Manif des policiers : un naufrage politique

Quand des policiers sont autorisés à manifester devant les grilles de l’Assemblée nationale pour réclamer le droit de « faire la loi », c’est l’ordre démocratique qui est mis en cause.

Michel Soudais  • 26 mai 2021 abonné·es
Manif des policiers : un naufrage politique
À la manifestation des policiers, le 19 mai devant l’Assemblée nationale.
© Thomas COEX / AFP

La manifestation organisée le 19 mai par les quatre principaux syndicats de police marque assurément un dangereux tournant institutionnel. Ce n’est certes pas la première fois que des policiers dénoncent dans la rue le prétendu « laxisme de la justice » et réclament la démission du garde des Sceaux. Mais que le ministre de l’Intérieur se joigne à un rassemblement revendicatif des fonctionnaires de son ministère est aussi inédit que problématique. Qu’il affirme par ce geste leur apporter son « soutien » alors que leur principale revendication est « la mise en œuvre de peines minimales pour les agresseurs de forces de l’ordre » est inquiétant. Une telle mesure équivaudrait à ligoter la justice et les juges. Que l’exécutif, via la préfecture de police de Paris, les aient autorisés de surcroît à se rassembler devant les grilles de l’Assemblée nationale, lieu ordinairement inaccessible aux manifestations, pour faire pression sur les législateurs trahit un mépris de la séparation des pouvoirs. Richard Ferrand, qui n’avait pas été prévenu de la tenue de ce rassemblement à la porte de l’Assemblée qu’il préside, en a été « un peu surpris ».

Un tel dédain du rôle du Parlement de la part de Gérald Darmanin n’est pas nouveau. Le 16 août à Saint-Dizier, il affirmait contre toutes les règles de la démocratie que « c’est la police de la République, la gendarmerie, les forces de l’ordre qui font la loi dans notre pays ». Faire la loi, c’est précisément ce que les policiers qui manifestaient le 19 mai cherchaient. Sur CNews, l’un de leurs meneurs, François Bersani, secrétaire départemental SGP Police des Yvelines, n’a pas caché attendre de cette mobilisation que « les digues » cèdent, « les digues c’est-à-dire les contraintes de la Constitution, les contraintes de la loi ».

Les digues de la Constitution n’ont pas encore toutes cédé. Le lendemain, le Conseil constitutionnel censurait plusieurs articles de la loi « sécurité globale », suscitant en réaction une manifestation de policiers municipaux niçois orchestrée par Christian Estrosi. Mais les digues politiques, elles, ont bel et bien lâché. Ce 19 mai, de nombreux élus d’extrême droite, de droite, de la macronie, mais aussi les principaux dirigeants du PS et du PCF, rejoints par Yannick Jadot, étaient aux côtés des policiers manifestants. Et nullement gênés d’y côtoyer le n° 2 du parti de Marine Le Pen, Jordan Bardella, Jean Messiha ou Éric Zemmour, pour qui le choix est entre « la protection des Français » et « ce qu’on appelle pompeusement l’État de droit ».

Dans ce contexte, réclamer « un droit de regard » de la police sur le suivi des peines, comme l’a fait Olivier Faure (1), est une inexcusable concession au très droitier syndicat Alliance, dont le secrétaire général, Fabien Vanhemelryck, venait de lancer à la tribune : « Le problème de la police, c’est la justice ! Elle doit rendre des comptes. » En démocratie, la police est sous l’autorité des juges qui la contrôlent au nom des citoyens. Si cette règle tombe, la démocratie sombre.

(1) Loin d’être une maladresse, comme il l’a prétendu, ce « droit de regard » est une « proposition [qui] avait été […] préparée en vue de la manifestation » et validée par le bureau du PS, selon Le Monde_.