passer le shabbat. » Excellent pour les études ! Attias s’enivre de lectures. L’érudit, futur auteur de Penser le judaïsme et de Moïse fragile, naît de ces mois passés à Jérusalem. Mais de ses rencontres et de son périple en Cisjordanie il tire aussi cet enseignement annonciateur de la suite : « Fondamentalement, c’est le judaïsme qui m’intéressait, pas Israël. »

Retour en France. Conversion. Attias nous offre quelques belles pages sur le rituel de la circoncision et les fantasmes qu’il suscite chez les incirconcis. Il évalue à « cinq années pleines » le temps où il fut « un juif orthodoxe scrupuleux », avant de convenir que « Dieu n’existe pas » et qu’au fond il en a « toujours été persuadé ». « Ne parlons donc du Ciel qu’en gardant les pieds sur terre », dit-il.

La maturation politique n’était pas loin. Les événements de 1982, le massacre de Sabra et Chatila feront le reste. Pas tout à fait. Car il fallut pour achever le processus que le vrai dieu, celui « des petites coïncidences », favorise la rencontre avec Esther Benbassa, aujourd’hui historienne du judaïsme et sénatrice EELV, pour que l’émancipation fût totale, et que l’engagement prît une autre direction.

Un juif de mauvaise foi, JC Lattès, 407 p., 20,90 euros.

Idées
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