« Se démarquer sur le terrain de l’économie »

Pour
Nadja Flank, militante
de la région nîmoise,
une « gauche
de gauche » doit parvenir
à contrer la logique de la concurrence et le chantage à la croissance.

Nadja Flank  • 19 juin 2008 abonné·es

L’aspiration à donner un nouveau souffle à la gauche, à partir d’un projet identifiable qui apparaisse réellement alternatif au libéralisme, exige une détermination et une clarté dans des objectifs et des formulations capables de convaincre.

Puisque nous nous accordons à vouloir nous démarquer d’un parti socialiste désormais centriste, il est important d’identifier ce qui nous différencie de manière objective et incontestable, au-delà des aspects d’ordre stratégique. Le récent projet de déclaration de principe du PS propose que «les socialistes soient partisans d’une économie sociale et écologique de marché, une économie de marché régulée par la puissance publique. Le système voulu par les socialistes serait une économie mixte combinant un secteur privé dynamique, un secteur public et des services publics de qualité, et un tiers secteur d’économie sociale».

Là où le PS assume sans complexe un développement économique qui reposerait sur trois piliers, du côté d’une gauche «de gauche» nous pourrions n’en retenir que deux : une économie sociale et des services publics de qualité. L’ensemble des secteurs de production de biens et de services nécessaires à la vie et à l’émancipation humaine peut s’inscrire dans ce cadre.

Cette distinction sans équivoque permettrait de faire valoir une légitimité à nous définir «gauche de gauche», sur la base d’un contenu alternatif clairement énoncé […].

Il ne suffit pas, pour contrer les offensives et l’idéologie de la droite, de dire qu’il faut «taxer les produits financiers». Envisager de les taxer suppose de les maintenir. Ce n’est pas un projet adapté dans sa visée à l’identité de la gauche. Dans le cadre d’une étape, pourquoi pas, mais en termes de communication politique et de projet de société, cela semble contradictoire. Les uns et les autres s’interrogent, ou justifient le vote centriste, sans plus trop bien savoir ce qui fait vraiment la différence (en dehors des luttes) entre la gauche et la droite, en profondeur, dans une période de désarroi vis-à-vis du tout économique, du tout marchand. Du point de vue de l’idéologie, restaurée à droite autour des questions de libre concurrence, de compétitivité, et donc de loi du plus fort, notre logique spécifique doit être celle du tout coopératif. À «concurrence», opposons systématiquement «coopération».

L’entreprise coopérative, où un homme égal une voix, est en mesure de remettre en cause le système des marchés financiers, apporte la solution face aux délocalisations, contraint à la démocratisation de l’économie. La coopération institutionnelle et territoriale, ce qu’elle engage comme mesures relevant du champ politique, est également l’alternative à l’Europe et à la mondialisation libérale […].

La loi de l’offre et de la demande, qui caractérise l’économie de marché, se voit aujourd’hui remise en cause par les interrogations grandissantes au sujet de la croissance. Ce chantage permanent à la croissance, d’actualité, est un simulacre qui cache tous les désordres économiques.

Au-delà des biens essentiels, ce qui varie pour des produits identiques tend à se situer du côté des emballages et du marketing. Cette fuite en avant qui vise à créer la demande par des artifices plutôt que par le produit lui-même est dévastatrice à différents points de vue, et notamment au regard de notre environnement. Chercher à réinvestir la production de manière politique suppose, là aussi, de contrer les logiques de concurrence qui engendrent excès et absurdités en termes de production et de consommation. Il s’agit donc de rechercher le point d’équilibre en reconsidérant l’objectif : répondre aux besoins essentiels de tous de manière équitable pour tous (producteurs et consommateurs) […].

À condition de s’entendre démocratiquement sur la définition de «droits fondamentaux», il est possible d’avoir un socle commun à nos campagnes électorales, qui permettrait à nos potentiels élus, et particulièrement locaux, de se sentir soutenus dans leur exigence de gestion publique des services publics.

Les collectivités locales, depuis les différents volets de décentralisation, détiennent les principales clefs de la gestion de l’action sociale, du logement, des minima sociaux, des transports, de l’eau, de l’assainissement, et d’importantes compétences dans différents domaines de la solidarité. Et les administrations territoriales, qui ont l’habitude de fonctionner en autonomie si elles ne sont pas dirigées par des élus déterminés et clairs dans leurs engagements, ont tendance à faire le jeu du libéralisme par fatalisme ou par interprétation simpliste de lois pourtant contournables.

Cela pourrait expliquer le phénomène contemporain de l’enrichissement rapide et croissant des groupes financiers. Ce sont eux qui raflent la mise depuis les récentes pressions exercées, au travers du code des marchés publics et de l’ouverture à la concurrence des services, par l’obligation de fonctionner par appel d’offres. Les régions, les départements et les communes sont aujourd’hui d’excellents clients pour les multinationales (eau, transports, gestion des déchets, marché du placement et de la formation professionnelle, construction de logements sociaux, télécommunications…). Les services publics ont ainsi été petit à petit vendus, sans que les élus locaux et les populations en aient réellement pris conscience.

Pourtant, la gauche est en situation de responsabilité dans la majorité des régions et des départements, dans nombre des 36~000~communes de France !

Il est absolument possible de faire évoluer les modes d’administration locale en faisant valoir les alternatives en matière de gestion et d’organisation des services publics, et en premier lieu en prenant conscience de la nécessité de sensibiliser les populations pour qu’elles reconnaissent que de véritables projets et politiques de gauche, à tous les niveaux, peuvent changer la donne.

La gauche dans son ensemble sait s’accorder sur son socle de valeurs, mais le clivage se situe essentiellement sur les questions de développement et d’économie. Le terrain à travailler et à occuper est donc celui-ci, au risque, sinon, de voir les appels au rassemblement, qui légitimement et régulièrement se propagent comme un ultime espoir, aller chaque fois dans le mur.

Un projet de politique économique à la fois audible au niveau idéologique (selon deux piliers : économie sociale et services publics) et pragmatique, c’est-à-dire agissant concrètement en faveur d’alternatives au libéralisme et au capitalisme, doit voir le jour de manière claire et concise. Sa communication doit être relativement uniforme ici et là pour qu’il soit repéré, sa mise en œuvre énoncée et commentée, ce qui implique qu’il soit produit dans le cadre d’un espace politique rassembleur… Un front commun ou un nouveau parti ?

Politique
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