Sentiments mêlés

Bernard Langlois  • 28 juin 2007 abonné·es

Le président Sarkozy est d’un caractère optimiste. Il s’efforce toujours de « positiver » .

Nous l’avions laissé, au soir du second tour, en proie à des sentiments mêlés : d’un côté, un peu surpris d’un retournement de situation si rapide, qui avait valu à l’adversaire un gain inespéré d’une quarantaine de sièges sur sa représentation antérieure ; de l’autre, pas fâché au fond d’un résultat dont la médiocrité d’ensemble masquait quelques bonnes surprises : et d’abord le fait qu’on puisse dire (et il ne manquait pas de courtisans pour) que la déconvenue était en partie due à sa non-implication dans la campagne ­ contrairement à un premier tour où son charisme avait fait merveille.

La conclusion coulait de source : il lui fallait, décidément, s’occuper de tout lui-même.

Parmi les défaites inattendues, la plus spectaculaire, celle du maire de Bordeaux, posait certes un problème technique immédiat, mais grandement compensé par l’élimination, cette fois sans doute définitive, d’un rival qui lui avait trop longtemps fait sentir, avec sa morgue, le poids de sa supériorité intellectuelle ; et ne pouvait-on compter aussi au rayon des bonnes nouvelles cette appréciation assez générale ­ à la cour comme à la ville et reprise en choeur par les gazettes ­ du fait que la majorité devait principalement sa relative débandade à la maladresse d’un ministre très en vue, que le chef de l’État avait toutes les raisons de garder sous haute surveillance tant son entregent ébouriffé pouvait lui faire de l’ombre ?

Décidément, non : ce scrutin des législatives n’avait pas grand-chose qui le navrât.

Le cas Borloo

Il lui fallait néanmoins reprendre vite l’initiative et témoigner de sa vista intacte. Et d’abord régler le cas Borloo.

En se prenant les pieds dans le tapis de la « TVA sociale » (navrant oxymore !), le ministre de l’Économie avait fauté, il devait payer : telle était l’exigence qui montait des rangs des godillots, et cela non plus ne déplaisait pas au Prince. Sa résolution fut bientôt prise : au fautif, il ôta Bercy (où du reste l’on se plaignait déjà, dans les services élevés, de son caractère brouillon et de sa gestion foutraque) et lui colla sur les bras ce ministère de l’Environnement où Alain Juppé n’avait pas eu le temps de se… développer durablement. Fort marri de ce qu’il considéra comme une injuste sanction, le sautillant élu du Valenciennois exigea en compensation ce titre de ministre d’État qui avait été accordé à son prédécesseur, et l’obtint : ça ne servait à rien, mais ça faisait joli sur les cartes de visite.

Pas chien, Sarko ne voyait pas d’inconvénient à satisfaire ce genre de petites vanités, qui ne lui coûtait guère.

L’ouverture, encore

Fallait-il, pour Fillon 2, poursuivre dans la voie de l’audace, pratiquer l’ouverture, encore, ces débauchages spectaculaires qui font enrager la gauche et brouillent encore plus un paysage déjà bien trouble ? Ou au contraire faire enfin montre de reconnaissance envers les affidés de toujours, frustrés de bisounours par la composition de Fillon 1 ?

Quelques câlins étaient bien au programme ­ lorsqu’ils permettaient notamment de dégager le passage pour un poste jugé important (ainsi, à Estrosi, vieux motard qu’il aimait, le Président octroya un secrétariat d’État : ce qui réglait le cas Copé, candidat du coup sans concurrence à la présidence du groupe UMP) ­ mais en nombre limité et pourvu qu’ils fussent utiles : l’ingratitude est une prérogative princière qui ne se discute pas, tous en avaient été prévenus (elle n’est pas toujours bien vécue pour autant, et, dans les rangs de la majorité, on commence à compter les bleus à l’âme, l’illustre Bretécher y trouverait aisément matière à un nouveau tome des Frustrés …) ; et le plaisir de surprendre son monde par l’art du contre-pied semblait ravir le Chef, tout en témoignant de son caractère primesautier. Il fallait bien de la malice pour aller débaucher cette Mme Amara au coeur de son ni ni de banlieue et la plonger dans le bénitier de la révérende mère Boutin ; de l’audace pour aller dégoter au fond d’une Alsace réac jusqu’à la moelle l’un des rares soc-dem locaux survivants (tollé dans les Weinstub’n !) ; mais aussi de l’inconscience pour proposer la Défense au très compétent dans ce domaine Jean-Yves Le Drian, par ailleurs président socialiste de la Région Bretagne : là, Sarkozy tomba sur un os et s’entendit répondre qu’on ne mangeait pas de ce pain-là (de même Malek Boutih, paraît-il, ce dont on le félicite…) : opération ratée, donc, sur ce coup-là ; mais on serait le patron du nouveau Centre ­ comment s’appelle-t-il déjà ? Ah oui, Morin, dit « Hervé Morin traître », du côté de chez Bayrou ­, titulaire du poste, qu’on s’interrogerait sur ses perspectives à l’hôtel de Brienne…

