Gouverner sans chef, ils l’ont fait ! La compagnie des Tiers-lieux : Tout lâcher pour la « do-ocratie »

« Si vous avez une intuition, une envie, un besoin, faites des trucs et construisez là-dessus. »

Erwan Manac'h  • 16 décembre 2020 abonné·es
Gouverner sans chef, ils l’ont fait ! La compagnie des Tiers-lieux : Tout lâcher pour la « do-ocratie »
© Patricia Huchot-Boissier / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

À la Compagnie des tiers-lieux, on invente la gouvernance « effervescente ». Cette association est née il y a deux ans de la volonté de fédérer le bouillonnant mouvement lillois des tiers-lieux et d’établir une médiation avec les institutions. Elle gère en 2020 un budget de 200 000 euros avec pour mission d’aider à faire fleurir du « commun » partout où c’est possible. La douzaine de membres actifs, baignés dans la culture du « libre », s’est dotée d’une gouvernance nouvelle qui fait primer l’action sur la délibération. Chacun·e décide et agit par soi-même, même si cela nécessite d’engager une dépense, à l’unique condition d’en informer tout le monde. « C’est un principe simple : “je fais, donc je décide”_, sachant que nous sommes rarement seul·es sur un projet. La seule exception concerne les décisions qui ont un impact important sur les autres »,_ explique Benoît De Haas, qui s’occupe des ressources et outils partagés, libres et ouverts, utiles aux tiers-lieux (1)_. « Si vous avez une intuition, une envie, un besoin, faites des trucs et construisez là-dessus. Votre réflexion va se nourrir de ce que vous aurez fait. »_ Les grandes décisions sont tout de même débattues, mais elles sont tranchées autant que possible sans vote, ni même consensus. La compagnie se limite à un principe de consentement : l’action est lancée si personne n’exprime de veto. « On ne veut pas que tout le monde soit d’accord, on veut que personne ne bloque. C’est le jour et la nuit en matière d’efficacité », témoigne Benoît De Haas.

Ce modèle expérimental, appelé « do-ocratie », fonctionne sur un principe de transparence rendu possible par l’outil coopératif numérique (et open source) Framavox (2). Une trace de chaque action est laissée sur le réseau et les membres du groupe peuvent donner leur avis en permanence. Un journal de bord est également complété chaque semaine par les participants, avec quelques lignes sur les dossiers en cours. « Ces “radiateurs d’information” ont été imaginés pour que l’information ne pollue plus le travail en réunion. Nous ne gardons que ce qui est intéressant pour le collectif. » Le groupe se réunit donc une fois par semaine pour une « coordination » d’une heure consacrée aux sujets ayant un véritable impact.

« Pour moi, c’est miraculeux, applaudit Capucine Deweer, ravie d’avoir quitté le monde de l’entreprise_. Ce modèle est loin d’être parfait, mais il permet d’avancer, d’expérimenter. On se sent beaucoup plus acteur et on comprend pourquoi les décisions sont prises. Cela renforce la confiance dans l’organisation. »_ L’association fonctionne donc sans chef, avec uniquement des membres désignés comme « soucieux », qui mènent des chantiers et veillent à ce que les objectifs fixés par les financeurs soient atteints.

« Un tel fonctionnement est loin d’être évident, reconnaît Benoît De Haas. Il faut de la confiance en soi pour expérimenter et oser le dire lorsque quelque chose a foiré, pour que le problème soit résolu collectivement. Il faut aborder la transparence comme un outil d’efficacité et non de flicage. C’est un changement de culture. » S’il est redoutablement efficace, ce système ne résout pas, par nature, les tensions et rapports de domination que rencontre tout groupe humain. « Si un collectif n’est pas politisé et n’a pas de réflexion sur la place des femmes, des Noirs, des gens qui n’ont pas fait d’études, etc., ce n’est pas la do-ocratie qui le rendra plus inclusif. Il faut en avoir conscience », analyse Benoît De Haas. En toute transparence.

(1) En particulier la plateforme documentaire Movilab.org, l’adaptation du logiciel de gestion administrative Dokos aux besoins des tiers-lieux, le « cahier d’activité des tiers-lieux », qui partage les techniques d’animation pour la prise de décision, ou encore le partage du modèle du site Internet en open source.

(2) Tout est public : frama.link/Compagnie

Société Économie
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Gouverner sans chef, c'est possible
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