Courrier des lecteurs Politis 966

Politis  • 6 septembre 2007 abonné·es

De bonnes raisons…

Avec quelques amis quadragénaires, nous avons essayé de faire la liste des raisons qui nous conduisent à nous satisfaire du rapprochement idéologique tant souhaité entre partis politiques responsables et à ne plus lutter dorénavant que contre notre cholestérol.

Désormais, nous constatons que : les lois du commerce ne sont plus les lois de la République ; le peuple est à l’origine des lois ; les élus du peuple rendent des comptes aux électeurs ; l’État ne promeut plus le chacun-pour-soi ; les salariés sont des citoyens dans l’entreprise ; l’entreprise est responsable socialement de son activité ; le travail n’est plus un asservissement ; le travail est un droit ; les femmes ne sont plus exploitées sexuellement ; la santé, le logement, la culture sont accessibles à tous ; chacun reçoit en fonction de ses besoins ; il n’y a plus de discriminations sociales, ethnique ou religieuse ; les médias ne sont plus aux mains des groupes capitalistes ; on ne sort plus de prison plus délinquant qu’on y est entré ; les industries chimiques et agroalimentaires n’empoisonnent plus rien ni personne ; la planète n’est plus un objet de prédation ; la coopération internationale a remplacé la compétition et l’asservissement…

Bref, les raisons de ne rien faire ne manquent pas, et nous invitons toute personne intéressée à compléter cette modeste liste !

F. Jockin (courrier électronique)

Une montagne bienvivante

Oyez ! Oyez ! Braves gens ! C’est un jeune berger (33 ans !) de montagne qui vous parle. Qui répond à l’article bienvenu et humoristique du «~Changer d’ère~» du n° 961 de Politis . Étant défenseur d’une montagne bien vivante, où tout le monde à sa place, j’ai souvent fait partie des réunions de concertation, d’explications, de réflexion sur notre métier, mais surtout sur la manière dont nous pouvions (dont nous devions, dirais-je même) cohabiter avec les «~prédateurs naturels~» et, de plus en plus, avec le tourisme (qui, lui, a tendance à nous éradiquer). Je connais bien, et personnellement, une partie de cette petite bande de furieux éleveurs~! Si vous saviez le nombre d’insultes (souvent à caractère raciste), de pressions morales et physiques (surtout vis-à-vis de la gent féminine), de pare-brise cassés et de pneus crevés (entre autres~!) ­ j’en passe et des meilleures ­ que nous subissons~! Un article n’y suffirait pas, il faudrait une édition spéciale~! Bref, tout cela n’est rien face à ce choix de société […]~: vivre ensemble et partager, ou alors disparaître~! Car c’est bel et bien toute la filière ovine française qui est en crise depuis les années 1980 (merci Rainbow Warrior~!), et les prédateurs naturels (ours, loups, lynx) ne font que cristalliser cette crise, mais, depuis eux, au moins, l’on en parle~! Beaucoup de méthodes existent~: chiens de protection, parc de nuit électrifié, de vrais bergers et non de simples surveillants (je ne vais pas me faire que des copains), des troupeaux plus petits sur les montagnes trop escarpées ­ donc emplois (subventionnés) de bergers supplémentaires ­, habitations mobiles du type yourtes, tipis, pour être plus proches des bêtes dans les « quartiers » lointains, bergers itinérants, écovolontaires, radiotéléphonie… Mais non~! Ces tristes réactionnaires «~à bérets vissés~» refusent tout en bloc~! Tout~! Ils croient encore que la montagne (que nous avons malgré tout «~dessinée~» au fil des siècles~!) et tous les êtres vivants qui l’habitent (et d’ailleurs bien avant nous~!) leur appartiennent et qu’ils ont droit de vie ou de mort sur ces êtres vivants, emblématiques (ou non~!). Nous, les bergers modernes de ce IIIe millénaire, nous souhaitons partager ce si bel espace, faire découvrir aux néophytes notre passion, notre vie, et perpétuer ce flambeau très ancien et bénéfique au travers de nos techniques, nos savoirs, dans le respect des cycles de la nature, de tous les êtres vivants…

Nous sommes les «~gardiens~» d’un temps immémorial, pour eux, pour nous, pour ceux qui nous succéderont. Merci et bonheur à ceux qui le comprennent… Et pour les autres, essayez, au moins~! Pour nos enfants, nos petits-enfants~! Soyons heureux, vivons notre vie, partageons et aimons-nous~!

