Adrien Quatennens : le gardien du temple insoumis

Désormais numéro 2 de LFI, Adrien Quatennens, 29 ans, incarne à la fois la fidélité absolue à Jean-Luc Mélenchon et sa potentielle relève.

Agathe Mercante  • 9 juillet 2019 abonné·es
Adrien Quatennens : le gardien du temple insoumis
©photo : Adrien Quatennens lors de « la Fête à Macron » à Paris le 5 mai 2018. crédit : FRANCOIS GUILLOT/AFP

Dans la barre de recherche de Google, quand on tape « député insoumis », la première suggestion y appose l’adjectif « roux », signe que la recherche a bien souvent été faite. Signe aussi qu’Adrien Quatennens ne passe pas inaperçu. « C’est sûr que, dans les manifestations, on le retrouvait facilement », se souvient un compagnon de lutte de la région lilloise.

Grand, roux, les cheveux en brosse, le député La France insoumise (LFI) de la première circonscription du Nord (Lille) se démarque aussi par son calme, son phrasé didactique et son aisance dans les débats. Autant de qualités qui font de lui l’un des députés les plus populaires de la quinzième législature. Au départ militant du Parti de gauche à Lille (qu’il intègre en 2013), Adrien Quatennens a su, au fil des ans, se rendre indispensable au sein de LFI, devenant, le 22 juin, le nouveau « coordinateur » du mouvement, en lieu et place de Manuel Bompard, élu député européen.

Cette place de « numéro 2 » – dénomination qu’il réfute – est l’aboutissement d’un long parcours pour l’élu, qui n’a pas 30 ans. Mais attention aux apparences : rien chez Adrien Quatennens ne renvoie à une figure juvénile. « Il a toujours été très calme, très imposant. Même le soir de son élection, quand il est venu dans notre bar pour nous remercier, sa joie était contenue », se souvient un militant LFI lillois. « Son attitude rappelle qu’il n’est pas un jeune député, il est député, point », résume un de ses proches.

Comme tous les membres de sa génération (au rang desquels Mathilde Panot, Manon Aubry ou encore Marina Mesure), Adrien Quatennens est marqué dès le lycée par les manifestations étudiantes contre la réforme Fillon (2005) et le contrat première embauche (2006). « J’étais très intéressé par ce processus d’organisation collective », explique-t-il. Issu d’une famille « où l’on ne parlait pas de politique », le lycéen s’engage alors auprès d’associations venant en aide aux sans-abri. « Tous les jeudis, nous faisions des maraudes », se souvient-il. Un engagement qu’à l’époque il ne souhaite pas appliquer à la politique. « Comme beaucoup, j’affichais ma défiance envers ces appareils. » Depuis Lille, il assiste à la création du Front de gauche et participe en tant que simple sympathisant à la campagne de Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle de 2012. En parallèle de son engagement militant, il poursuit ses études : bac, fac d’économie, puis BTS management des unités commerciales en alternance chez EDF.

En 2013, quand il prend sa carte au Parti de gauche, Adrien Quatennens est conseiller clientèle pour l’énergéticien à Lille. Du Front de gauche, cette alliance entre le Parti de gauche, le PCF et Gauche unitaire, qui a duré de 2009 à 2018, il garde un souvenir heureux. Fervent défenseur de l’adhésion individuelle à ce mouvement, il se souvient de « ces alliances rouges-vertes » qui décrochaient « plus de 20 % des voix dans la région ». Mais aussi de « l’écueil habituel quand vous travaillez dans un attelage politique » et que vient « le même réflexe chez chacun de défendre sa chapelle ». Autant de souvenirs qui amènent Adrien Quatennens à s’engager dans LFI et à se porter candidat aux législatives de 2017, qu’il remporte de justesse (50 voix) face à Christophe Itier, le candidat de La République en marche (LREM).

Plongé dans l’Assemblée nationale, le nouveau député attire rapidement l’œil des médias. Le 10 juillet 2017, devant un hémicycle comble, il monte à la tribune pour présenter la motion de rejet préalable des Insoumis à la réforme du code du travail. « Vous n’aurez pas notre blanc-seing pour jouer les apprentis sorciers avec le code du travail ! » lance-t-il à l’adresse de la ministre Muriel Pénicaud. ­Abondamment diffusé sur les réseaux sociaux, ce discours lui ouvre les portes des chaînes de télé. « Les médias voulaient mettre en scène l’opposition à cette réforme et ils avaient choisi Adrien pour le faire », explique Juliette Prados, attachée parlementaire du groupe. « Il a un vrai talent d’orateur, on s’en est aperçu quand il était encore à Lille », confirme un Insoumis.

Depuis, Adrien Quatennens est l’un des députés LFI les plus médiatisés : radios, télévisions, journaux… Le grand public le découvre aussi le 11 avril dernier sur CNews, à l’occasion d’un débat pour les élections européennes, où il se démarque en s’opposant frontalement à Marine Le Pen et Stanislas Guerini, le patron (fantoche) de LREM. « Il est balèze, percutant, solide », résume le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts, David Cormand, qui débattait lui aussi ce jour-là. La soirée aurait pourtant bien pu ne jamais avoir lieu. « Au départ, CNews voulait Jean-Luc Mélenchon ou la tête de liste Manon Aubry pour ce débat, on a un peu bataillé pour imposer Adrien », se souvient Juliette Prados.

