Courrier des lecteurs Politis 943

Politis  • 15 mars 2007 abonné·es

Le droit au revenu

Nous avons été agréablement surpris du titre de l’article de Clotilde Monteiro en page 6 du n° 941 de Politis . En effet, certains d’entre nous pourraient être journalistes à Politis , puisque, en octobre 2006, notre association, PAG 69, avait justement titré l’un de ses tracts ainsi : « Le travail ne paie plus ». Et nous ajoutions : « Vive le droit au revenu ! » Ce tract fut diffusé lors de la mobilisation avec la Confédération paysanne à Vienne (Isère) pour la journée de défense du droit au revenu, coïncidant avec le passage au tribunal d’Émile Sanchez.

Malgré toute la sympathie que nous éprouvons avant tout pour José Bové et Yves Salesse, nous réagissons […] pour émettre quelques doutes quant à […] leur postulat beaucoup trop « travailliste » et « employiste » pour faire office de véritable alternative.

Tout d’abord, rapidement, que signifie « les (vrais) chiffres du chômage » ? Sachant que toute statistique est un point de vue, tous les chiffres sont vrais ou faux à partir du moment où l’on ne sait pas quelles sont les définitions ou les critères retenus des phénomènes ainsi mesurés. Par ailleurs, le fait d’évoquer encore une fois le chômage permet de faire l’impasse sur la question plus cruciale qu’est la précarité.Celle-ci fonctionne comme un écran au chômage, car les précaires, souvent à l’emploi, n’entrent que peu de fois dans une vision globale du devenir de l’activité et de sa rémunération. […]

Ensuite, plus profondément, il semble que même les antilibéraux (dont nous sommes) n’ont pas saisi les profonds changements opérés dans le processus de production et le passage au capitalisme cognitif, interdisant de trouver des solutions aussi démagogiques que la réduction du temps de travail, surtout si c’est à 32 heures ou même à 30… (N’oublions pas que dans les années 1970, et même au début des années 1980, on parlait de travailler 2 heures par jour).

Il existe une illusion de plus en plus inquiétante, celle de pouvoir résoudre la question sociale par la réduction du temps de travail. […] Postuler que la réduction du temps de travail résout le chômage (nous ne parlons pas encore de précarité !) revient à faire l’hypothèse que nous avons tous le même niveau de formation ou que nous désirons tous faire à peu près la même chose. Or, ça n’est pas vrai. […] Par conséquent, ce n’est pas parce qu’on réduira de quelques heures le temps de travail de ceux qui en ont un qu’on sera à même de faire venir au travail ceux qui n’en ont pas, s’ils n’ont pas les compétences ou les qualifications nécessaires pour le poste considéré. Sans parler de ceux qui aspirent à faire un métier qui n’embauche pas, ou qui est en voie de disparition.

Il ne s’agit pas de dire que la réduction du temps de travail n’est pas souhaitable, il s’agit de dire que la réduction du temps de travail doit devenir une conséquence de la rupture avec l’idéologie travailliste, employiste et productiviste, bref rompre avec la centralité du travail pour obtenir un revenu. En effet, pourquoi doit-on être obligé de rappeler que faire la différence entre temps de travail et temps de loisir est une division formelle, pour ne pas dire idéologique, tant les repères se sont brouillés ? Les profs corrigent leurs copies le dimanche ou le soir, chez eux ; les petits bidouilleurs du soir en informatique réutilisent leur bidouillage la journée au travail ; les « mamans », une fois que leurs enfants ont grandi, postulent pour être assistantes maternelles ; les bénévoles et les militants utilisent leur apprentissage dans leur engagement et le mettent sur leur CV […].

Sincèrement, il est temps de rompre, à gauche, avec le postulat que le travail subordonné (l’emploi, le salariat « canonique ») est le devenir de tous. […] Il existe un « impensé » radical à gauche : l’oubli de ceux et celles qui n’arrivent pas entrer sur le « marché du travail ». C’est pourtant aujourd’hui le cas de plus en plus de personnes.Mais le sous-emploi politiquement organisé (l’« insertionnisme » et ses chantiers d’insertion, par exemple) empêche de le penser. […] Il est vrai que les politiciens ont une caractéristique que les chômeurs et précaires n’ont pas, celle d’être issus de catégories pour qui les choses vont plutôt bien au niveau de l’emploi ou se sont arrangées. Ces gens rêvent, pour l’avenir des précaires et des chômeurs, de leur présent, voire de leur passé. Une autre manière de parler d’un « ethnocentrisme de classe » ? Depuis combien de temps Buffet, Besancenot ou le très respectable Salesse n’ont-ils pas cherché un emploi ? Ont-ils fréquenté les résidus du service public de l’emploi que représente l’ANPE, qui menace de radier au troisième refus d’un sous-emploi de « merde » (veuillez me passer l’expression, mais des offres de merde, j’en ai, je les conserve, et ce n’est pas triste) ?