Didier Maupin, en estive à Cassagnas (Lozère)

Presse menacée au Maroc

Le 4 août, l’hebdomadaire Nichane a été retiré des kiosques. Le lendemain, 50 000 exemplaires de Tel Quel, la version française du même journal, ont été détruits par la police. Le 15 août, le tribunal de première instance de Casablanca a condamné deux journalistes d’ Al Watan al An à de lourdes peines : 8 mois de prison ferme pour l’un, 6 mois de prison avec sursis pour l’autre, et 100 dh d’amende pour chacun. Pour délit de presse. Jugement qui représente « une menace contre tous les autres journalistes, pour qu’ils ne s’acquittent pas de leur devoir d’investigation… » , écrit le Syndicat national de la presse marocaine.

Ces atteintes à la liberté de la presse ont suscité la colère et l’indignation de très nombreuses ONG de défense des droits de l’homme et organismes de presse à travers le monde, comme Reporter sans frontières , qui déplore qu’ « au Maroc, le code de la presse [soit] un texte liberticide dans lequel les juges puisent allégrement pour faire condamner les journalistes », et l’Association mondiale des journaux, qui demande « que le pays respecte les standards internationaux en matière de liberté d’expression » .

D’autres récentes atteintes aux libertés ­ des arrestations, des tortures et des emprisonnements, rappelant les cruelles « années de plomb » ­ sont dénoncées par les militants qui défendent les droits de l’homme au Maroc.

Solidarité Maroc 05, Gap

Mai 68

J’ai lu attentivement le dossier « Mai 68, le bel héritage » paru dans le numéro d’été de Politis . […]

Seul l’article de Bernard Langlois évoque les deux slogans de Mai 68, dont tous les autres n’étaient que des dérivés. […]

« Il est interdit d’interdire » : il fallait être naïf pour penser qu’ « il n’était pas à prendre au pied de la lettre » , que « nous étions dans le champ de la poésie » . Il n’y avait que vous, Bernard Langlois, et une poignée d’autres poètes dans ce « champ de la poésie » … Il aurait fallu, par exemple, demander à Jean Vilar s’il trouvait une dimension poétique dans les attaques dont il était l’objet, dans les insultes publiques proférées à son égard.

J’avais 21 ans, j’étais étudiant, concerné par la politique depuis la longue grève de la faim de Louis Lecoin (pour que l’État finisse par accorder, en 1963, un statut aux objecteurs de conscience), et je militais depuis deux ans dans un comité Vietnam. J’avais toutes les raisons de m’engager dans ce « mouvement ». Ce que je fis. Pourtant, début juin, quand j’entendis dans les manifs et les amphis les grandes gueules vouloir imposer le boycott des examens, je compris que, sans diplômes, ceux-là, les « héritiers », s’en sortiraient toujours, mais pas les autres, la piétaille, dont je faisais partie. Je m’éloignai alors rapidement de ce qui, à Paris, ne fut finalement pas « un long poème », mais un mouvement d’humeur de la jeunesse aisée, désireuse de prendre vite à ses aînés les rênes du pouvoir. […]

Je ne nie pas quelques « avancées » sociétales et victoires sociales, grâce aux millions de salariés en grève, mais je refuse d’ignorer les dégâts catastrophiques provoqués par la glorification de l’individualisme à travers « l’interdiction d’interdire ». Pour la première fois, on pouvait s’écrier publiquement « Moi d’abord ! » sans gêne, sans honte et sans complexe. Était-ce là une avancée ? Pour les libéraux, sûrement… […]

Ce slogan, démagogique au possible, s’est évidemment transmis comme une traînée de poudre à l’ensemble de la société. Quarante ans plus tard, on en subit toujours quotidiennement les conséquences. Car « interdire d’interdire », c’était ouvrir la porte à la « loi » des plus malins et des plus forts ­ en gueule, en fric, en nombre ­ et aux mieux armés (aux sens propre et figuré). Bref, c’était légitimer le cynisme, lequel se développa légalement dans les années 1980 lorsque, avec la bénédiction présidentielle, on pouvait devenir ministre de la République malgré un présent ambigu dans le domaine des affaires et sulfureux dans celui du sport professionnel. […]

Il est regrettable que, dans Politis, il faille attendre les dernières lignes de la dernière colonne de la 19e page de ce dossier (sur 26) pour qu’un des auteurs (Denis Sieffert) écrive très brièvement, comme un chuchotement, la même chose que moi. Oui, n’ayons pas peur de le dire tout haut, le mouvement de Mai 68 a ouvert les vannes à la vague libérale qui est en train de nous submerger.

