L’Italie avant la France ?

Un nouveau « Parti démocratique » est né de la fusion entre les Démocrates de gauche, héritiers du PCI, et les centristes de la Margherita.

Olivier Doubre  • 26 avril 2007 abonné·es

Dimanche 22 avril, la « Une » d’ Il Manifesto , quotidien de la gauche critique italienne, comporte étrangement trois colonnes toutes blanches en bas de page. Au-dessus, un titre : « Voici les idées du Parti démocratique ! » Le journal, fondé par un groupe d’exclus du Parti communiste italien (PCI) en 1969, manifestait ainsi son dépit vis-à-vis de l’événement politique majeur du week-end en Italie : la création d’un nouveau « Parti démocratique » (à l’américaine). Vieux « rêve » de plusieurs dirigeants de gauche modérés en Italie, ce Parti démocratique est le résultat de la fusion entre les Démocrates de gauche (DS), héritiers du PCI réunis samedi en congrès « d’auto-dissolution » à Florence, et la Margherita, le parti de Romano Prodi, issu de la moitié de l’ancienne Démocratie chrétienne qui ne s’est pas ralliée à la droite de Silvio Berlusconi. Également en congrès à Rome ce week-end, les centristes de la Margherita ont de même dissout leur mouvement pour rejoindre, à l’automne prochain, une assemblée « constituante » regroupant les membres des deux anciens partis.

Depuis la chute de la Démocratie chrétienne, pivot central de la vie politique italienne durant quarante ans, avant de disparaître sous une avalanche de procès pour corruption, l’idée d’un grand parti (le plus au centre possible) n’a cessé d’obnubiler tous les grands partis de gouvernement, certains d’y voir la garantie de succès électoraux. La course au centre s’accélère donc aujourd’hui, à gauche.

Très peu des anciens démocrates-chrétiens s’opposent à l’union avec les héritiers du Parti communiste italien, mais quelques-uns des Démocrates de gauche ne partagent pas ce projet. Si la motion de Piero Fassino, le secrétaire général, a comme prévu remporté une écrasante majorité (75 %) des voix, approuvant la création du Parti démocratique, l’aile gauche, conduite par le sénateur Fabio Musi, forte de 15,5 % des voix, a refusé le projet de fusion avec la Margherita et quitté le congrès.

Seule bonne nouvelle, cette composante a d’ores et déjà appelé toutes les formations de la gauche de la gauche à un « chantier des gauches » pour tenter d’unifier leurs forces. Or, l’initiative semble désormais en bonne voie. Enfin, une troisième motion, regroupant également des membres de la gauche du parti, a recueilli plus de 9 % des suffrages et hésite encore : critiquant vertement la dissolution des DS et le projet de nouveau parti, elle refuse pour l’instant de franchir le pas de la scission.

Ce qui marque particulièrement les observateurs est le flou très médiatique qui entoure le programme éventuel de la future formation politique. Fondatrice et éditorialiste du Manifesto , Rossana Rossanda écrivait ainsi vendredi dernier : « Cette pénible création du Parti démocratique, qui devait être le commencement d’une époque, est jusqu’à présent une interminable dénégation. Les congressistes des dissolutions de la Margherita et des DS diront ce qu’ils ne veulent plus être, mais rien n’est clair quant à ce que devrait être ce nouveau parti qui naîtra à l’automne. » Toutefois, ce sont surtout les anciens communistes italiens, ayant depuis 1989 rejoint la social-démocratie européenne, qui semblent se débarrasser de leur héritage idéologique comme d’un bagage encombrant. Toute référence au « conflit », aux classes sociales ou même à la laïcité disparaît ainsi du projet proposé aux congressistes. « De leur histoire, [les DS] n’ont rien à sauver. La Margherita, elle, se trahit moins , ajoute Rossana Rossanda, mais cette gauche […] est résignée à la priorité des capitaux sur toute finalité politique, sur toute idée même de société. Ce renoncement qui se dit « modernisation » s’en remet en fait au marché comme unique régulateur […] Politique, adieu ! »

De fait, les références pressenties pour le nouveau parti sont Kennedy, Gandhi ou Nelson Mandela, mais aussi Barbara Streisand ou le film Pretty Woman ! Quant à l’organisation, il s’agirait d’une structure la plus légère possible et la plus à « l’écoute des gens », en tant qu’individus sans le moindre signe de collectif. Il y a donc lieu de s’inquiéter de ce que d’aucuns décrivent déjà comme une véritable « disparition » de la gauche en Italie. Interrogé dimanche par le Manifesto , le philosophe Toni Negri voyait dans le projet de Parti démocratique « un pur dispositif de gestion du pouvoir. […] Plus préoccupante est par contre la conception de la démocratie qui en ressort : celle d’une démocratie de l’opinion publique. […] Étienne Balibar a récemment beaucoup écrit sur l’idée d’un extrémisme du centre et signale les risques de cette démocratie de l’opinion : les partis sont alors enclins à instituer des dispositifs de gestion du pouvoir qui neutralisent préventivement tout imprévu potentiel. D’où le risque d’autoritarisme que je vois dans ce projet de démocratie de l’opinion » … Le recentrage de la gauche italienne préfigure-t-il l’évolution en France?

Monde
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