Les Communes sont bien vivantes !

L’historien Quentin Deluermoz revient sur l’histoire des soulèvements de 1870 et 1871. Et analyse leurs échos jusqu’à nos jours et au-delà des frontières.

Olivier Doubre  • 2 décembre 2020 abonné·es
Les Communes sont bien vivantes !
La tombe de Jean-Baptiste Clément, auteur du Temps des cerises, au Père-Lachaise, à Paris.
© Daniel THIERRY / Photononstop / Photononstop via AFP

Alors que l’on s’apprête à célébrer les 150 ans de la Commune (1), revenir sur cette belle insurrection apparaît particulièrement instructif pour notre époque. La « troisième révolution du XIXe siècle français » est en effet « d’actualité », sans cesse appelée comme référence vivante, d’Oaxaca au quartier rebelle d’Exarcheia à Athènes, des assemblées de Nuit debout à la « commune du Rojava » et ailleurs… Mais que va-t-on commémorer en 2021 ? Sera-ce la proclamation de la Commune, le 18 mars 1871, ou les martyrs de la Semaine sanglante, du 21 au 28 mai ? Sans doute les deux. C’est là tout l’intérêt de cet essai passionnant de Quentin Deluermoz que d’appréhender d’abord l’événement au-delà de « l’aventure des 72 jours » à Paris. Notamment en étudiant les différentes Communes qui eurent lieu ailleurs en France, de Lyon à Marseille, de Toulouse au Creusot et, on l’a souvent oublié, également dans les colonies, d’Alger à la Martinique. Mais aussi en considérant plus largement la période qui court de juillet 1870 aux multiples « spectres » de la Commune, jusqu’aux années 1920.

C’est pourquoi l’historien va jusqu’à parler d’événement dont « l’impact était déjà global », sous de nombreuses latitudes, dès les années 1870, jusqu’à évidemment sa relecture après 1917 et la fondation de l’URSS qui « recharge la référence communarde ». Car Quentin Deluermoz propose aussi une passionnante « histoire des histoires de la Commune », marquée évidemment d’abord par « la grille de lecture marxiste » (et son sens de l’histoire), mais aussi d’autres approches, certaines libertaires (dans les années 1960-1970). D’autres encore proviennent d’outre-Atlantique, où l’auteur n’hésite pas à pointer un véritable « destin américain des études sur la Commune de Paris », nourri des renouvellements de la sociologie historique des années 1970-1980, où l’événement est davantage analysé comme « le révélateur des crises internes du capitalisme et de la modernité urbaine ». Sans oublier, à la même époque, l’historiographie républicaine, qui isole, selon certains auteurs, l’épisode communard pour considérer la IIIe République dans un temps long, quand d’autres, comme Jacques Rougerie, la replacent dans une « autre histoire des mondes républicains et ouvriers des années 1840-1880 ».

Fruit d’un riche travail archivistique, le livre de Quentin Deluermoz montre combien la « réactualisation de la figure de la Commune », avec ses usages multiples, constitue des « rhizomes de la colère », spatiaux et temporels, entre « synchronisation croissante des luttes » et partages de la référence à travers le monde selon des trajectoires et des contenus « chaque fois singuliers ». Un essai majeur.

(1) Politis sortira en janvier un hors-série spécial sur cet anniversaire.

Commune(s), 1870-1871. Une traversée des mondes au XIXe siècle Quentin Deluermoz, Seuil, « L’univers historique », 448 pages, 25 euros.

Idées
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