La gauche française face à la crise catalane

Quasi unanimes à demander une médiation entre l’Espagne et la Catalogne, les partis de gauche diffèrent dans leur approche du mouvement indépendantiste.

Michel Soudais  et  Pauline Graulle  et  Malika Butzbach  • 11 octobre 2017 abonné·es
La gauche française face à la crise catalane
© photo : PIERRE-PHILIPPE MARCOU/AFP

Ils refusent de se prononcer à la place des Catalans et sont tous inquiets face à l’intransigeance du gouvernement de Mariano Rajoy. Très critiques aussi face à l’absence de réactions européennes aux provocations policières de ce dernier. Mais les responsables politiques des formations de la gauche française, dont nous avons recueilli les analyses, ont des approches différentes de l’aspiration indépendantiste. Entre méfiance et bienveillance, leurs propos témoignent d’un certain embarras face à la crise politique qui secoue l’Espagne.

Olivier Besancenot

Nouveau Parti anticapitaliste

Nous sommes solidaires avec ce mouvement qui revendique le droit à l’autodétermination. Nous nous sommes rendus sur place et nous y avons vu une mobilisation très importante et impressionnante. Pas seulement en termes de monde, mais aussi en termes d’auto-organisation et d’occupation des places publiques. Ce mouvement est un processus ouvert qui pose beaucoup de questions : à travers l’indépendance, il s’interroge sur la question démocratique. Ce qui m’a marqué dans ce mouvement, c’est qu’il est aussi question d’une mobilisation contre le pouvoir du roi. Dans les assemblées, qui ne sont pas constituées uniquement de militants, on parle de constituante. Il y a une réflexion sur quelle forme donner à la démocratie en dehors de la monarchie : trouver une solution comme nouveau départ ou sortir de cet État ? En tout cas, ce n’est pas à nous, en France, de dire comment les Catalans doivent réagir ou ce qu’ils doivent faire. Cependant, il nous faut être solidaires pour faire pression sur les gouvernements européens qui, après le scrutin, ont continué d’appuyer le roi Felipe VI et Mariano Rajoy. Si les images, identiques à celles du 1er octobre, avaient été tournées dans un autre pays, il y aurait eu beaucoup plus de réactions politiques au niveau international, peut-être même une résolution.

David Cormand

Secrétaire national d’EELV

L’aspiration des Catalans est ancienne. Ils l’ont exprimée à plusieurs reprises, notamment en demandant une autonomie plus forte à l’État centralisé espagnol ; elle leur a été refusée par la justice. Ce processus de pourrissement a mené au niveau de tension que l’on connaît. La question est aujourd’hui compliquée du fait que cet État centralisé, incarné par Mariano Rajoy, en fait une question d’autorité et pousse de plus en plus à la crise alors qu’il faudrait discuter. Il fait le pari que le camp indépendantiste va se fissurer mais cela ne fera que créer une nouvelle cicatrice. À court terme, il est nécessaire de rétablir la vérité : il est faux de prétendre qu’une Catalogne indépendante sortirait de l’Europe. Aucun texte ne l’indique et il n’y a aucune raison qu’elle en sorte, même si elle était indépendante.

Il faut une médiation extérieure pour ne pas laisser les choses dans les mains de M. Rajoy, qui n’a qu’une envie, faire dégénérer la situation. L’échelon européen serait adapté parce que cette crise traduit un nouveau raidissement des États-nations, comme on l’a vu avec le Brexit. Les États-nations jouent des muscles plutôt que d’être ouverts vers une Europe des régions. Mais les États-nations hérités du XIXe siècle n’ont pas vocation à durer des siècles. Il y a des identités régionales qui ont vocation à être respectées avec plus d’autonomie, pourquoi pas des capacités législatives, ou l’indépendance si c’est bien la volonté des peuples.

Benoît Hamon

Initiateur du Mouvement du 1er juillet (M1717)

On ne peut pas nier le vote de plus de deux millions de personnes en faveur de l’indépendance. Il ne nous appartient pas de juger si celle-ci est bonne ou pas pour la Catalogne. Nous sommes face à une crise politique lourde de menaces pour l’Espagne, les Espagnols et les Catalans. Le gouvernement Rajoy a décidé d’opposer à cette consultation populaire un principe respectable : l’illégalité de ce référendum eu égard à la Constitution espagnole. Mais ce vote ayant eu lieu, il est nécessaire, pour nous Européens, de dire comment débloquer la crise. Cela l’est d’autant plus que le roi d’Espagne, qui pouvait jouer ce rôle de recours, a décidé de s’aligner sur la position du gouvernement conservateur espagnol.

