Pour une école sans classes

Célestin Freinet, instituteur et pédagogue, est à l’origine de réflexions et de méthodes pédagogiques forgées auprès de ses élèves, issus majoritairement du prolétariat rural. Extraits d’un texte de 1934 toujours actuel.

Laurence De Cock  et  Mathilde Larrère  • 24 juillet 2019
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Pour une école sans classes
© photo : Des enfants prennent leur goûter dans la cour d’une école de Suresnes, dans les années 1930.crédit : FRANCE PRESSE VOIR/AFP

En mai 1934, Célestin Freinet écrit un texte dans la revue du mouvement qu’il a fondé : L’Éducateur prolétarien. Résolument à gauche, communiste, il y prône une pédagogie de transformation sociale, seule à même, selon lui, de lutter contre l’oppression bourgeoise. Au-delà des formules datées et surannées, on trouve dans l’extrait reproduit ici l’éclatante actualité de sa pensée, toujours en faveur des enfants les plus démunis. C’est pour ces échos que nous lui consacrons cette rubrique.

« Ce ne sont pas les quelques mesures d’assistance, motivées plus par les nécessités électorales que par des sentiments d’équité sociale, qui empêcheront la réalité de se faire jour désormais : une école où, d’avance, et quelles que soient ses capacités intellectuelles, l’enfant est mis systématiquement en état d’infériorité pédagogique parce qu’il est fils de prolétaire, une telle école est délibérément, et malgré tous les sophismes, une école de classe qui n’a pas été créée pour l’enfant, où l’enfance est faite pour servir un régime et en subir les tares et les fautes. […] Le temps des illusions transformistes est passé : le capitalisme menacé par la montée des forces jeunes et audacieuses se fait impitoyable. Il faut maintenant jeter bas les derniers masques : tous nos efforts idéologiques, toutes nos recherches désintéressées pour une plus saine compréhension de notre tâche, toutes nos aspirations vers le progrès éducatif sont directement et matériellement menacés par l’aggravation incessante des conditions de vie et de travail des enfants, de leurs parents et de leurs éducateurs. Nous régressons vers une sorte de Moyen-Âge pédagogique, et cela nous paraît [d’autant plus] monstrueux et intolérable que nous nous croyions parfois, pratiquement, si près du but : si seulement on avait voulu sacrifier pour l’éducation une partie de l’argent gaspillé pour l’incessante préparation à la guerre, nous aurions fait de nos écoles des flambeaux d’humanité, des embryons de l’harmonieuse société nouvelle.

[…] Que faire alors, diront les camarades ?

D’abord, la partie ne fait que se jouer. Au moment où la masse ouvrière réagit si courageusement contre la montée du fascisme, il ne nous appartient pas de désespérer. Selon notre habitude nous avons voulu mesurer exactement les dangers afin de vous engager et de vous préparer aux luttes décisives et inéluctables.

Il nous faut continuer hardiment notre action pédagogique, poursuivre malgré tout nos expériences difficiles qui jalonnent peu à peu la voie de l’éducation populaire libératrice. Nos efforts ne sauraient être totalement inutiles.

Mais il est urgent de redonner à ces préoccupations pédagogiques leur vraie place sociale : place d’honneur certes dans un régime qui servirait l’enfant et le peuple, place de propagande et de combat dans notre régime, intéressant l’enfant, les parents, les éducateurs à une tâche dont ils doivent sentir toute la portée émancipatrice pour être mieux préparés à mener la lutte urgente, sur tous les terrains, social, syndical et politique : pour donner du pain et des soins aux fils de travailleurs, pour leur construire des habitations claires et aérées, pour bâtir des écoles modernes, pour les meubler et les garnir du matériel indispensable ; pour exiger la préparation et la nomination de cadres nouveaux d’instituteurs et réduire à un chiffre normal l’effectif scolaire, pour contrebattre les influences abrutissantes de la presse, du cinéma, de l’Église, malgré et contre toutes les forces réactionnaires, les instituteurs doivent se dresser au double titre de citoyens et d’éducateurs décidés à intégrer totalement leur tâche dans le processus historique d’évolution sociale.

À l’heure qu’il est, notre devoir d’éducateurs prolétariens n’est pas seulement dans nos classes menacées ; il est aussi au sein des masses qui, par leur puissante protestation antifasciste, tâchent de barrer la route à un régime qui serait la mort de l’école progressiste et l’anéantissement provisoire de nos rêves d’éducation nouvelle libératrice. »


À qui appartient donc L’Internationale ?

Tout commence par l’enterrement d’Henri Malberg, auquel se rend tristement Élise Thiébaut. L’Internationale résonne autour de la tombe. Élise Thiébaut filme et poste sur Facebook. Quelle n’est pas sa surprise quand elle reçoit un message du réseau social refusant sa vidéo au motif que la musique n’est pas libre de droits ! La voici lancée dans une enquête pour comprendre pourquoi L’Internationale n’est pas dans le domaine public.

Le livre qui sort aux éditions La Ville brûle est le résultat de cette enquête riche en rebondissements à la recherche des ayants droit. Un périple qui nous emporte de 1848 à nos jours, auprès de Pottier et de Degeyter, spolié de ses droits par son propre frère. Ce faisant, l’ouvrage fait revivre la Commune, les révolutions russe et spartakiste, et mille autres luttes où l’on chanta « Debout, les damnés de la terre ». Le tout superbement illustré par les dessins en noir et blanc d’Edmond Baudoin.

Les Fantômes de l’Internationale Élise Thiébaut et Baudoin, La Ville brûle, 128 pages, 19 euros, parution le 30 août 2019.

Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.

Temps de lecture : 5 minutes
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