Ce qui nous sortira de la précarité, ce n’est pas l’emploi ­ sinon cela se saurait ­ c’est bien un nouveau droit.Celui du droit au revenu, qui permettra à ceux et celles qui ne peuvent pas l’attendre d’un salaire, de pouvoir projeter avec indépendance leur être, et vivre un peu mieux au présent sans être stigmatisés par les discours, parfois de gauche, sur toutes les aides conditionnelles. Car sans-emploi n’est pas synonyme d’absence d’activité, loin de là.

Jean Dubosclard et François Menduni

Au parti socialiste

Électrice à de nombreuses reprises du PS, je manifeste mon total désaccord avec la consigne donnée aux élus PS de ne pas parrainer d’autres candidats. C’est un déni de démocratie, un abus de position dominante.

Vous craignez sans doute une dispersion des voix. Au PS de se poser la question des raisons qui font que les électeurs votent « ailleurs ». À lui de convaincre les/ses électeurs. Pensez-vous sérieusement que prendre en otages les électeurs en faisant ce qu’il faut pour que d’autres candidats de gauche n’accèdent pas au scrutin vous apportera des voix ? C’est une curieuse façon de raisonner et c’est vraiment prendre les électeurs pour des décérébrés qui s’inclineront sans réagir.

Pour ma part, ma position est claire : je n’ai pas nécessairement l’intention de voter pour Besancenot ou Bové, mais s’ils ne peuvent pas être candidats du fait de vos pressions, le PS peut renoncer à ma voix ­ aussi bien au 1er tour qu’au 2e ­ et sans doute à celle de beaucoup d’autres électeurs qui n’apprécient pas de se voir ainsi orientés de force.

Chantal Parpette, Bron (Rhône)

Parrainages spontanés

La vie politique, c’est simple… comme un coup de fil. Notre démocrate national, le seul, le vrai, M. Sarkozy, a décidé que M. Besancenot pourrait se présenter ­ il voulait dire Le Pen, mais sa langue a fourché, c’est humain, ça arrive à tout le monde ­, car le contraire ne serait pas démocratique. Et le patron du FN bénéficiera aussi de sa magnanimité, naturellement. On est démocrate ou on ne l’est pas, et puis 15 à 20 % de voix au second tour, ça ne se refuse pas (sans compter les législatives à suivre, où il y avait menace de maintien du FN), puisqu’il semble que ce soit un peu juste pour être élu au premier, malgré tout ce qu’on a fait pour la France en acceptant, bien à contrecoeur, de rester à son poste ministériel malgré la charge de travail inhumaine d’une triple casquette. Même Arlette va bénéficier de ce pouvoir régalien (de toute façon, ses électeurs ne voteraient Ségolène ni au premier ni au second tour, c’est donc tout bénéfice). Il a suffi d’attribuer à la liste des maires UMP (ce n’est pas vraiment ça qui manque en France) un nom de candidat à parrainer spontanément. Si vous leur demandez, ces maires vous diront d’ailleurs qu’ils y pensaient depuis un certain temps, il suffisait qu’ils y soient encouragées par quelqu’un ayant le sens de l’État et du dévouement, car cela pèse lourd sur la conscience d’un élu. Ouf ! La France va pouvoir continuer à se vanter de sa démocratie (eh vous, là-bas, dans le fond de la salle, cessez de parler de « fascisme rampant » ou on vous expulse).

Philippe Bouquet, Le Mans (Sarthe)

Soyons réalistes

Tout à fait d’accord avec les propositions d’Yves Salesse et de José Bové… Et après ? Comme il n’y a aucune chance que ce mouvement arrive au second tour, quel est le moindre mal ? Et, surtout, sous quel régime pourrons-nous nous faire entendre ? À moins d’avoir envie d’affronter une force de l’ordre « pure et dure ». Comme en 1968, au risque d’y laisser des vies et de nombreux traumatismes, n’est-il pas préférable de soutenir une femme qui a déjà bien du mérite d’être arrrivée jusque-là, qui propose une démocratie participative, où nous pouvons toujours la prendre au mot ? Ce sera la force et la puissance de ce mouvement d’influer en faveur du changement et aussi de réagir à l’impact des modifications climatiques et de la régression des ressources. Tout cela ne peut se faire que progressivement, mais en tout cas pas avec un gouvernement de droite extrême à la Sarkozy, ou mitigé à la Bayrou…

Alors ne rêvons pas, soyons réalistes et préparons l’avenir dans les moins mauvaises conditions possibles. Rassemblons toutes les forces de gauche et écologistes dès le premier tour, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, ce qui est impossible actuellement.

Colette Bidault, La Laupie (Drôme)

Courrier des lecteurs
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