Pour la forme

Bernard Langlois  • 14 juin 2007 abonné·es

Et avec ça, faut-il vous l’emballer ?

On rappellera, pour la forme, qu’une élection à deux tours s’apprécie à l’issue du second ; et qu’il est arrivé, dans le passé, que le vote du deuxième dimanche corrige assez nettement celui du premier. Mais, bon, c’est vraiment pour la forme ! Les choses étant ce qu’elles sont, je serais fort surpris que l’examen de rattrapage de dimanche prochain nous réserve de notables surprises. En ce lundi matin où, dans les états-majors politiques et les salles de rédaction, on s’use les yeux sur le scrutin en faisant chauffer les calculettes ; où l’on spécule sur d’improbables alliances, d’aléatoires appels du pied, d’inavouables fricotages, de subites révélations d’accointances jusque-là ignorées (mais, mon cousin, comment avons-nous pu si longtemps nous tenir à distance ?) ; où l’on devine dans l’ombre de subtils marchandages aux fragrances de rhubarbe et de séné (chaque circonscription n’est-elle pas, au fond, une petite principauté qu’il convient de gérer en bonne intelligence, au mieux des intérêts de chacun ?) ; pendant donc que les professionnels de la profession ­ acteurs, comparses ou simples observateurs ­ décortiquent, supputent, échafaudent : l’amateur solitaire que je suis, retranché en sa librairie bucolique, propose en vrac à votre aimable attention les quelques remarques, annotations et réflexions que lui inspire le petit théâtre politique à l’issue de sa dernière représentation.

Sans prétention, hein ? On cause entre amis.

­ D’abord, la participation : particulièrement faiblarde.

J’entends qu’on s’en étonne ici ou là, qu’on le déplore, voire qu’on en fait amèrement reproche aux électeurs inconstants ; quelle déception ! N’avaient-ils pas massivement répondu à l’appel des urnes il y a tout juste un mois, n’avait-on pas alors célébré dans la liesse quasi unanime (pas ici, vous vous en souvenez peut-être…) cette admirable démonstration de civisme rivant leur clou à tous les Cassandre dénonciateurs d’une politique réduite au spectacle ? Eh bien, voici les pendules remises à l’heure (américaine) ! Nombre de Français, s’étant exprimés à l’issue d’une interminable campagne présidentielle, ont dû se sentir quittes. L’essentiel, à leurs yeux, était fait : on avait installé un nouveau Prince, qu’on se débrouille sans eux pour repeupler un hémicycle dont on n’est pas bien convaincu qu’il serve à grand-chose.

Pas sûr qu’on puisse leur donner tort.

­ La « vague bleue », ensuite : vraiment pas une surprise !

Le plaidoyer pour une « correction » dans l’urne de juin des résultats de mai, pour un « rééquilibrage » , un « nécessaire contrepoids » relevait d’une rhétorique sans doute légitime, mais usée jusqu’à la corde. Une ample majorité de nos concitoyens a porté au pouvoir un habile aventurier qui exerce sur elle une sorte de fascination : elle entend le voir à l’oeuvre en le laissant libre de ses mouvements. Le temps de la déception viendra forcément, ce n’est pas encore l’heure, le Prince-Président entame à peine son pain blanc.

L’opposition ne peut avoir droit qu’aux miettes.

­ La faute à Jospin : l’inversion du calendrier.

Très à la mode, au PS, de cracher sur l’ancien Premier ministre : tous les ânes roses y vont de leurs coups de pied ! Oui, Jospin a inversé l’ordre des élections et pensait bien en profiter. À l’époque, dans son camp, nul ne trouvait à y redire. Je me souviens, quant à moi, avoir approuvé cette décision que je juge conforme à l’esprit des institutions. Sauf à considérer la cohabitation comme le nec plus ultra de la bonne gouvernance, il me paraît normal que le chef de l’exécutif ne soit pas entravé dans ses choix politiques par une majorité législative hostile. Du reste, dans le passé, un Président (de gauche ou de droite) fraîchement élu, trouvant en legs une chambre adverse, s’empressait de dissoudre pour s’en adjoindre une nouvelle à sa main, et cela semblait naturel.

La réforme : quinquennat + inversion a été précisément faite pour échapper à la dyarchie des périodes de cohabitation, et présentée comme telle.

L’électeur a donc bien compris la règle du jeu !

­ La faute à Mitterrand : le choix de la commodité.

Reconnaître la logique d’une disposition calendaire institutionnelle ne veut pas dire qu’on se satisfait de ces institutions-là : il est parfaitement clair que tout est à revoir d’un dispositif électoral qui permet l’escamotage presque complet d’une presque moitié des suffrages et d’une constitution qui fait de l’hôte de l’Élysée une sorte de monarque absolu. Mais je me gausse de ces socialistes en peau de lapin qui ne découvrent les aberrations du système que lorsqu’ils en sont les victimes. La critique la plus lucide de la Constitution de la Ve République date de 1964, elle est signée François Mitterrand [^2]. Lequel, avec ses féaux et amis, a disposé de deux septennats pour en changer. Il s’en est bien gardé, tant ce qui paraît inacceptable lorsqu’on croupit dans l’opposition devient d’un coup bien supportable quand on accède au pouvoir, pas vrai ?

D’où qu’on les écoute aujourd’hui chouiner d’une oreille distraite.

­ Deuxième tour : l’impossible renversement.

Il n’y aura pas, selon toute vraisemblance, de renversement de tendance au second tour. L’emporteront à gauche ceux qui, solidement implantés, ne sont pas trop loin du seuil d’éligibilité. Pour les autres, pas de bonne surprise à attendre, même si l’électorat se mobilise un poil plus. Car on ne verra cette fois quasiment point de ces triangulaires qui assuraient aux socialistes comme une rente de situation : au prix fort d’une droitisation de son discours et de son programme, Nicolas Sarkozy, roi du bonneteau, a tout simplement fait disparaître le Front national, qui ne subsiste plus qu’à l’état résiduel, sous les formes avantageuses de la fille du Chef, la Walkyrie d’Hénin-Beaumont, potentiel village gaulois du Pas-de-Calais, 14e circonscription (confirmation ou pas dimanche prochain). Le parti qui, voici à peine cinq ans, faisait trembler la démocratie française et qui fit l’objet des séances d’exorcisme qu’on sait (pour le plus grand bien de M. Chirac) n’est plus qu’un appendice du grand rassemblement présidentiel qui court de M. Kouchner (humaniste) à M. Balkany (margoulin), de M. Vanneste (homophobe) à M. Sevran (chanteur), de M. Boulais (lofteur) à M. Gallo (académicien), de Mme Boutin (catholique vaticaniste) à M. Hirsch (abbé Pierre) de M. Estrosi (bac moins cinq) à M. Allègre (mammouth scientiste), en attendant, dit-on, M. Lang (marin pécheur). Le papa du Modem, François Bayrou, faute d’avoir admis que le système exige des alliances en bonne et due forme (âne de Buridan, le voici redevenu baudet des Pyrénées comme devant), ayant échoué dans sa tentative d’ouvrir une troisième voie compensatoire : plus rien ou presque ne se dresse donc entre l’UMP et le PS, entre le sarkozysme et ce qu’on appelle encore (par coupable habitude) le socialisme.

L’hégémonie du premier est donc assurée pour une durée indéterminée.

Qu’on n’aille pas croire que je m’en réjouis.

Je me borne à constater. Et à tâcher d’en rire, pour n’avoir point à en pleurer.

[^2]: Le Coup d’État permanent, Plon.

Edito Bernard Langlois
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