Courrier des lecteurs Politis 952

Politis  • 17 mai 2007 abonné·es

Sarko, l’élu des vieux

On n’insiste pas assez sur le fait que ce sont massivement les vieux retraités qui ont voté Sarkozy et l’ont fait élire. C’est en effet l’âge, et le fait d’être retraité, bien plus que toute autre variable, qui explique le vote pour Sarkozy (64 % chez les plus de 65 ans, 63 % chez les retraités), et le distingue nettement du vote pour Royal. Sans doute est-il assez paradoxal qu’un candidat président qui a fait toute sa campagne sur la valeur « travail » soit plébiscité par les retraités et les inactifs…

Mais, au-delà de ce paradoxe, et au-delà des réjouissances affligeantes, mais sans doute passagères, des jeunes réacs du XVIe et des clients du Fouquet’s, il est surtout triste que ce soit cette France-là qui ait massivement gagné, la France grise et frileuse, la France qui pense retraite et rente perpétuelle, bas de laine et CAC 40, la France égoïste et repliée, la France qui a peur de tout et ne veut rien savoir de l’« autre », la France qui a son passé derrière elle, la France qui va mourir : est-ce cela « le nouveau rêve français » ? Est-ce cela le projet de société proposé aux jeunes : regarder manger ­ le ventre creux ­ des vieux qui les méprisent ou les craignent ?

Alors, je me prends à rêver à ce « soulèvement de la jeunesse » qui serait si nécessaire, si sain, pour enfin dégager le bois mort, faire la place à autre chose, à une respiration printanière, à ce Mai 68 si décrié aujourd’hui (et pour cause : les esclaves n’aiment pas les gens libres) mais où s’exprimait toute la jeunesse du monde…

Jean-Louis Gueydon

L’homme à poigne

J’ai entendu le matin du 9 mai, sur France Inter, une longue déclaration d’un UMP saluant notre héros national, « cet enfant d’immigré qui s’est hissé à la force du poignet » , pour démontrer ­ ben voyons ! ­ que si vous n’y arrivez pas, c’est de votre faute !

Non, vous ne rêvez pas, c’est bien de Sarko dont il s’agit, lui qui est issu de la grande bourgeoisie de Hongrie !

Il est vrai que signer des textes répressifs, à force, ça doit faire un sacré poignet ! Au-delà du gros mensonge, l’UMP s’identifie à cette communauté formidable que celle de « la force du poignet ».

Et […] que nous restera-t-il à faire devant ces haineux anti-Sarkozy qui continuent à brûler maternelles, cabines téléphoniques, bus et grand-père au milieu ? Eh bien, à crier « Vive Sarko ! » le bras levé, talons serrés. Quelle jouissance pour lui, cet incompris qui ne vient pas du « sérail » !

Et encore ceci : un député UMP déclarait dans la Provence , le 8 mai : « Enfin, un candidat a parlé de la France, du travail et du peuple de France » ; et un autre député UMP de souligner « le résultat soviétique de droite (70,69 %) enregistré dans [sa] commune » et de remercier « les Français qui ont compris que le pays devait être gouverné par un homme à poigne qui fasse respecter les lois de la République » .

Robert Bianco (Vaucluse)

La peur et la haine

Dimanche, 19 heures, je sors du bureau de vote avec déjà la gueule de bois. 434 inscrits, Ségo : 130, Sarko : 217.

Une commune rurale ordinaire, traditionnellement à droite, loin des banlieues, surtout loin du coeur, où il y a longtemps qu’on parle sans complexes et que je glane des mots de peur et de haine. Le « Kärcher » dans les « cités » , pour les « indésirables » , la « racaille » , « remettre les fainéants, les profiteurs, les chômeurs, RMistes et les fonctionnaires au travail » , etc. Cela fait un programme, c’est sûr.

Oui, le discours qui stigmatise, les provocs du matamore font mouche à tous les coups, s’enracinent et se diffusent comme une peste… Ici, on a voté Sarkozy pour les plus mauvaises raisons.

Le 6 mai, c’était la Sainte-Prudence ! Y a plus de religion…

Blues, magouille blues, oui… Avec une pensée salvatrice pour le regretté François Béranger, j’ai envie de compisser ma télé et tous ces médias de référence qui, jour après jour, distillent leur poison néolocal pour mieux abuser les petites cervelles molles.

Sacrifier sa « quéquette » à la médiocrité du PAF ?

Non, lutter, toujours, avec au coeur et sur les lèvres les si beaux vers d’Eugène Bizeau.

Pendant ce temps, notre futur président se ressource aux frais de ses amis du CAC 40 et croise au large des terres originelles de la mafia. Tout un symbole…

Après cela, on subodore que le renvoi d’ascenseur sera social… Quelle grandeur cet homme-là pourra-t-il donner à la France ?

