Quand Vincennes déménage à Saint-Denis

En faisant détruire les locaux et en imposant le transfert de Paris-VIII à Saint-Denis, Alice Saunier-Seïté pensait bien en finir avec l’ « esprit » de la faculté.

Claude-Marie Vadrot  • 30 avril 2008 abonné·es

EN PRIVÉ, COMMENTANT LA DESTRUCTION et l’exil de Paris-VIII à Saint-Denis en 1980, Alice Saunier-Séïté, secrétaire d’État aux Universités sous Giscard, ricana : « De quoi se plaignent-ils ? Leurs nouveaux bâtiments seront situés entre la rue de la Liberté, l’avenue Lénine et l’avenue Stalingrad, et ils sont chez les communistes. » Deux ans plus tôt, s’appuyant sur une rumeur, elle avait expliqué aux députés qu’un cheval avait obtenu une licence à Paris-VIII (il s’agissait en réalité du canular d’un informaticien). Quant à la destruction des 40 000 mètres carrés des locaux du bois de Vincennes sous la protection de ­centaines de policiers, ce fut l’un des derniers fantastiques gâchis de la droite gaulliste, car les bâtiments avaient été édifiés en dur et auraient pu résister au temps des dizaines d’années. Contrairement à ce qu’Alice Saunier-Séïté espérait, comme Jacques Chirac et la droite, et contrairement aux craintes des « Vincennois », le déplacement de quinze kilomètres n’eut qu’une faible influence sur le nombre des étudiants, qui passa de 32 979 à 28 478.

Le traumatisme ayant été malgré tout sévère, après le départ d’un administrateur provisoire ayant succédé à Pierre Merlin démissionnaire, Claude Frioux convoqua des états généraux de l’université, réunissant le personnel, les étudiants et les enseignants. Plusieurs jours de réunions, puis des semaines de travail pour réinventer des enseignements et des comportements, donner un nouvel élan et s’adapter à une nouvelle donne : l’arrivée de la gauche au pouvoir. Il n’y eut pas vraiment beaucoup plus de moyens, mais des ministres trouvèrent le chemin de cette université. Par exemple, Michel Crépeau et Huguette Bouchardeau vinrent chacun leur tour inaugurer puis installer officiellement une filière écologie. Cette période, notamment avec Francine Demichel, qui succéda à Claude Frioux, fut celle pendant laquelle ­l’université obtint la construction de nouveaux locaux. Sur le site choisi par la droite, puis de ­l’autre côté de l’avenue Stalingrad.

Revenus de leurs méfiances envers les « gauchistes », les élus communistes avaient débloqué les terrains nécessaires et trouvaient la communauté de Paris-VIII fréquentable, bien que trop agitée encore. Ils s’étaient notamment rendu compte que les étudiants originaires de la Seine-Saint-Denis ne boudaient pas l’université. La mixité sociale fonctionna, et elle fonctionne encore, sous le signe de la diversité. Et Paris-VIII continua, malgré la normalisation et une certaine dépolitisation, de participer à tous les mouvements sociaux des années 1980 et 1990, jouant notamment un rôle clé dans la résistance au CPE. Alors qu’il n’est pas toujours facile d’initier de nouveaux enseignants à une histoire et à des méthodes particulières. Depuis quelques années, la question de la transmission se pose face à une société et à des politiques normalisantes qui peuvent aussi bien agir sur les enseignants que sur les enseignés.

Société
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