Perturbateurs endocriniens : haro sur les phtalates !

Le Réseau environnement santé relance le débat sur l’interdiction des perturbateurs endocriniens et les possibilités de limiter l’exposition notamment des femmes enceintes et des jeunes enfants.

Ingrid Merckx  • 28 juin 2018 abonné·es
Perturbateurs endocriniens : haro sur les phtalates !
© photo : Patrick Lefevre / BELGA MAG / BELGA

I l est urgent d’agir ! », lance André Cicolella à la tribune sous un écran qui diffuse une image d’Emmanuel Macron déclarant : « La santé environnementale sera une priorité du quinquennat. » « Il faut légiférer ! », renchérit Barbara Demeneix à ses côtés.

Le toxicologue et la biologiste n’en sont pas à la première alerte. Les perturbateurs endocriniens sont leur cheval de bataille de professionnels et de citoyens depuis des années. « Le terme s’est imposé », se félicite André Cicolella du Réseau environnement santé, lors d’une conférence de presse « Stratégie nationale perturbateurs endocriniens », ce 28 juin, à la mairie du IIe arrondissement, à Paris.

Mais il reste beaucoup à faire. Le bisphénol A (BPA), qu’il a contribué à faire interdire en 2010 en France en partant des biberons jusqu’aux tickets de caisse, est encore présent dans l’organisme de 75 % des femmes enceintes. Contre 95 % dans les autres pays. « C’est mieux, mais ce taux devrait être de zéro !, lâche André Cicolella qui vient de publier Les Perturbateurs endocriniens en accusation. Cancer de la prostate et reproduction masculine (Les Petits Matins). La France va-t-elle rester leader en matière de réduction de l’exposition aux perturbateurs endocriniens ? »

« Elle ne l’est déjà plus ! », enfonce Barbara Demeneix. La biologiste spécialiste du cerveau, alarmée par la baisse de QI notamment, s’exprime à cette conférence de presse en son nom propre et ne veut faire aucun commentaire sur la stratégie nationale perturbateurs endocriniens à laquelle elle participe. André Cicolella, qui y participe aussi, se sent plus libre de déclarer :

Le limogeage du député (PS) Gérard Bapt de son poste de président du Groupe Santé Environnement à l’Assemblée quatre mois après y avoir été reconduit est un très mauvais signe : on peut y voir la volonté d’écarter quelqu’un qui voulait prendre des décisions ambitieuses…

Autre signe inquiétant selon lui : la prochaine réunion de la stratégie nationale perturbateurs endocriniens a été repoussée. Elle pourrait tomber le 31 juillet. En pleine trêve estivale. Date choisie en général pour les dossiers à enterrer ou à faire passer sans remous.

100 % des femmes enceintes contaminées

Le gouvernement a reculé sur l’interdiction du glyphosate et les députés sont bien timorés face à l’amendement visant l’interdiction du plastique dans la restauration scolaire dans le cadre des débats sur la loi alimentation. Pendant ce temps, les maladies chroniques explosent, le diabète et l’obésite grimpent de même que les troubles de la reproduction et du comportement : troubles de l’attention, hyperactivité dès l’âge de deux ou trois ans, malformations génitales décelables dès la naissance.

« 100 % des femmes enceintes sont contaminées aux phtalates. Et 100 % des nourrissons, assène André Cicolella. Quand quelques dizaines de personnes sont intoxiquées par une bactérie dans un fromage, tout le monde en parle mais quand tout le monde est contaminé par des produits toxiques, qui répond à l’urgence ? » « Les phtalates sont des produits fixateurs que l’on trouve à peu près partout : dans l’alimentation, dans les cosmétiques, dans les médicaments, dans l’eau, dans les emballages…, explique Barbara Demeneix. Mais on peut les éviter ! Une étude révèle que des consommatrices de cosmétiques courants passés à des cosmétiques bio ont vu leur taux de phtalates baisser ! »

« Il est tout à fait possible de faire interdire les phtalates dans les parfums par exemple, enchaîne André Cicolella, et de se méfier du terme “fragrance”, qui masque des secrets industriels… » Autre exemple : une étude menée chez des enfants consommant des petits pots conservés dans du plastique montre qu’ils présentaient un taux élevés de contamination aux phtalates.

Une autre encore a testé des consommateurs de fast-food : les produits d’emballage et la viande avaient fait grimper leurs taux de phtalates. À noter que ces toxiques sont éliminés très rapidement. Ce qui ne les empêche pas de faire des dégâts en passant dans l’organisme. Surtout si d’autres leur succèdent ou les rejoignent en « effet cocktail ».

Une représentante de Génération Cobaye présente dans une salle (quasi exclusivement féminine) intervient pour renvoyer à la liste « Réjouisserie » que publie son association. Ou vers quels produits se tourner quand on veut limiter son exposition aux perturbateurs endocriniens.

André Cicolella signale aussi l’initiative des Villes et territoires sans perturbateurs endocriniens : des collectivités locales comme Grande-Synthe ou Nantes s’engagent à limiter les pesticides dans les espaces publics, les produits de nettoyage, l’alimentation…

« Gare aux substitutions regrettables », met en garde Barbara Demeneix qui rappelle que l’un des effets pervers de l’interdiction du BPA fut la mise en circulation d’alternatives également toxiques. Mais si l’Europe a engagé plus de 52 millions d’euros de recherche dans le domaine, c’est bien « qu’il y a sur le marché des produits qui n’ont pas encore été testés ».

Selon la biologiste du Muséum d’histoire naturelle, on oppose souvent principe de précaution et innovation : « Mais ce devrait être le contraire ! » « L’innovation doit reposer sur la santé », complète André Cicolella en revendiquant une démarche comparable à celle du BPA : « Comme pour le BPA, nous avons assez de données sur l’animal pour faire interdire les perturbateurs endocriniens. » D’ici là, surveillance absolue des étiquettes.

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