Hakim Djaziri, voie off

L’auteur-acteur de _Désaxé_ retrace la radicalisation d’un jeune homme puis sa sortie du piège.

Gilles Costaz  • 2 juillet 2019 abonné·es
Hakim Djaziri, voie off
© crédit photo : Mohand Azzoug

Hakim Djaziri a 38 ans, et déjà toute une vie haute en couleur, en malheur et en fureur. L’écriture et le théâtre l’ont arraché au piège des extrêmes. Il a une présence d’acteur très originale et le metteur en scène Quentin Defalt a su monter son premier texte dans un style qui échappe au réalisme du premier degré. Nous avons rencontré l’auteur-acteur et le metteur en scène peu avant leur arrivée à Avignon, dans un moment où les écrits d’Hakim sortent de l’ombre et intéressent même certaines universités américaines.

La pièce d’Hakim Djaziri s’inspire de son enfance en Algérie, de son arrivée en France, de l’installation de la famille à la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois, de son ­enrôlement dans le radicalisme religieux, jusqu’à des projets de départ pour le Moyen-Orient et, enfin, de son refus de cette violence-là.

Le personnage de Désaxé, c’est vous-même ?

Hakim Djaziri : C’est plutôt un autre. Il n’a pas de nom, et c’est un dialogue entre un jeune homme et un vieil homme. Mais c’est mon propre parcours, ce que j’ai fait, dans la marge, de 13 ans et demi à 20 ans. Il m’a fallu réparer tout le mal que j’avais fait à mes proches. Et il fallait que je me débonde par l’écriture, que j’exprime ma colère.

Et les personnages dont vous parlez sont des gens que vous avez connus.

H. D. : La part familiale est authentique. Mon père était haut fonctionnaire en Algérie. Nous avons dû partir en France. À Aulnay, il a d’abord vendu des shampoings sur les marchés avant de fonder une petite société ­d’import-export. Ma mère, psycho­logue, s’est engagée dans l’alphabétisation. Moi, j’ai fréquenté les gens qui m’ont fait prier et m’ont radicalisé. Ce sont des personnes que je ne vois plus. Certains s’en sont sortis. L’un de mes recruteurs est éducateur !

À quel moment avez-vous changé, jusqu’à écrire Désaxé ?

H. D. : J’étais pris dans l’embrigadement religieux, mais, à l’époque, on ne partait pas en Syrie. Je m’étais mis à me poser beaucoup de questions. Le texte est né de ce questionnement. Si je n’avais pas rencontré le théâtre, je ne sais pas comment j’aurais évolué. J’étais au milieu de gens très convaincus et très convaincants. J’ai senti le besoin d’explorer ma vie à travers un acte théâtral. Je sentais un besoin d’exposer cela, que j’avais beaucoup à dire sur la rupture identitaire. Désaxé, c’est l’histoire d’un homme qui sort de son axe.

Vous avez écrit ce texte rapidement ?

H. D. : D’abord, j’ai créé mon collectif, le Point zéro, en 2015. On a monté plusieurs pièces, surtout Les Oranges d’Aziz Chouaki, sur l’histoire coloniale de l’Algérie. C’est à partir de là que j’ai décidé d’écrire. J’écris tout le temps, maintenant. Dans le off d’Avignon, l’an dernier, j’ai fait la connaissance de Quentin Defalt. On a beaucoup discuté. C’est Quentin qui, avec sa compagnie Teknaï et mon Point zéro, a monté Désaxé et m’a dirigé dans le rôle principal.

Quentin Defalt, quel a été votre premier sentiment sur ce texte ?

Quentin Defalt : On a travaillé très vite, étonnamment. J’ai demandé à Hakim de développer les autres personnages. Il a redialogué pour casser le principe du monologue. Deux acteurs, Leïla Guérémy et Florian Chauvet, jouent avec lui. Je voulais faire sentir aussi le rêve et le souvenir. Tous ont su travailler sur le fil. Un concours de circonstances a fait que la première de la pièce a eu lieu à Barcelone, au festival de théâtre en français Oui ! Désaxé a passionné à Barcelone, comme après en France, à l’espace Jacques-Prévert d’Aulnay-sous-Bois et ailleurs. C’est un spectacle qui déclenche beaucoup de débats.

Hakim Djaziri, ne risquez-vous pas d’être à la fois contesté par un camp et récupéré par un autre ?

H. D. : Des jeunes m’ont dit que voir Désaxé avait changé leur vie. La pièce peut aussi être vue comme un outil de prévention et, d’ailleurs, le comité ­interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation a programmé quelques dates dans des zones sensibles. Mais il faut veiller à comprendre et à ne pas braquer les gens qui viennent vous écouter.

Q. D. : C’est la première fois que je crée un spectacle utile en tant qu’engagement citoyen. J’ai senti cela dès les répétitions, et je le ressens à chaque représentation.

Il y a la violence de la radicalisation mais aussi la violence policière.

H. D. : Dans nos banlieues, nous avons beaucoup souffert des bavures policières. J’aime beaucoup le film de Ladj Ly, Les Misérables. Je participe à l’élaboration d’une pièce sur la violence des forces de l’ordre. J’y interviendrai comme acteur.

L’écrivain-acteur que vous êtes va continuer à écrire ?

H. D. : J’écris pour Quentin Defalt une série qui comprendra dix épisodes et s’appellera Les Désaxés. J’ai déjà rédigé les deux premiers textes. Sous-titré La Transmission sacrifiée, le premier parle de mon père et revient sur la radicalisation ; le second sera le « carnet d’abîmes d’une convertie ».

Q. D. : Ce sera une série façon théâtre. Dans la continuité, mais avec une durée plus courte : dix épisodes d’une heure. L’intégrale fera donc dix heures. Démarrage à l’espace Prévert en avril 2021. Hakim et moi réaliserons chacun cinq mises en scène, avec deux équipes de quinze acteurs.

Participer au festival off ­d’Avignon, qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Q. D. : Si nous pouvions nous passer d’Avignon, nous le ferions ! J’ai du mal avec ce jeu avignonnais, mais l’accueil du Théâtre du Train bleu, là-bas, est exceptionnel. Le off est là pour donner un coup de boost au in. Nous, dans le off, nous jouons notre vie. Que de drames humains, de personnes qui perdent tout dans le off ! Cela ne devrait pas être comme ça.

Désaxé, festival off d’Avignon, Théâtre du Train bleu, à 15 h 15 jusqu’au 24 juillet, 04 90 82 39 06. En tournée la saison prochaine.


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