Oui, l’extrême droite tue

Le meurtre de Federico Martín Aramburú n’est pas un fait divers mais le fruit d’une violence politique.

Nadia Sweeny  • 29 mars 2022
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Oui, l’extrême droite tue
Les rugbymen de Biarritz portent un T-shirt à l'effigie de Federico Martín Aramburú lors d'un match contre Montpellier, le 26 mars.
© Sylvain THOMAS / AFP

C ’est une affaire de droit commun, je ne vois pas ce que la politique vient faire là-dedans », a plaidé l’avocat d’extrême droite Gilles-William Goldnadel. C’était sur CNews, le 23 mars. Quatre jours après l’assassinat en plein Paris du rugbyman Federico Martín Aramburú par deux militants d’extrême droite. Une bagarre de sortie de bar, un simple « fait divers » sur fond de soirée alcoolisée ?

Pourtant, de nombreux témoignages évoquent des propos racistes et pour le moins humiliants vociférés par les deux mis en cause, Loïk le Priol et Romain Bouvier, contre un badaud. Shaun Hagerty et Frederico Aramburu, deux anciens rugbymen, s’interposent et sont immédiatement questionnés sur leurs origines étrangères « La question identitaire a tout de suite été abordée par [les mis en cause]_, elle semble conditionner une réponse autoritaire »_, nous a expliqué Me Christophe Cariou-Martin, l’avocat de Shaun Hegarty. Le ton monte, la bagarre éclate. Les vigiles interviennent, puis chacun repart de son côté. Mais les deux néonazis n’en restent pas là et lancent une expédition punitive. Un guet-apens est tendu à la sortie d’un hôtel. De la Jeep qu’une complice a récupérée, Romain Bouvier aurait tiré une première salve. Puis Loïk Le Priol, fiché S par la DGSI, aurait aussi ouvert le feu. Le rugbyman meurt sur le trottoir. Le Priol est arrêté à la frontière hongroise, en fuite vers l’Ukraine. Il n’a pas encore été extradé en France au moment où nous écrivons. Il n’a donc pas été interrogé sur le mobile de son geste. Romain Bouvier, co-auteur présumé interpellé quelques jours plus tôt, garde le silence.

Sur les réseaux sociaux, les proches des mis en cause minimisent. Julien Rochedy, ancien porte-parole du Front national de la jeunesse, résume l’affaire : « Une bagarre, l’alcool, les armes à feu. Loïk qui pète un plomb. » Un discours qui s’impose. Certes, aucun caractère raciste n’a pour le moment été retenu. Le parquet indique réserver sa communication pour la mise en examen de Le Priol. Pour autant, cet événement peut-il être traité comme un simple fait divers ? Alors que le monde sportif rend hommage au rugbyman, le silence de la classe politique est assourdissant. À aucun moment le bain idéologique ultraviolent dans lequel les accusés baignent n’est questionné. À aucun moment il n’est fait état de leur propagande agressive désignant sans fard l’ennemi à abattre : l’autre. N’est-il pas temps de mettre en procès ce racisme décomplexé infusant la société à grands coups de théorie du « grand remplacement », qui porte en elle les germes d’une violence raciale (1) ? Va-t-on de nouveau laisser l’extrême droite imposer sa lecture d’un événement ô combien politique ? Tout au long de sa sanglante histoire, l’extrême droite a tué. Elle démontre encore une fois le caractère criminel des idées qu’elle profère.

(1) Comme l’expliquent Thomas Zribi, réalisateur, et Nicolas Lebourg, chercheur spécialiste de l’extrême droite, dans leur documentaire Le Grand Remplacement. Histoire d’une idée mortifère, diffusé sur LCP le 4 avril prochain.

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Parti pris

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