Michel Bizard, Maucé (Eure-et-Loir)

Agissons pour que le roi soit nu

Nicolas Sarkozy est le président d’une France fracturée territorialement et socialement.

Territorialement, car si son score est net, certaines régions, la Bretagne en tête, l’ont rejeté, preuve que les Bretons attendent une gauche qui rejette les valeurs individualistes pour s’ouvrir aux mouvements de la société.

Socialement fracturée également, car différentes études montrent que c’est avant tout chez les plus de 60 ans que Sarkozy l’emporte à plus de 60 %, alors que le dossier des retraites nécessite un dialogue des générations.

Je dis aux Bretons, aux habitants du pays de Lorient en particulier, que nous devons rester mobilisés. En effet, si la France, dans un régime de monarchie présidentielle, a élu son nouveau roi, celui-ci n’est rien sans un Parlement à sa botte.

Tous ensemble, agissons pour que le roi soit nu !

Il faut créer les conditions nécessaires pour redonner un vrai pouvoir aux députés du peuple et aux conseillers régionaux dans toute leur diversité pour ne pas concentrer les pouvoirs dans une seule main.

Je considère que, désormais, la vieille gauche productiviste et jacobine est morte. Il faut renforcer une gauche à la fois moderne et alternative, une gauche incarnée par une nouvelle génération à l’esprit ouvert.

L’enjeu, c’est d’ouvrir les idées de gauche sur l’articulation entre les enjeux du monde et ceux de notre région, car on ne peut se satisfaire de slogans de campagne centrés sur le drapeau tricolore. C’est aussi d’intégrer toutes les dimensions du développement durable à notre projet collectif. C’est surtout de construire un projet alternatif qui s’appuie véritablement sur la diversité des territoires et le dynamisme des régions !

Loin de l’image d’un président pour qui les prédestinations génétiques tiennent lieu d’analyses judiciaires, mobilisons-nous pour créer un avenir possible et soutenable pour les jeunes de Bretagne qui veulent pouvoir travailler et vivre au pays.

Yann Syz, maire adjoint de Lorient (Morbihan), candidat aux législatives 2007

L’embardée de Mme Royal

Quand, à l’automne 2006, vous tentiez lors du débat interne au parti socialiste, d’expliquer que choisir Ségolène Royal, c’était s’exposer à une défaite certaine, vous étiez regardé avec une commisération attristée. N’était-elle pas la seule à pouvoir battre Nicolas Sarkozy ? Dans un parti où les sondages servent de culture politique, le militant lambda partit donc en campagne avec pour seul viatique le double slogan : « Gare à un 21 avril bis, tout sauf Sarkozy », qui eut malgré son indigence une efficacité certaine au premier tour.

La campagne de la candidate fut celle que l’on devinait déjà : un pas à gauche, deux pas à droite, discours incantatoires en fonction du public et des études d’opinion, contradictions multiples ou postures droitières, flou intenable sur les sujets qui fâchent. Le parti socialiste passa à la trappe, son premier secrétaire bégaya quelques correctifs aux positions hasardeuses de la candidate. Le programme du PS, longtemps présenté comme le véritable candidat ­ défense de rire ­, disparut corps et biens.

Cette campagne erratique, en décalage avec les attentes profondes de l’électorat de gauche, qui entama définitivement la crédibilité de la candidate eût été sans doute oubliée tant le rejet vis-à-vis de Nicolas Sarkozy était puissant dans une partie de l’opinion. Mais c’était sans compter sur l’incroyable volte-face de la candidate entre les deux tours. Celui qui fut qualifié d’ « imposteur » ou de « pire que Sarkozy » devint, par la grâce de ses 18 % d’électeurs, un allié potentiel, un Premier ministre possible.

Tant de cynisme et une telle embardée idéologique n’ont guère de précédent dans un parti qui n’en fut pourtant pas dépourvu. Si, déboussolés par tant d’opportunisme, les électeurs se sont alors détournés en masse de la candidate, c’est qu’à leurs yeux la politique a à voir avec la morale. Ségolène Royal et la camarilla qui l’entoure portent donc une lourde responsabilité devant ceux qui croient qu’en politique comme ailleurs, la fin est dans les moyens. Notamment devant les jeunes, à qui on promettait une autre façon de faire de la politique.

Le PS est désormais à l’encan. Mais ne dites pas à Mme Royal qu’elle a perdu, elle croit qu’elle a gagné. Il serait grand temps de relire Jaurès et Blum ou tout simplement Colette Audry, qui écrivait, il y a trente ans : « La politique est le lieu où la question de la morale se pose avec le plus d’urgence. » Nous y sommes ! On ne reconstruira pas la gauche avec ceux qui piétinent les principes qui la fondent.

André Curtillat (courrier électronique)

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