À Saint-Denis, les victimes oubliées du terrorisme manifestent

Deux ans après l’assaut du Raid sur l’immeuble où se cachait le terroriste Abdelhamid Abaaoud, les habitants ne parviennent toujours pas à faire valoir leurs droits.

Vincent Richard  • 18 novembre 2017
Partager :
À Saint-Denis, les victimes oubliées du terrorisme manifestent
© Photos : Vincent Richard

Il y a tout juste deux ans, ils ont connu l’enfer. Le 18 novembre 2015, le Raid lançait un assaut sur leur immeuble du 48, rue de la République à Saint-Denis, où se cachait Abdelhamid Abaaoud, cerveau présumé du 13-Novembre. Ce 18 novembre 2017, loin d’avoir été dûment indemnisés pour leur nuit de terreur et la perte de leur logement, ils sont de nouveau là pour manifester et exiger que leur situation soit enfin prise en compte à sa juste mesure par les pouvoirs publics.

À l’angle de la rue de la République et de la rue du Corbillon, en plein centre de Saint-Denis, une petite foule est rassemblée, d’anciens habitants du 48, mais aussi des militants soutenant ces derniers depuis le début, et des voisins venus marquer leur solidarité. L’ambiance est bonne mais la colère palpable dans chacune des prises de parole qui se succèdent.

© Politis

Et pour cause : il y a un an, nous publiions un article relatant, une année après l’attaque, les déboires des habitants, et aujourd’hui, rien n’a changé. Ou plutôt si, mais en pire. Marie Huiban, militante de l’association Droit au logement, organisatrice de la manifestation, le souligne :

Non seulement la moitié des familles n’ont toujours pas été relogées, mais cinq personnes qui étaient au moins hébergées en 2016 ne le sont plus, et se retrouvent de fait à la rue. Les conditions d’hébergement se sont dégradées et il n’y a aucun suivi psychologique.

Pourtant, l’expérience traumatisante qu’ont vécue les habitants devrait rendre un tel suivi incontournable… L’un d’eux témoigne au micro : traumatisé par la nuit du 18 novembre 2015, il ne bénéficie d’aucun soutien, alors qu’il a 62 ans, est sans domicile et sans papiers.

À cela, les politiques présents, Jaklin Pavilla, première adjointe en charge des solidarités, et Stéphane Peu, député de la circonscription, répondent surtout en mettant en cause l’État. L’élue locale annonce sa volonté d’organiser une rencontre avec des représentants du gouvernement dès lundi, et le parlementaire déclare avoir envoyé une question écrite au Premier ministre, tentant de faire valoir une série d’exigences :

• la reconnaissance du statut de victime du terrorisme pour l’ensemble des habitants ;

• la régularisation « à titre humanitaire » de ceux en situation irrégulière, Stéphane Peu affirmant ne pas comprendre comment l’État peut persister à vouloir appliquer le droit commun malgré la situation exceptionnelle de ces personnes ;

• le relogement de tous les habitants ;

• l’indemnisation de ceux qui étaient propriétaires de leur logement.

© Politis

Les habitants et leurs soutiens, tout en partageant ces revendications, ne cachent pas leur scepticisme et font pression sur les élus en scandant « Hébergez les cinq sinistrés », ajoutant parfois « …dès ce soir ». Car toutes les personnes rassemblées ne veulent plus de vœux pieux ou de déclarations d’intention, mais des actes à la hauteur de l’urgence, celle de cet habitant qui n’a plus d’autre solution que de dormir dans sa voiture, et des quatre autres personnes sans domicile alors que le froid arrive.

Espérons, avec les habitants et leurs soutiens, qu’une nouvelle manifestation de colère ne sera pas nécessaire le 18 novembre 2018.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Alix*, blessée à Sainte-Soline : « Les gendarmes ont eu la permission de tuer »
Entretien 6 novembre 2025

Alix*, blessée à Sainte-Soline : « Les gendarmes ont eu la permission de tuer »

Elle a été blessée gravement lors de la manifestation contre les mégabassines, en mars 2023 et déposé plainte. Pour Alix*, les révélations de Mediapart et Libération démontrent le caractère institutionnel de la violence au sein de la gendarmerie.
Par Pierre Jequier-Zalc
Expulsion illégale : une famille porte plainte contre le préfet des Hautes-Alpes
Enquête 5 novembre 2025 abonné·es

Expulsion illégale : une famille porte plainte contre le préfet des Hautes-Alpes

Une plainte pour « abus d’autorité » a été déposée contre le préfet des Hautes-Alpes par une famille expulsée illégalement en septembre. Celle-ci était revenue en  France traumatisée et la mère avait fait une fausse couche, attribuée au stress causé par l’expulsion.
Par Pauline Migevant
Mouvement social de 1995 : la naissance d’une nouvelle génération politique
Récit 5 novembre 2025 abonné·es

Mouvement social de 1995 : la naissance d’une nouvelle génération politique

Le grand mouvement social de 1995 a vu l’apparition d’une dizaine de futurs visages de la gauche, des figures qui, en trois décennies de vie publique française, n’ont jamais abandonné le combat. Très souvent en faveur de l’union de la gauche.
Par Lucas Sarafian
1995, l’année où le syndicalisme s’est réinventé
Syndicats 5 novembre 2025

1995, l’année où le syndicalisme s’est réinventé

Dans un contexte de fin des utopies politiques et de tournant social-libéral, le mouvement de 1995 catalyse une recomposition syndicale profonde. L’unité d’action, l’émergence de nouvelles organisations et le rôle central des assemblées générales en font le point de départ d’un renouveau syndical toujours inachevé.
Par Benoît Teste