Louise Michel au Panthéon ?

L’idée de faire entrer la militante anarchiste dans ce lieu de la mémoire républicaine a en tout cas été lancée dès 2013. Chronique de Sidonie Verhaeghe, chercheure associée au CERAPS à l’université de Lille

Sidonie Verhaeghe  • 1 avril 2020
Partager :
Louise Michel au Panthéon ?
© Louise Michel donne une conférence le 30 novembre 1880.Photo : Lee/Leemage/AFP

Militante anarchiste, Louise Michel est une figure collective d’une plasticité étonnante, aujourd’hui introduite dans l’histoire républicaine autant que symbole de la révolte. Objet de mémoire, elle révèle des conflits de représentation et de légitimité politique. À sa mort en 1905 se fixent trois représentations : la révolutionnaire irréprochable (une vie tournée vers l’action et la lutte), la militante dévouée (la sœur de charité laïque), la femme hors norme (la Vierge rouge). C’est à partir de ces images de l’exceptionnalité de Louise Michel que vont se construire les mémoires collectives au XXe siècle.

La perte d’influence du mouvement anarchiste après la Première Guerre mondiale empêche Louise Michel de gagner le combat de la mémoire : le Parti communiste s’empare de sa postérité publique. Commémorations de l’anniversaire de sa mort, biographies dans L’Humanité, le PCF inscrit cette figure dans son martyrologe révolutionnaire. Il participe aussi, après la Deuxième Guerre mondiale, à la faire basculer du côté du roman national. Associant les résistants aux communards, le PCF construit un cadrage patriotique auquel Louise Michel n’échappe pas. En 1946, sa tombe est ainsi déplacée dans le cimetière de Levallois-Perret au rond-point des Victimes du devoir, à côté de celles des résistants.

Soutien aux éditeurs indépendants

Nous n’avons jamais autant ressenti le besoin de nous poser pour penser le monde d’après. C’est qu’il ne faudra pas le laisser aux fossoyeurs de celui d’aujourd’hui. Or on ne réfléchit jamais mieux qu’à plusieurs, et les livres servent en partie à cela. Du moins ceux que nous aimons et défendons, ceux qui aiguisent la critique et qui n’existeraient pas sans des maisons d’édition engagées et indépendantes. C’est à ces dernières que nous rendons hommage ici : Agone, La Fabrique, Amsterdam, Libertalia, Anamosa, les Éditions du Commun et bien d’autres. Des maisons qui donnent accès gratuitement à des dizaines d’ouvrages numérisés vers lesquels vous pouvez vous ruer dès maintenant. En creux, c’est aussi leur avenir et celui des librairies qui se joue.

Une pétition à signer : https://soutienlibrairieedition.wesign.it/fr

L. D. C. & M. L.

Autour du centenaire de la Commune apparaissent de nouvelles façons de parler de l’événement, concurrentes de celles du PCF : on s’intéresse à la sociologie des populations urbaines, au rôle joué par les classes populaires, à la psychologie des communards. Tout cela a des conséquences sur les discours autour de Louise Michel et contribue à l’activation d’une image peu utilisée jusqu’alors : celle de ses vertus morales. Parallèlement, le développement académique de l’histoire des femmes donne à la figure de Louise Michel une nouvelle coloration : ce n’est plus seulement en tant que communarde et révolutionnaire qu’elle est sollicitée, mais aussi parce qu’elle est une femme.

À partir de 1981, Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme, œuvre à l’intégration des femmes dans l’histoire nationale. L’entrée de la gauche socialiste au cœur des institutions politiques participe à extraire la figure de Louise Michel des mémoires révolutionnaires pour l’intégrer au récit national : augmentation substantielle des noms de rue, intégration dans les manuels scolaires, convocations dans les discours politiques, expositions nationales… La proposition de la faire entrer au Panthéon en 2013 est l’apogée de ce processus. Elle n’est cependant pas la marque d’une dépolitisation de cette figure, mais témoigne de la coexistence de plusieurs Louise Michel, de plusieurs mémoires, de plusieurs usages politiques.

Enfin, il est intéressant de voir les différents effets du genre de Louise Michel dans sa postérité. Son statut de femme a d’abord joué comme une contrainte dans l’élaboration des représentations : l’image de la bonté, du dévouement et de la charité donne bien à voir les marquages genrés de l’engagement politique. Cependant, il s’est également révélé être une ressource dans sa trajectoire mémorielle : en produisant des « labels » de célébrité et de postérité (le surnom de Vierge rouge) et en rendant possible une lecture pacifiée de cette militante anarchiste, introduite dans l’histoire des femmes dans les années 1970, puis transférée de l’université jusqu’au récit national. Mais cette ressource est contingente : Louise Michel est assignée à incarner le féminisme du dernier tiers du XIXe siècle, souvent au détriment de son engagement anarchiste et révolutionnaire. Elle représente dans sa version républicaine les combats des femmes, et est par ce biais renvoyée à sa classe de sexe. Ce sont les dimensions charismatiques et symboliques de cette figure qui sont valorisées, davantage que son rôle politique et idéologique. Au-delà du cas de Louise Michel, cela montre que la République a intégré dans son référentiel un certain féminisme, méritocratique et différentialiste. Celui-ci peut désormais devenir un moyen républicain de produire du consensus, un outil de pacification de la conflictualité politique et historique.

Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.

Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don