Courrier des lecteurs Politis 978

Politis  • 29 novembre 2007 abonné·es

Les élèves en difficulté

Je suis enseignante depuis trente et un ans […], je suis maintenant professeur des écoles, mais surtout enseignante spécialisée ; et c’est à ce titre que j’exprime mon mécontentement.

La parution du rapport du conseil supérieur de l’Éducation, puis le récent document d’orientation contenant les « propositions du ministre de l’Éducation nationale, soumises à discussion, pour définir un nouvel horizon pour l’école primaire » nous ont fait bondir. Pourquoi ?

Dans le premier rapport, il est fait un constat : celui de l’échec de l’école primaire face à aux élèves en difficulté ; dans le deuxième document, M. Darcos fait de la libération des heures du samedi la panacée pour aider les élèves en difficulté. Sans oublier les nombreux espaces médiatiques offerts aux officines de soutien, telle Acadomia, par exemple.

Or, il existe dans l’école primaire, depuis 1970, des structures pour aider les enfants en difficulté ! Il s’est d’abord agi des Gapp (groupes d’adaptation psychopédagogique), puis, depuis 1990, des Rased (réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté). ces Rased existent toujours et sont régis actuellement par la circulaire de 2002. Ils fonctionnent par circonscription de l’Éducation nationale et sont sous la responsabilité d’un inspecteur chargé de circonscription.

Qui travaille dans ces Rased ? Dans le meilleur des cas, quand la circulaire est appliquée, un psychologue scolaire et deux enseignants spécialisés par « sous-réseau ». Ces deux enseignants spécialisés ont des compétences spécifiques : l’un dispense une aide à dominante pédagogique, l’autre à dominante rééducative. […] Selon le type de difficulté repérée par l’enseignant de la classe, l’un ou l’autre va intervenir. Les Rased interviennent dès la maternelle et si besoin jusqu’au CM2.

Alors, me direz-vous, tout baigne ?

Évidemment non. Depuis des années, le nombre de ces postes spécialisés diminue et les réseaux interviennent dans des secteurs de plus en plus étendus, donc ne peuvent répondre à toutes les demandes, étant obligés d’établir des « priorités ». La formation dispensée par les IUFM pour les enseignants spécialisés dans les Rased a été divisée par deux en nombre d’heures : les stagiaires sont formés à présent « en alternance ».

Bref, des économies qui ont eu pour conséquence, entre autres, le constat établi par le CSE.

Mais entendre dire que les élèves en difficulté ne sont pas pris en charge à l’école est insupportable !

Actuellement, l’école primaire ne fonctionne que grâce à la conscience professionnelle des enseignants et à leurs efforts quotidiens. On demande toujours plus aux enseignants : il faut maintenant accueillir les élèves en situation de handicap (ce qui est légitime), mais avec du personnel peu formé (quand il y en a) dans des classes chargées avec des élèves en difficulté (la difficulté ordinaire, comme nous la nommons).

Ma profession ­ enseignant chargé des aides à dominante rééducative, plus communément appelé rééducateur (rééducatrice, surtout) ­ s’est regroupée depuis longtemps en associations professionnelles elles-mêmes regroupées en fédération (Aren départementales et Fnaren nationale). Ces associations défendent notre métier spécifique, organisent des conférences, publient des revues… […]

Il faudrait que l’opinion publique soit au courant de l’existence de ces structures, mais notre ministre aussi (qui feint de l’ignorer).

