Fongicides SDHi : attention danger !

Ces pesticides, utilisés massivement dans l’agriculture contre les champignons et moisissures, présentent des risques pour la santé. Scientifiques et associations tirent la sonnette d’alarme. Éclairage en quatre questions.

Malika Butzbach  • 25 avril 2018
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Fongicides SDHi : attention danger !
© photo : DENIS CHARLET / AFP

L’association Générations futures lance l’alerte sur la présence massive de fongicides SDHi dans notre alimentation. Lundi 14 avril, un collectif de chercheurs publiait une tribune dans Libération, appelant à une étude publique et indépendante sur le danger de ces pesticides : « Au moment où se multiplient les communications alarmantes sur l’effondrement de la biodiversité en France, en Europe et dans le monde, il nous paraît urgent d’attirer l’attention sur les risques potentiels pour la santé humaine et l’environnement de l’usage d’une classe de pesticides, les SDHi (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase), désormais utilisés à grande échelle comme antifongiques en agriculture », écrivaient ces chercheurs et cliniciens issus du milieu hospitalier, universitaire ou encore des organismes de recherche publics (Inserm, CNRS, Inra). Génération futures leur a apporté son soutien pour demander au gouvernement de suspendre l’autorisation de ces substances.

Les fongicides SDHi sont-ils utilisés de manière importante ?

En se basant sur des chiffres d’Arvalis, les scientifiques affirment que ces pesticides sont utilisés à grande échelle dans certaines cultures : 70 % des surfaces traitées de blé tendre et 80 % en orge d’hiver en 2014. Les fongicides sont aussi présents sur des légumes et des fruits et dans le traitement des semences ou encore de pelouses, celles des terrains de golf par exemple. En analysant un rapport de l’Agence européenne pour la sécurité alimentaire (Efsa) d’avril 2017, Générations futures révèle une exposition importante de la population au boscalide, l’un des fongicides SDHi les plus utilisés. Des résidus de cette substance ont été retrouvés dans les eaux de surface, dans l’air et surtout dans les aliments. « Le boscalide est le résidu de pesticides le plus fréquemment quantifié dans les aliments au niveau européen (6 704 déterminations). On le retrouve dans presque 10 % des recherches le ciblant, tous aliments confondus », alerte l’association. « Le boscalide est donc un contaminant majeur de notre alimentation », s’alarme François Veillerette, le directeur de l’ONG.

Quel est leur fonctionnement ?

Apparus il y a une trentaine d’année et autorisés en Europe à la fin des années 2000, ces produits sont utilisés pour détruire les champignons et moisissures qui se développent sur les végétaux dans l’agriculture. Cette famille de pesticides appelée SDHi (pour inhibiteurs de la succinate déshydrogénase) bloque une étape de la respiration des champignon en s’attaquant à l’enzyme succinate déshydrogénase (SDH). En bloquant l’action de cette enzyme, les fongicides bloquent le fonctionnement des mitochondries (sorte de centrales énergétiques des cellules), empêchant ainsi la respiration cellulaire des champignons. « Or, les cellules de tous les êtres vivants respirent », rappellent les chercheurs qui sont spécialisés sur les mécanismes biologiques ciblés par cette substance. Leurs travaux montrent que cette entrave chimique peut agir sur tous les organismes, y compris humains.

Quels risques sur la santé ?

La respiration cellulaire (les échanges membranaires) est permise par ces mitochondries, si l’une d’elles est défectueuse, « la respiration des cellules se fait moins bien et chez l’homme, cela conduit à l’émergence de nombreuses maladies, certaines très graves », écrivent les chercheurs. Aucune étude n’a été réalisée sur les conséquences des SDHi sur la santé humaine, remarque le collectif. Mais dans leurs travaux, ils observent que les SDHi inhibent la respiration des cellules sur d’autres espèces vivantes. Pierre Rustin, généticien au CNRS et à l’Inserm, a conduit un test sur les cultures cellulaires d’humain et de nématode (ver de terre). Le résultat indique que les nouvelles générations de fongicides bloquant la SDH agissent également sur ces deux espèces.

Alors que ces pesticides fonctionnent en bloquant l’enzyme SDH, les scientifiques signataires rappellent qu’il est « connu depuis longtemps que des mutations génétiques de la SDH entraînant la perte de son activité sont la cause de maladies humaines ». Sur le long terme, le blocage de cette enzyme peut entraîner des modifications épigénétiques, autrement dit un changement de la structure de l’ADN, pouvant provoquer la survenue de cancers. Chez les jeunes enfants, cela peut se traduire par des atteintes au système nerveux, des encéphalopathies et, chez l’adulte, des tumeurs gastriques et rénales. Les anomalies de la SDH se retrouvent dans d’autres maladies humaines, la tribune cite entre autre Huntington et Parkinson.

Pourquoi ces risques n’ont-ils pas été pris en compte avant la mise sur le marché ?

Si ces fongicides SDHi ont pu passer les tests de l’homologation, c’est parce que leur mode d’action est particulier. Ces molécules ne sont pas mutagènes (la mutagénicité est l’une des étapes de la cancérogénèse), mais agissent de manière indirecte sur le système de régulation des gènes, ce qui augmente les risques de certains cancers. Les tests réglementaires de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), préalables à la mise sur le marché, ne recherchent pas ces mécanismes.

Ayant reçu les travaux des scientifiques lanceurs d’alerte, l’Anses a annoncé la mise en place d’un groupe d’experts dédiés à l’examen de ces éléments. Mais, face à l’urgence de cette alerte sur notre santé, Générations futures réclame la suspension de l’utilisation des fongicides SDHi. D’autant que l’autorisation du boscalide, fongicide SDHi le plus utilisé, arrive à son terme le 31 juillet. À voir si de nouveaux tests, plus complets, seront faits pour la réhomologation de ce pesticide.

Écologie
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