Le leader des Insoumis et la conductrice de la liste étaient ce soir-là au grand meeting de LFI à Amiens, avec François Ruffin. Politis y était. Et dans les coulisses, au sortir des discours, les cadres de LFI se félicitaient non pas de leur prestation, mais de celle du député du Nord à la télévision. « Je savais que ça allait bien se passer », indique Juliette Prados. Et elle n’était pas la seule : à LFI, la confiance investie en Adrien Quatennens est grande. Et en cas d’absence des autres cadres dirigeants, ils savent que la maison sera bien tenue. En clair : il a les clés du camion.

« Je connais le programme et je n’ai aucune difficulté à le défendre », justifie l’intéressé. Mais à entendre ses proches, ses qualités vont au-delà. « Il court-circuite ses interlocuteurs, ne les laisse pas en placer une et termine ses phrases à chaque fois, constate un Insoumis. Il a travaillé dans un call center quand il était plus jeune, c’est sans doute là-bas qu’il a appris à aller au bout d’une idée et à ne pas se laisser démonter. »

Au lendemain du débat sur CNews, Adrien Quatennens est projeté dans la campagne : dans une confrontation avec les leaders des grands partis le 24 avril sur LCI, le 10 mai en matinale sur RTL, le 13 à une conférence de presse lilloise, le 15 sur la matinale de France Info, le 16 sur celle de France 2, le 23 au Parlement européen… Un agenda chargé qui ne l’empêche pas dégager du temps tous les mercredis pour les répétitions des Insousols, le groupe de musique où il est batteur.

La présence publique accrue de l’élu du Nord a même conduit militants et observateurs politiques, au lendemain du désastreux résultat du 26 mai, à l’envisager comme successeur de Jean-Luc Mélenchon à la tête du mouvement. Une place qu’il refuse pourtant de prendre. Proche du leader insoumis, Adrien Quatennens est un fervent défenseur d’une candidature du tribun pour la présidentielle de 2022. Protégé de Jean-Luc Mélenchon – qui confiait à Libération : « C’est l’un des seuls avec qui je peux passer quelques jours en congés » –, il est devenu en quelques mois l’un de ses porte-voix. Le coordinateur du mouvement a même été désigné sur des critères qui paraissent à beaucoup incompréhensibles. La députée de Sevran Clémentine Autain affirmait ainsi « ne pas savoir » d’où et de qui émanait ce choix.

Alors que le mouvement a connu des jours meilleurs, Adrien Quatennens aura la charge de gérer les affaires courantes, de préparer les grands rendez-vous (les municipales approchent) et d’appliquer les décisions approuvées par les militants durant l’assemblée représentative du mouvement. Mais aussi d’endiguer la fuite des cadres. Ces derniers mois, Djordje Kuzmanovic, François Cocq, Corinne Morel Darleux, Charlotte Girard et, plus récemment, Manon Le Bretton ont claqué la porte, déplorant, entre autres, un manque de démocratie interne. « Si vous voulez avoir la faveur des médias et une petite carrière d’une semaine, faites un post Facebook pour dire que vous quittez La France insoumise et il y aura des articles sur vous », a sèchement répondu Adrien Quatennens sur BFM TV. « Nous resterons concentrés sur l’extérieur du mouvement et non sur les querelles internes », nous indique-t-il ensuite. Le message est clair.

Mais le fidèle d’entre les fidèles, qui confie être attaché au mot gauche même s’il « ne suffit plus à rendre notre discours intelligible », pourra-t-il infléchir un tant soit peu la ligne du mouvement ? Pas sûr. « On se rend compte que ce sont ceux qui décidaient avant qui se redéploient », indique un opposant. « Quand je parle à Adrien Quatennens, je ne sais plus si c’est à lui que je parle ou au porte-voix de Jean-Luc Mélenchon », déplore de son côté un militant du Nord.

Cette ascension express s’explique par la grande organisation et la loyauté de l’élu du Nord. Mais ça ne lui épargne pas quelques critiques. « Il a un côté moine soldat, un peu austère et très théorique », glisse-t-on à la mairie de Lille. « Il manque de spontanéité », ajoute une opposante parisienne.

Spécialisé dans les questions sociales (il siège d’ailleurs à la commission des affaires sociales à l’Assemblée), Adrien Quatennens est un bourreau de travail. « En ce moment, je me passionne pour les questions géopolitiques et l’actualité internationale », confie-t-il.

Au poste de député et à celui de coordinateur de LFI pourrait bien s’ajouter celui de candidat à la mairie de Lille aux municipales de mars 2020. Mais le temps n’est pas extensible et il faudra faire des choix. « Nous allons devoir espacer les répétitions des Insousols », conclut Adrien Quatennens.

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