Macron bousculé par les jeunes Africain·es

À Montpellier, la société civile du continent a interpellé le président français, l’invitant à rompre avec la Françafrique.

Patrick Piro  • 13 octobre 2021 abonné·es
Macron bousculé par les jeunes Africain·es
© Ludovic MARIN / AFP

C ’est fini, Monsieur le Président. C’est fini… » Le parler cash de Ragnimwendé Eldaa Koama, lumineuse dans son vêtement d’apparat, déclenche des rires dans la salle et un large sourire sur le visage -d’Emmanuel Macron, comme si elle se trouvait sur scène pour un petit numéro de folklore. Vendredi 8 octobre, à Montpellier, le sommet Afrique-France voulu par « Monsieur le Président » (1) aborde avec des représentant·es de la société civile africaine l’un de ces échanges « sans filtre » auxquels il affectionne de se confronter. Ses traits se crispent à mesure que la jeune entrepreneure burkinabée, spécialisée en informatique, balance son avertissement : c’est fini l’aide au développement « qui rend esclave, qui se balade en Afrique depuis près d’un siècle et qui ne marche pas », plus semblable à une aumône faite à des pauvres qu’à « des collaborations saines, transparentes, constructives » avec les potentiels locaux et ceux de la diaspora. Et d’inviter le Président à « récurer la marmite » des relations avec l’Afrique, « très sale de reconnaissance légère, d’exactions commises, de compromissions, de non-transparence, de vocabulaire dévalorisant », faute de quoi « l’Afrique ne mangera plus, vous serez le seul à table avec un appétit difficile… »

Répression des anti-Françafrique

Huit militants sans papiers ont été arrêtés le 7 octobre à leur descente du train, en gare de Montpellier, alors qu’ils se rendaient au contre-sommet organisé en marge du sommet Afrique-France. Cinq d’entre eux ont été libérés avec une obligation de quitter le territoire français et deux autres ont été conduits au centre de rétention administrative de Nîmes. « En faisant taire les voix dissidentes, nous sommes très loin du dialogue et du renouveau prôné par l’État français », déplore le Collectif du contre-sommet Afrique-France. « Au-delà du drame personnel, il s’agit d’un acte clair d’intimidation du pouvoir ainsi que d’une entrave au droit constitutionnel de manifester », a également réagi l’association la Carmagnole, qui accueillait le contre-sommet.

Emmanuel Macron ne s’attendait probablement pas à autant de « rentre-dedans ». Trois jours plus tôt, à l’Élysée, l’intellectuel camerounais Achille Mbembe lui avait remis, à sa demande, un rapport de 140 pages résumant plusieurs mois de débats avec la société civile de douze pays africains, dont il a tiré treize propositions pour la refonte des relations entre la France et le continent (2). Quelques-unes ont déjà reçu une réponse favorable du -Président : dotation de 30 millions d’euros pour un fonds d’innovation pour la démocratie destiné au soutien des acteurs du « changement » en Afrique, restitutions au Bénin, fin octobre, de 26 œuvres d’art pillées pendant la colonisation, création d’une Maison des mondes africains et des diasporas consacrée à la culture, à la recherche, à l’entrepreneuriat, etc.

Voilà pour le versant policé de la « reconstruction » des relations. Car, dans la salle plénière de l’Arena Sud de France de Montpellier, c’est le préalable d’un démantèlement radical que réclament les jeunes Africain·es. La Malienne Adam Dicko, à la suite de Ragnimwendé Eldaa Koama : « L’Afrique n’est pas un continent de misère ou de chômage, mais un continent jeune, optimiste, enthousiaste. […] Arrêtez votre discours paternaliste ! Nous n’avons pas besoin d’aide, nous avons besoin de coopération. » Le président français se fait couper la parole. France « arrogante », « enlisée dans des questions de racisme » et donneuse de « leçons de démocratie ». Rappels de la Françafrique et du franc CFA. Le blogueur sénégalais Cheikh Fall invite Emmanuel Macron à cesser de collaborer avec des présidents dictateurs, à évacuer puis à fermer définitivement « ses » bases militaires en Afrique et à « demander pardon au continent » pour les crimes de la colonisation. Réponse de l’interpellé, sur la position qu’il a déjà adoptée envers l’Algérie : non à un « pardon », oui à l’élaboration d’une « reconnaissance » (des faits).

Mireille Fanon-Mendès France, présidente de la Fondation Frantz-Fanon internationale, participait à Montpellier à un petit « contre-sommet » dont la tonalité radicale n’aurait pas déplu à cette jeunesse décomplexée et en colère. Qui « pose des questions et des exigences que nous exprimons depuis longtemps, indique la militante de la décolonisation_. Face à ses interpellations, Emmanuel Macron n’a pas fait le poids »_. Un président colonial comme les autres, sanctionne-t-elle, sans illusion sur le « coup de communication » d’un événement censé faire muter les relations entre la France et l’Afrique. « Combien de membres de la diaspora africaine, que le Président a opportunément encensée sur scène parce qu’elle envoie beaucoup d’argent sur le continent africain, sont auparavant passés par la case sans-papiers ? » s’interroge-t-elle. Et puis cette persistance d’un lexique… « Ces jeunes entrepreneur·es dynamiques venu·es débattre, qualifié·es de “pépites” : c’est le paradigme de la chosification des corps noirs, comme toujours… »

(1) Lire Politis, n° 1674, du 7 octobre.

(2) La contribution d’Achille Mbembe, « Les nouvelles relations Afrique-France : relever ensemble les défis de demain », est disponible sur le site www.elysee.fr (recherche « contribution Mbembe »).

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

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