Une extrême urgence politique

Christian Picquet, du courant Unir de la LCR, estime que la gauche a besoin d’un espace de débat pour se reconstruire.
Christian Picquet  • 26 juin 2008
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Et si, du côté de celles et ceux qui aspirent à une gauche parlant et agissant enfin à gauche, on se livrait à un simple exercice de vérification ? L’appel de Politis a maintenant un mois. Le délai est plus que suffisant pour apprécier s’il répond à l’enjeu capital du moment.

Jamais, sous notre Ve République, le détenteur de la fonction suprême n’avait, un an après son élection, vu à ce point fondre sa légitimité. Cela n’empêche pas Nicolas Sarkozy de surenchérir dans la provocation. En même temps que le droit à la retraite, il vient ainsi d’ouvrir le dossier de la durée hebdomadaire du travail, qui pourrait bientôt rejoindre la limite européenne des 48~heures… À grands traits, c’est un nouveau modèle de société qu’il dessine, en phase avec un capitalisme plus avide de profit que jamais.

Chacun le voit, la violence de cette offensive ne s’explique nullement par la résignation de la société. Celle-ci se trouve plutôt au bord de l’explosion, tant la colère sociale s’est accumulée au fil des mois. Mais les mobilisations populaires ne trouvent ni le chemin de leur convergence unitaire ni celui de l’épreuve de force qui pourrait, seule, arrêter le rouleau compresseur libéral. La journée syndicale du 17~juin vient même de subir un demi-échec, que la droite s’est empressée d’exploiter.

Le paradoxe n’est qu’apparent. Au-delà des difficultés que traverse un syndicalisme déstabilisé par l’existence en son sein de puissantes logiques d’adaptation aux contre-réformes gouvernementales, la question nodale relève de la perspective politique. Pour ne prendre que cet exemple, le mouvement social éprouvera toujours davantage de difficultés à relever les défis auxquels il est confronté sur le pouvoir d’achat, les retraites ou le temps de travail, s’il ne peut inscrire ses revendications dans le cadre du choix fondamental posé à toute la société : est-ce le besoin de justice et d’égalité sociales — impliquant, en l’occurrence, la redistribution des richesses — qui doit primer ou, au contraire, la logique marchande et financière, qui requiert toujours plus de rendement pour les actionnaires ? Dit autrement, ce n’est qu’en assumant la dimension fondamentalement politique de l’affrontement qu’il pourra gagner l’appui d’une majorité du pays. Faute de quoi, c’est bien une défaite majeure dont nous sommes menacés.

Encore faut-il, évidemment, que la donne ne reste pas en l’état à gauche… Inutile de s’y appesantir, il n’y a rien à attendre du centre de gravité directionnel du Parti socialiste. La tonalité idéologique dominante de la préparation du congrès de Reims atteste que la social-démocratie française suit avec retard l’exemple de ses semblables en Europe, celui d’une mutation sociale-libérale irréversible. Cela dit, l’espace laissé en jachère par cette dérive reste largement inoccupé. Ainsi, la proposition d’un «nouveau parti anticapitaliste», telle que défendue par la direction de la LCR, rencontre-t-elle un indéniable écho, en ce qu’elle concourt à poser le problème fondamental d’une nouvelle construction politique à gauche. Reste qu’elle ne peut, à elle seule, répondre à l’exigence décisive : réunir l’intégralité des forces déterminées à s’opposer au pouvoir de la droite ultralibérale et à dessiner une alternative au social-libéralisme du Parti socialiste. S’il est, par conséquent, légitime que chaque organisation et courant défende ses propres perspectives politiques et organisationnelles, cela ne devrait en rien se poser de manière contradictoire avec la volonté de faire converger toutes les sensibilités n’ayant pas renoncé à l’action pour la transformation radicale de la société.

À cette étape, et au vu de l’urgence, il est décisif de faire surgir au plus tôt ce «cadre permanent» dont parle l’appel, ce «pacte» qu’a évoqué ici Denis Sieffert. «Ce n’est qu’une problématique de front» , diront les plus pressés. Sans doute. À ceci près que, face à la déshérence actuelle, sa concrétisation aurait bien des mérites. Elle autoriserait à défendre conjointement — donc avec la crédibilité qui fait défaut aujourd’hui — une série d’objectifs de rupture. Elle mettrait fin aux dynamiques de concurrence qui ont ruiné l’acquis de la campagne du «non» de gauche, sans empêcher quiconque de poursuivre ses engagements particuliers ou de mener à bien ses projets. Elle travaillerait à surmonter la coupure fatale entre secteurs politiques et acteurs sociaux, apportant ce faisant une contribution décisive à l’affrontement en cours avec le sarkozysme. Elle faciliterait enfin une vaste confrontation publique sur les voies et moyens de la refondation d’une perspective porteuse d’espoir.

Parlons sans faux-fuyants, une telle reconstruction n’est envisageable que si s’ouvre un nouveau chemin à gauche, s’émancipant des impasses auxquelles a conduit, ces vingt dernières années, la subordination à un PS qui poussait toujours plus loin son renoncement devant le dogme libéral. Pour que le débat puisse se mener sans complaisance et avec le maximum d’efficacité, il lui faut cependant disposer d’un espace pertinent. C’est de ce point de vue que rien ne saurait justifier le refus de s’impliquer dans la dynamique qu’a cherché à enclencher Politis , en arguant de ses limites ou des différences — bien réelles — existant entre les premiers signataires de l’appel.

En résumé, allons-nous laisser se réduire telle une peau de chagrin le champ des possibles, avec la certitude que cela mène à un authentique désastre, ou au contraire nous saisir de la moindre chance offerte pour rouvrir un chemin à l’alternative ? Poser la question, c’est y répondre…

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