« Plus l’air est chaud, plus les pluies sont intenses »

Hydrologue à HydroSciences Montpellier (1), Yves Tramblay explique que l’intensification des pluies violentes n’entraîne pas forcément d’augmentation des crues dans tous les bassins mais pourrait causer plus de dégâts.

Ingrid Merckx  • 18 avril 2019
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« Plus l’air est chaud, plus les pluies sont intenses »
© Crédit photo : BORIS HORVAT / AFP

Face à des événements comme les inondations survenues dans l’Aude en octobre dernier, votre travail sur le lien entre catastrophe et réchauffement climatique s’est-il intensifié à HydroSciences ?

Yves Tramblay : Sur l’augmentation des risques naturels, on n’a pas forcément plus d’inondations, mais celles qui surviennent entraînent plus de dégâts qu’auparavant. Ce que nous observons, pour l’instant, c’est la hausse de la vulnérabilité face à des pluies extrêmes qui s’intensifient : de plus en plus de dommages, rapportés par les assurances par exemple, notamment dans les bassins urbains imperméabilisés avec des routes, des habitations. Il y a de plus en plus d’habitat dans des zones exposées, les réparations coûtent de plus en plus cher. Dans des bassins naturels ou agricoles, les sols ont tendance à être de plus en plus secs avec la hausse des températures et des épisodes de sécheresse. Des pluies qui deviennent plus fortes n’entraînent pas forcément des ruissellements plus importants en surface. Il faut bien distinguer les deux milieux : naturels, qui ont en théorie la capacité d’absorber l’eau surtout en conditions de sécheresse, et zones urbaines, où c’est l’inverse qui se produit.

Les sols asséchés par la sécheresse parviennent-ils quand même à absorber des pluies violentes ?

Oui, quand on considère des bassins versants, soit des zones de plusieurs centaines de kilomètres carrés. À l’échelle réduite d’un champ, c’est un peu différent : les pluies sur des sols très secs peuvent en effet être moins absorbées. On a connu un tel épisode de forte pluie début avril 2019, après une longue période de sécheresse, avec des chutes de grêle importantes, à Montpellier et alentours. Cela peut causer des dégâts directs sur les habitations et les cultures, en dehors même d’une montée des eaux et d’épisodes de crues.

À quoi attribuez-vous l’intensification de pluies violentes ?

C’est assez récent, mais, depuis quelques années, il y a un consensus scientifique pour relier ces épisodes au changement climatique entraîné par les activités humaines. La science fonctionne par consensus : plusieurs chercheurs arrivent aux mêmes résultats avec des données et des méthodes différentes. Ce qui permet d’obtenir des conclusions robustes. Une étude ne doit pas être prise isolément. Pour le public non scientifique, il existe des articles plus accessibles que ceux qui paraissent dans les revues scientifiques. Je pense par exemple à un article publié sur le site The Conversation par des collègues de l’Irstea : « Changement climatique et pluies extrêmes, ce que dit la science ».

Quel est le phénomène qui préside à cette intensification des pluies ? À Bize-Minervois le 15 octobre, il serait tombé en deux heures l’équivalent de six mois de pluie…

On a déjà eu des précédents : dans le Gard en 2002 autour de Nîmes, il est tombé 600 millimètres, c’est gigantesque, quasiment ce qui tombe en un an. Le mécanisme est assez connu, maintenant : plus un air est chaud, plus il peut contenir d’humidité. Donc s’il y a plus d’eau dans l’atmosphère, quand il pleut, mécaniquement, les intensités peuvent être plus fortes. Difficile de travailler sur des épisodes isolés, comme celui d’octobre dans l’Aude. Ce qu’on fait dans ces cas-là, c’est un retour d’expérience : on va sur le terrain, on note les marques de hauteur d’eau atteinte, on les intègre ensuite dans des études de modélisation relatives aux zones inondables. En ce qui me concerne, je travaille plus à une échelle régionale et climatique : l’Aude est un événement qui s’insère dans une suite d’événements à partir desquels on peut établir des statistiques, des différences ou ressemblances avec des événements passés, et se demander si, dans un avenir proche, ces épisodes pourraient devenir plus fréquents.

Dans un article paru dans Le Monde**, vous avez précisé que l’intensification de pluies extrêmes concernait tout le bassin méditerranéen : France, Grèce, Italie, Maghreb…**

Une particularité du climat méditerranéen ce sont ces épisodes de pluies intenses, qu’on appelle « cévenoles » vers les Cévennes, mais qui fonctionnent sur le même principe un peu partout en Méditerranée avec de fortes intensités de pluies sur des temps assez courts. Le changement climatique n’est pas homogène sur la planète. Plusieurs études convergent pour dire qu’au niveau global, sur toute la planète, en moyenne, les pluies intenses vont augmenter. Mais il y a ensuite de nombreux changements au niveau régional car les climats sont impactés par la localisation des continents, des mers, des terres par rapport aux circulations atmosphériques dominantes. On observe un contraste nord-sud en Méditerranée par exemple. Il serait faux de dire que les pluies augmentent partout : pour l’instant, elles augmentent surtout sur le nord de l’Italie et les côtes adriatiques. En France, on reste sur des valeurs plus modestes. On a de bonnes raisons de penser que les pluies vont devenir plus fortes dans le sud de la France mais, au niveau des conséquences sur le ruissellement de surface qui entraîne des crues et des inondations, on n’est pas encore trop sûrs des impacts futurs.

Comment l’entretien des rivières intervient-il dans les épisodes de crue ?

Ce n’est pas mon domaine de recherche principal mais il existe en effet des phénomènes d’embâcle : des troncs d’arbres, par exemple, s’entassent dans la rivière hors crue et créent une sorte de mini barrage qui va gêner l’écoulement de l’eau. Au fur et à mesure que l’eau va monter, le barrage va céder en déclenchant une sorte de vague. Il est donc important d’entretenir les rivières.

Cette intensification des pluies extrêmes vous inquiète-t-elle ?

Je ressens surtout de la déception face à la différence énorme entre la quantité d’études qui paraissent et montrent l’impact des changements climatiques dans des domaines très variés – fontes des glaces, du pergélisol dans les latitudes boréales, hausse du niveau de la mer, risques naturels, impacts sur la biodiversité, etc. – et le degré de réponses des pouvoirs publics. Depuis la COP 21 à Paris, les émissions de la France ont recommencé à croître, ce qui illustre l’absence de lien entre communication et action. On se sent impuissant face à ça. Maintenant qu’il existe un consensus scientifique sur le lien entre réchauffement climatique et activités humaines, c’est à nous scientifiques et à vous médias d’informer sur ce qui se passe. L’information scientifique existe. Mais elle reste mal connue.


(1) HydroSciences Montpellier est une unité mixte entre l’université de Montpellier, le CNRS et l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui travaille sur un spectre assez large dans le domaine de l’eau, sur des questions de quantité (ressources extrêmes, hydrologiques et climatiques) et de qualité des eaux (pollution et contaminants).

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