Malgré les réductions de postes et la charge de travail, nous nous efforçons d’aider au mieux les élèves avec le concours de leurs enseignants, de leurs parents…

*Sylvie Rieunier, présidente de l’Association des rééducateurs de l’Éducation nationale de Paris
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La production du chercheur

C’est pour s’opposer à la « manipulation médiatique » que « G » [dans le courrier des lecteurs du n° 975 de Politis ], investigateur mais anonyme, nous met en garde : ce Christian Vélot qui se prétend victime de son ardeur à critiquer les OGM ne serait-il pas simplement un chercheur peu productif, et pour cela justement sanctionné ? G. précise que Christian Vélot n’a pas atteint la « norme » CNRS (le quota) : « produire » un article par an. Si tous ceux qui sont dans ce cas subissaient le même sort, il y aurait de la place dans les labos ! La production du chercheur, contrairement à celle de la poule, dépend largement de facteurs extérieurs : il pond plus ou moins selon son champ d’étude, son approche théorique ou pratique, son ancienneté dans le sujet, et surtout les moyens qui lui sont donnés. Christian doit s’attendre à d’autres chicanes. Nous avions prévu cela et nous resterons solidaires.

Jacques Testart, directeur de recherches honoraire de l’Inserm

État de siège à Ajaccio

Le 31 octobre, à Ajaccio, se tenait un Conseil des ministres décentralisé.

La veille, à l’Assemblée de Corse, le discours de Nicolas Sarkozy ne faisait aucune allusion à la question sociale en Corse, malgré un coût de la vie supérieur de 10 à 15 % à celui de la plupart des régions continentales, un taux de chômage parmi les plus élevés de France et 25 % de retraités abonnés au minimum vieillesse, contre 5 % en moyenne nationale.

Sans compter une forte précarité de l’emploi et une application plus que superficielle du droit du travail.

Une déclaration de guerre au service public du transport aérien, évoquant la liberté pour les compagnies low cost de desservir la Corse, et la volonté présidentielle de réduire l’enveloppe de continuité territoriale ont conduit au déclenchement spontané, dès le 30 octobre au soir, d’une grève des personnels de la compagnie Corse Méditerranée.

Au petit matin, les Ajacciens se sont réveillés en « état de siège ». Des milliers de policiers et de CRS […] quadrillaient tous les points névralgiques de la ville.

Le préfet de Corse, qui avait promis à l’intersyndicale des salariés de l’île une rencontre avec Nicolas Sarkozy contre l’absence de mot d’ordre de grève et de manifestation, commettait, le 30 octobre au soir, un arrêté préfectoral interdisant toute manifestation dans le centre-ville d’Ajaccio. Cette interdiction de manifester s’est transformée au petit matin en une interdiction de circuler, y compris à pied, dans le centre d’Ajaccio. […]

Cette situation n’avait plus été vécue à Ajaccio depuis 1958 et l’occupation de la préfecture d’Ajaccio par les parachutistes.

Le prétexte d’une émeute à l’instigation des nationalistes pour justifier un aussi important et coûteux déploiement de forces a fait long feu : leur manifestation n’a réuni qu’une cinquantaine de personnes, qui, curieusement, avaient pu s’approcher de la préfecture, siège du Conseil des ministres, et se mettre à la disposition de médias plus soucieux de sensationnel que d’un véritable état des lieux de la situation en Corse. Quand à la manifestation à l’appel de certaines organisations syndicales (CGT, FSU, CFDT), prévue depuis plusieurs semaines, elle fut bloquée devant la gare d’Ajaccio, encerclée par plusieurs centaines de CRS en arme, et confinée hors de toute présence médiatique.

Les commentaires télévisuels de la mi-journée ne faisaient d’ailleurs aucunement mention de cette manifestation, et ne faisaient allusion qu’à la manifestation nationaliste[…].

Les organisations syndicales de salariés et leurs revendications sociales, lourdes de sens pour l’ensemble de la population insulaire, ont été totalement ignorées par le Président et ses ministres.

Les grands vainqueurs de cette journée ne sont-ils pas les organisations nationalistes qui se refusent à condamner la violence armée et qui appelaient à la manifestation devant la préfecture ?

Après un tel mépris affiché pour la population ajaccienne pendant une si longue matinée et pour les organisations syndicales de salariés, on est en droit de se le demander.