Manifestement, il ne faut rien attendre des chefs d’État européens. Emmanuel Macron, champion des discours quand il s’agit de parler d’Europe démocratique, est aux abris quand il s’agit de parler de politique et de démocratie en Espagne. Il ne faut rien attendre de la Commission européenne, qui n’a aucune légitimité démocratique et est alignée politiquement sur les positions de M. Rajoy. C’est donc au Parlement européen, à travers les représentants des peuples européens, qu’il faut trouver les voies d’une solution qui nous permette, demain, d’organiser la conciliation. L’Europe politique ne se reconstruira pas qu’à travers des traités, mais à travers des étapes comme celle-là, où l’Europe aura décidé, par ses représentants, de fabriquer des solutions et de retisser les fils d’un dialogue aujourd’hui rompu.

N.B. : Benoît Hamon a exposé sa position dans une pastille vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.

Marie-Pierre Vieu

Députée européenne, PCF

Au Parti communiste, nous appelons de nos vœux une conciliation. L’Espagne doit retrouver le chemin du dialogue. Nous soutenons la position de Podemos et d’Izquierda Unida, qui développent l’idée qu’une conciliation est possible autour de la rédaction d’une nouvelle Constitution, du respect de l’autodétermination des peuples et de la condamnation des violences. L’actuelle Constitution, qui date de 1978, donne en effet les pleins pouvoirs à l’État central, ce qui n’est plus possible. Ensuite, l’Union européenne doit, elle aussi, œuvrer en faveur de la conciliation. Jusqu’à présent, elle n’a pas condamné les violences exercées contre son peuple par Mariano Rajoy. C’est une terrible erreur : le silence de l’Union européenne – qui revient à un soutien implicite de Rajoy – risque de développer le sentiment anti-européen au sein du mouvement indépendantiste, qui en était jusqu’ici dépourvu. Une fois encore, l’Union européenne risque d’apparaître comme défenseur de « l’establishment » et pas comme un levier pour des avancées démocratiques et sociales.

Sur le fond, nous sommes, au PCF, favorables à l’autodétermination des peuples. Néanmoins, c’est une question aujourd’hui très complexe : la mondialisation, qui a tendance à effacer les identités culturelles, génère des revendications séparatistes. Parfois, elles s’inscrivent dans un mouvement anti-austérité que nous devons soutenir, d’autres fois, elles conduisent à des replis identitaires, que nous ne pouvons que condamner.

Djordje Kuzmanovic

Porte-parole défense et international de la France insoumise

Je reviens de Madrid, où la France insoumise a envoyé une délégation pour une réunion stratégique avec Podemos. L’hypothèse que nous formulons, c’est que Mariano Rajoy a délibérément fait le choix de la tension, d’abord en torpillant l’Estatut [le statut d’autonomie, NDLR] voté par les citoyens catalans et par le Parlement espagnol en 2006, puis en réprimant violemment le référendum unilatéral de dimanche. La raison ? Resserrer les rangs à droite, et faire un appel du pied à la droite post-franquiste, qui l’avait beaucoup critiqué pour son « inaction » face à la consultation de 2014. Après avoir enchaîné deux élections très difficiles pour lui, le Premier ministre espagnol a en effet besoin de consolider sa majorité en se servant de la crise catalane : il a tout intérêt à jouer l’enlisement et les crispations nationalistes. La coalition indépendantiste, de son côté, est fragile, car elle abrite des politiciens de droite qui pourraient avoir peur de la fuite des grandes entreprises, mais elle intègre aussi des groupes très motivés. Cela rend les choses incertaines, donc inquiétantes.

À la France insoumise, nous sommes sur la même ligne que Podemos et Izquierda Unida : nous ne sommes pas a priori pour l’indépendance de la Catalogne, qui isolerait la région et ses habitants sans les protéger ni des politiques d’austérité ni de la corruption. Mais nous dénonçons le jeu dangereux et violent de Rajoy. Nous estimons que seule une révision de la Constitution de 1978, taillée pour une transition périlleuse mais trop rigide pour s’adapter aux évolutions du pays cinquante ans après, pourra faire sortir du conflit par le haut. La Généralité [le gouvernement autonome catalan, NDLR] a demandé à Jean-Luc Mélenchon et à d’autres parties d’organiser une médiation, de même que Pablo Iglesias, qui est prêt à sonner à toutes les portes – Union européenne, Église catholique – pour sauver la paix civile, pour l’instant sans succès.