Joël Luguern, Issy-les-Moulineaux

Pédagogie du boycott

On peut supposer qu’un boycott nominal lancé au même moment par tous les altermondialistes sur terre contre l’une des grandes marques du Big Brother qui nivelle la planète ferait facilement vaciller ces géants du néant.

Mais cela suppose que l’on commence par soi-même ; et pour cela, que l’on sache déjà décoincer son propre affectif. Briser le lien de l’habitude plaisante (même si malsaine) qui nous relie à l’objet litigieux. En fait, un litige face à notre propre conscience.

Commencer par les premiers petits pas. Ce sont les premiers boycotts qui sont les plus difficiles. Ensuite, on les enfile comme des perles sur un collier.

Boycotter, c’est un peu comme d’arriver à la décision d’arrêter de fumer.

Bien voir et comprendre la chaîne des conditionnements et asservissements proposés par une société pétrie de mauvaises habitudes, qui s’érigent en système et auxquels nous avons adhéré sans trop nous en rendre compte.

Se convaincre clairement que les avantages du boycott valent amplement l’effort de rupture, où on devra consoler un affectif momentanément frustré. Affectif qui finalement se libère aussi en devenant plus malléable et adaptable ; et qui donc, moins facilement, s’érige dans notre vie en petit dictateur qui lance des ultimatums et nous encarcane.

Si cela ne me convient pas que la divine boisson brune envahisse les moindres recoins de la planète, m’en passer absolument et le faire savoir à haute voix.

Si je souffre trop des médias au-delà d’un certain niveau de connerie (comme le Mondial ou la mort de telle star), savoir se sevrer soi-même en s’abstenant de tout média pour un temps. Lors des derniers râles d’agonie de Jean-Paul II, devinant trop bien la suite, je pris cette décision. Une semaine et demie plus tard, je rencontrai des copains qui me dirent : « On n’en peut plus de Jean-Paul ! » « Mais moi , leur répondis-je, je n’ai aucun problème avec Jean-Paul. Et imaginez qu’on serait des millions à boycotter publiquement ensemble tous les médias du pays, ceux-ci s’inquiéteraient sérieusement et changeraient vite leur programmation. »

Mais les gens, souvent victimes complices de leurs bourreaux, préfèrent subir et se plaindre ; plutôt que de s’abstenir et faire d’autres choix, faisant preuve par là de leur sens critique efficace et de leur volonté effective d’autonomie.

Si je n’aime pas les vibrations et la vision du monde qu’imposent les supermarchés, étudier en détail comment cesser d’y entrer ; et agir en conséquence. Il y a la Biocoop, l’Amap, le marché des producteurs encore en partie locaux, la petite épicerie qui subsiste malgré tout, la droguerie du coin. Bien sûr, c’est un choix de vie, car cela prend un peu plus de temps et de sous. Ce n’est que le prix d’une certaine qualité de vie.

Personnellement, j’entre encore quelques fois par an dans un supermarché ; mais jamais en décembre. Car, pour tout vous dire, les bouchons de Caddies pleins à craquer et la fièvre exacerbée de consommation d’avant « fêtes » me donnent envie de vomir.

À la mi-décembre, je vais plutôt à l’épicerie du village. Et je suis tout seul dans ce magasin ! Et si j’en ai envie, je peux causer dix minutes avec la caissière. […]

Ne nous laissons pas dicter notre conduite par les nombreux prédateurs enragés d’argent et de pouvoir qui se foutent des gens et de la planète.

André Larivière, Haute-Loire

Maltraités

On a pu lire récemment la déclaration suivante de Nicolas Sarkozy : « Chaque fois qu’une personne est poursuivie et maltraitée dans le monde, pour moi, elle est française, parce que la France est la patrie des droits de l’homme. » Je suggère aux sans-papiers poursuivis en France et maltraités de rappeler ces propos aux représentants de l’État français auxquels ils auront à faire. Une phrase telle que « Cher concitoyen, vous me poursuivez et vous me maltraitez, notre chef de l’État me considère donc comme français » devrait, en toute logique, s’avérer suffisante !

Jean-Jacques Corrio, Les Pennes-Mirabeau (Bouches-du-Rhône)

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