Claude Perrin, Ajaccio

Euphémismes

La loi vient d’autoriser les statistiques ethniques, dans certaines conditions. Il va falloir maintenant créer des catégories et mettre au point un vocabulaire adapté pour réaliser ces statistiques.

Il paraît difficile de reprendre le langage politique et journalistique et demander lors d’une enquête : « Êtes-vous divers(e) ? » , ce qui pourrait faire penser qu’on s’inquiète de savoir si la personne est plus ou moins schizophrène. Il serait plus acceptable de demander : « Faites-vous partie de la diversité ? » Mais il est difficile de ne pas appartenir à la diversité de la société française… On pourrait proposer deux catégories « diversité » ou « autres » !

De même pour le lieu d’habitation, on pourrait donner le choix aux personnes enquêtées : « Habitez-vous dans un quartier ? » ; et pour ceux et celles qui n’habitent pas dans un quartier (?) : « Habitez-vous ailleurs ? »

Il ne fait pas de doute que le langage politique ferait ainsi faire un grand pas en avant à la sociologie. À moins que les politiques adoptent la diversité française non seulement dans leur langage mais aussi dans sa représentation : parité, loi oblige, mais aussi diversité des origines, des catégories sociales… Ce serait là un vrai progrès vers la démocratie.

Paul Oriol, Versailles

Les privilèges

J’ai entendu il y a peu, à la radio, un auditeur déclarer qu’il fallait mettre fin « aux privilèges des cheminots » . Quel scandale en effet que ces « stock-options de retraite » (c’est exact, les conditions en sont fixées 37 ans et demi avant la prise d’effet). Il faut que la retraite soit égale pour tous (enfin, presque, en fonction des cotisations, quand même). Je m’étonne seulement de la modération de cet auditeur. Il n’a pas exigé de toucher le salaire des cheminots et d’autres privilégiés du même genre. […] Y aurait-il une raison ? Qui aura le courage de dire, une seule fois […], que la retraite fait partie des conditions d’emploi et qu’une retraite à des conditions favorables peut venir compenser un salaire moindre ­ et donc une épargne moindre, quoi qu’on en fasse ­ pendant la vie active ? C’est l’image même de notre débat public, où les dés sont sans cesse pipés, parce que personne ne veut dire toute la vérité. Mais que ceux qui réclament à grands cris la fin de ces « privilèges » se méfient. Une fois que ce sera fait, on pourrait fort bien mettre fin à leurs privilèges à eux, et aligner leurs salaires sur ceux de ces (anciens) « privilégiés ». Ce jour-là, ils risquent de la trouver saumâtre et de devoir travailler plus pour gagner… moins. Je précise que je ne suis ni salarié ni retraité de la SNCF.

Philippe Bouquet, Le Mans (Sarthe)

Contradictions

Le lobby d’incinération des déchets vient de gagner une belle bataille : pas de poursuites judiciaires à l’encontre des responsables [de la pollution à la dioxine à Gilly]. Le maire UMP d’Albertville peut dire merci à son pote Sarko et à la justice aux ordres. Grenelle de l’environnement ? D’un côté, les belles paroles ; de l’autre, les réalités de terrain. Autre exemple dont les médias ne vous parleront pas : les élus UMP poussent pour qu’un second tunnel routier soit percé au Fréjus. Cela en contradiction avec les paroles du Grenelle. Autre exemple : les élus UMP de Savoie veulent modifier la loi Littoral pour pouvoir mieux bétonner le lac d’Annecy. Et ils veulent construire une autoroute le long du lac au lieu de rétablir la voie ferrée entre Albertville et Annecy. […] Les élus Verts, avec leurs faibles forces, essaient de dénoncer ces projets.

C’est un élu Vert d’Albertville qui a bataillé pendant six ans pour faire fermer le four de Gilly…

Il est temps que tous les écolos se rassemblent pour parer aux mauvais coups. […]

Michel Roulet

Courrier des lecteurs
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