« Il ouvre, il ouvre, c’est tout c’qu’i sait faire » , râlent les Zazie de l’UMP en regardant passer les rames [^2]. Sinon, Fillon 2 ressemble à Fillon 1, en plus gras ; et comme dit mon camarade Fontenelle : « Tu peux rebaptiser la maison Hortefeux ministère des Roudoudous roses, et la parfumer à l’Air Wick : si tu ne changes pas ses tristes prérogatives, ça restera une horreur [^3]

L’astre présidentiel

Mais est-ce bien important tout cela, au fond, puisque chacun a bien compris que notre Président se chargeait de tout faire lui-même, ses bras de Shiva lancés au-dessus des têtes ministérielles ?

La réaffirmation de cette omnipotence présidentielle fut faite une nouvelle fois à destination du bon peuple lors d’un entretien télévisé avec deux de nos meilleures icônes électroménagères sous les dorures élyséennes, d’où ­ innovation notable ­ avaient été dispensées les nouvelles du jour. À l’accoutumée, le Prince-Président fut remarquable de simplicité bonhomme et de décontraction, affichant sa détermination à mener personnellement à bien la politique pour laquelle les Français l’avaient élu ( « Croyez-vous, Patrick Poivre d’Arvor, qu’ils m’ont mis là où je suis pour n’y rien faire ? » ), soulignant son pragmatisme ( « Je ne suis pas un intellectuel, Mme Chazal, je suis quelqu’un de concret ! » ), semblant oublier au passage qu’il a un Premier ministre censé conduire la politique de la nation. Où est passé M. Fillon ? Certes, on ne doute pas qu’il soit occupé à Matignon : mais il faut lui reconnaître une discrétion de violette. Ce n’est pas lui qui fera de l’ombre à l’astre présidentiel.

Ni lui, ni personne d’autre. Il brille de tous ses feux, et bien au-delà des frontières : vous l’avez compris, c’est à Nicolas Sarkozy qu’on doit la remise en marche d’une Europe que ses prédécesseurs avaient fâcheusement laissée dérailler. Le sommet de Bruxelles marque ses vrais débuts sur la scène internationale, après le tour de chauffe du G8 ; et chacun a pu noter avec quelle maestria notre petit grand homme a su mettre ses partenaires dans sa poche, à commencer par les deux frères Ubu du royaume Polonais.

N’en doutons pas, le pays est en bonnes mains.

[^2]: On notera qu’avec l’arrivée de Fadela Amara et de Rama Yade, rejoignant Rachida Dati, ce sont maintenant trois femmes « issues de l’immigration » qui siègent au gouvernement. Commentaire de l’association Fraternité franco-africaine (extrait) : « Une fois encore, l’hypocrisie de la « France des droits de l’homme » a bien fonctionné ; ces trois jeunes femmes sont censées bénéficier d’une politique antiraciste : leur promotion servira-t-elle pour autant la cause des banlieues laissées pour compte malgré la grave crise de l’automne 2005 ? Elles incarnent également l’opposition républicaine et progressiste aux fléaux attribués aux cultures des Suds : l’intégrisme musulman, le machisme patriarcal ou celui des grands frères des banlieues… C’est de bonne guerre, la question qui se pose étant de savoir pourquoi cette stratégie de l’État UMP est officialisée en l’absence de réalisation effective des gauches sur leur terrain naturel : l’équipe de campagne de Ségolène Royal était d’un blanc immaculé, Christiane Taubira et Malek Boutih étant, malgré leur loyauté, encore largement sous-employés. » Et FFA ajoute, qui n’épargne pas la gauche radicale : « Les gauches antilibérales, Attac et en fait tous les partis d’opposition sont bien en peine de rivaliser avec le pouvoir en termes de cooptation de cadres issus des minorités visibles. » ()

[^3]: Sur son blog AJT Vive le feu ! (.). »

Edito Bernard Langlois
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