« Il est trop tard pour nous faire disparaître »

Le congrès de l’Union syndicale Solidaires s’achève alors que de nouvelles règles de représentativité vont être mises en place. Une situation difficile pour un syndicat qui a élargi son implantation, explique sa porte-parole, Annick Coupé.

Thierry Brun  • 5 juin 2008 abonné·es

Le 4e congrès national de l’Union syndicale Solidaires (regroupant notamment les syndicats SUD), qui s’est déroulé du 3 au 5juin, a montré un syndicat en progression, mais dans un contexte qui lui est très défavorable. Assiste-t-on au «tout sauf Solidaires» ?

Annick Coupé : Nous dérangeons beaucoup d’interlocuteurs : le gouvernement, les politiques, le patronat et les confédérations. Lors de la négociation sur la représentativité syndicale, le Medef avait dit qu’il fallait tout faire pour empêcher Solidaires de se développer. On voit bien que même dans une négociation comme celle-ci, au-delà d’un reformatage du paysage syndical français, tout a été organisé pour qu’on ne puisse pas, au mieux, entrouvrir une porte dans les entreprises. Il est clair que tout est verrouillé au niveau national comme au niveau des branches.

Illustration - « Il est trop tard pour nous faire disparaître »


Lors des grèves des transports de novembre 2007, contre la réforme des retraites. Morin/AFP

Nous sommes quasi systématiquement conduits à des procès orchestrés par le patronat, parfois en lien avec certaines organisations syndicales. Même si celles-ci sont en désaccord avec nous, il n’est pas acceptable qu’elles soutiennent le patronat pour combattre d’autres syndicalistes. Et, s’il y a des désaccords avec les stratégies mises en œuvre, ceux-ci devraient être débattus devant les salariés. Nous regrettons qu’il n’y ait toujours pas la possibilité d’avoir un cadre de débat national et que les intersyndicales interprofessionnelles soient réservées aux confédérations.

Considérez-vous que la réforme de la représentativité syndicale, que vous avez par ailleurs souhaitée, est un frein à votre développement ?

Nous espérions beaucoup que la négociation sur la représentativité syndicale débouche sur des règles plus démocratiques. La position commune adoptée par le Medef, la CGT et la CFDT n’est pas bonne sur le fond. Elle introduit plus de critères contraignants qu’actuellement. Et ces critères doivent être cumulatifs. La position commune impose deux ans de présence dans l’entreprise, avec une interprétation juridique compliquée. Pour l’instant, nous ne savons pas si une organisation syndicale devra attendre deux ans d’existence pour être représentative, ou s’il lui faudra prouver deux ans de présence dans une entreprise. Or, il est totalement impossible à un syndicat SUD d’exister dans une entreprise sans aucune reconnaissance et sans aucun droit. Les critères retenus par la position commune durcissent l’accès à une représentativité, alors qu’actuellement nous gagnons des procès en représentativité au bout de trois ou six mois d’existence. Ce qui a été présenté comme une ouverture démocratique risque au bout du compte de se traduire par une fermeture. Tout cela nous inquiète beaucoup, mais il est trop tard pour nous faire disparaître…


N’y a-t-il pas aussi un refus de voir se développer un syndicalisme combatif, proche des mouvements sociaux ?

Le fait qu’on garde une ligne syndicale d’offensive et de luttes, refusant un syndicalisme d’accompagnement, dérange aussi. Nous défendons un syndicalisme qui essaie d’analyser les rapports de force en présence dans la société, qui ne sépare pas l’action quotidienne de défense des droits immédiats des grandes orientations politiques et économiques. D’où notre recherche permanente de convergence avec d’autres, notamment Attac. Il est clair pour nous que le néolibéralisme doit être contesté à ses racines mêmes, parce qu’il est destructeur de tous les systèmes de solidarité qui ont été construits en France dans les années~1950. On ne peut pas accepter que ces systèmes et leurs principes soient complètement détruits. Ces politiques libérales ont des conséquences dramatiques pour les salariés et sur les grands équilibres de la société. Cela remet en cause l’action de la démocratie. Quand c’est la finance qui gouverne tout, les choix démocratiques des citoyens deviennent de plus en plus restreints.

Mais cette évolution est de plus en plus contestée…

Avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy, nous sommes plutôt dans une phase d’accélération des politiques libérales. Depuis un an, on voit bien qu’elles s’accélèrent et qu’elles se conjuguent, sur les questions de société, de sécurité, etc. On adopte un ultralibéralisme sur le plan économique, en particulier celui de la fiscalité, pour remettre en cause un outil permettant de réguler la société. Le terme de révolution conservatrice est approprié. On est cependant dans une situation paradoxale : il y a une conflictualité importante dans ce pays depuis l’élection de Sarkozy. Mais on constate aussi qu’il n’y a pas d’opposition digne de ce nom, qui permettrait de fédérer ce mécontentement et de le transposer sur le plan politique pour lui donner des perspectives. D’une certaine façon, c’est sur le terrain des luttes sociales que les choses se jouent. Mais c’est difficile sans perspectives ni alternative. Comment repenser les espaces de débat possible entre forces politiques, mouvements sociaux et organisations syndicales ? Nous avons le sentiment qu’il existe un espoir que les mouvements sociaux et notre syndicalisme remplissent cet espace. Mais cela n’est pas notre rôle. On ne le veut pas, et cela ne marcherait pas.


Le congrès a été l’occasion de débattre sur la crise écologique. Où en est ce débat au sein de Solidaires ?

Le congrès a organisé pour la première fois un débat sur cette question. Il s’agit pour nous de croiser les questions sociales et écologiques, et de trouver des réponses alternatives. On constate en effet que les multinationales et les organismes internationaux mettent en place un business écologique. Certains patrons utilisent même la crise écologique pour procéder à des licenciements. Depuis un an et demi, un groupe de travail a été mis en place au sein de Solidaires, qui a produit un texte ouvrant des pistes de réflexion dans le syndicat. Ce congrès va marquer notre volonté de prendre en charge ces questions porteuses de contradictions.

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