Création d’ignorance

« L’Atlas de la création », envoyé aux écoles en février 2007, a fait réaliser aux enseignants qu’ils étaient des cibles stratégiques pour les idéologies créationnistes.

Ingrid Merckx  • 18 octobre 2007 abonné·es

Août 1999. Le Conseil de l’éducation du Kansas adopte de nouveaux critères pour l’enseignement des sciences. La science darwinienne est ravalée au rang d’hypothèse, et le créationnisme, au nom duquel le monde a été créé par Dieu en sept jours, obtient droit de cité dans les écoles. Dans un pays où les programmes scolaires sont du ressort des autorités locales, les débats flambent dans chaque État. Début 2000, au moins sept États tentent de gommer Darwin des programmes scolaires. En Alabama, les livres de science sont sommés d’établir que l’évolution est une « théorie controversée » au prétexte que « personne n’était là au moment de l’apparition de la vie sur terre, donc toute affirmation sur les origines de la vie relève de la théorie, non des faits ». « Bien que l’État du Kansas soit revenu sur cette décision au début de l’année 2001, cette affaire nous montre les conséquences du lobbying sur un système éducatif décentralisé, dans un pays où ce qui correspondrait à une « laïcité » ne se traduit pas en actes », diagnostique Guillaume Lecointre, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et auteur d’un dossier intitulé « Évolution et créationnisme » pour le CNRS [^2] .

Aucun risque en France ? Alors que l’offensive grimpe, les enseignants, en première ligne, s’interrogent sur la solidité des boucliers que sont l’Éducation nationale et la laïcité à la française.

En 2004, Joël Besnard, responsable du groupe Sciences de la vie et de la terre (SVT) du Syndicat national des enseignants de second degré (Snes), lit sur une liste de diffusion : « Lorsque j’enseigne l’évolution, des élèves me disent : « Ce n’est pas ce que dit le prêtre. » » Deux ans plus tard, dans un lycée, un père d’élève demande à une prof de SVT : « Vous n’enseignez pas d’autres théories ? » « S’il est normal pour des géo-biologistes que nous sommes de nous intéresser à l’argumentation de l’évolution, il est également logique que les syndicalistes que nous sommes s’inquiètent de la confrontation de conceptions opposées, concurrentielles, de l’évolution, déclare Joël Besnard en mars 2006, en introduction à une journée de réflexion sur le thème « Enseigner l’évolution face aux croyances ». En effet, si notre formation nous permet de répondre à un certain nombre d’interrogations scientifiques, elle nous laisse parfois en difficulté lors des questions qui mêlent réalités observables et explications finalistes, métaphysiques. »

Faut-il et peut-on former les enseignants à une approche critique de l’évolutionnisme et du créationnisme ? C’est l’une des questions du colloque organisé par le Snes les 19 et 20 octobre à La Plaine-Saint-Denis (93). Preuve du besoin grandissant des professionnels de l’éducation en la matière.

L’urgence s’est accrue en février dernier avec l’arrivée dans plusieurs centaines d’établissements français de l’Atlas de la création . Un ouvrage de 700 pages illustrées condamnant la théorie de l’évolution au profit du créationnisme et signé par un certain Harun Yahya. Ce prosélyte musulman turc, qui diffuse ses thèses à tour de bras (www.bookglobal.net), tente de prouver que les espèces animales n’ont pas changé depuis la création, et fait des thèses de Darwin « la réelle source du terrorisme » .

Le ministère a demandé que cet ouvrage soit mis hors de portée des élèves. Mais l’affaire a fait du bruit. « Il ne s’agit pas de théories mais de croyance , a rappelé Dominique Borne, président de l’Institut européen en science des religions ( Libération du 6 février). Face aux élèves, il ne faut pas opposer théorie contre théorie, mais leur montrer la différence entre la connaissance scientifiquement établie et des croyances […] *, et leur expliquer que l’on cherche la vérité avec des outils scientifiques. »* Pas une mince affaire. D’autant que tout élève cherchant des informations sur l’évolution tombe forcément, à un moment ou à un autre, sur celles distillées par l’ Intelligent design sur Internet.

Seule façon d’y répondre : développer le sens critique, donner des arguments. Exemple, face à l’objection la plus répandue : « L’évolution n’est qu’une théorie, pas un fait. » « Il n’y a pas de séparation possible entre faits et théorie, explique Guillaume Lecointre, dans sa « seconde postface à l’attention des enseignants » *. La théorie investit l’appréhension du fait, mais un fait sans théorie environnante ne signifie rien. L’évolution biologique est à la fois une théorie qui met en cohérence un grand nombre de faits, et des manifestations tangibles que nous appelons faits. La théorie n’est pas moins « vraie » ou moins crédible que les faits qu’elle explique. Il n’y a pas à employer le mot « théorie » dans un sens péjoratif. »*

« Mais il faut aussi ne pas oublier que cette propagande religieuse est par essence et par destination une propagande politique qui doit être analysée dans sa genèse complexe et combattue politiquement en connaissance de cause » , met en garde Patrick Tort. Encore faut-il prendre la mesure du problème au-delà du périmètre de la classe.

[^2]: Voir les dossiers Sagascience pour le CNRS.

Société
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